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De la souveraineté

« L’indépendance est un terme qui signifie un désir, qui signifie une attitude, qui signifie une intention. » Charles de Gaulle

Que la notion même de souveraineté fasse aujourd’hui l’objet d’un débat témoigne de façon éloquente de l’abaissement de la France et du niveau de soumission mentale de ses classes dirigeantes. En effet, tout peuple digne de ce nom doit être souverain et cette réalité a été clairement rappelée par Vladimir Poutine le 9 juin 2022 au Forum Économique International de Saint-Pétersbourg.

« Pour revendiquer un certain leadership – je ne parle même pas de leadership mondial, je veux dire de leadership dans n’importe quel domaine, tout pays, tout peuple, toute ethnie doit assurer sa souveraineté. Car il n’y a pas d’entre-deux, pas d’état intermédiaire : soit un pays est souverain, soit c’est une colonie, peu importe comment on appelle les colonies. Je ne vais pas donner d’exemples pour n’offenser personne, mais si un pays ou un groupe de pays n’est pas en mesure de prendre des décisions souveraines, il est alors déjà une colonie dans une certaine mesure. Mais une colonie n’a aucune perspective historique, aucune chance de survie dans cette dure lutte géopolitique. »

Trop souvent limitée à la sphère politique, la souveraineté est en réalité un concept total, un prisme avec lequel l’individu et la société abordent l’existence. Pour être intégrale, la souveraineté doit d’exercer sur les niveaux suivants :

1) Souveraineté sur soi-même

L’homme doit être souverain. Cela signifie qu’il ne doit pas être esclave de ses passions, de ses émotions ou de ses désirs. Exercer une souveraineté sur soi-même signifie être capable de se dominer et de contrôler ses pulsions. Cet état d’esprit trouve son prolongement dans une capacité à évaluer honnêtement nos faiblesses et nos insuffisances et de nous efforcer de les corriger afin de devenir chaque jour un homme meilleur. Un tel travail nous impose de nous évaluer non pas par rapport à ce que nous considérons comme un standard acceptable mais par rapport à un modèle extérieur faisant autorité, soit tout le contraire de cette société moderne qui nous invite à nous prendre « tels que nous sommes ». La souveraineté sur soi-même passe également par le soin apporté à notre apparence ainsi que par le respect des codes élémentaires de la courtoisie, de l’élégance et du savoir-vivre. Avant de penser à sauver la France, il faut commencer par savoir s’habiller correctement, se tenir à table et arriver à l’heure.

2) Souveraineté sur sa famille

À l’échelle supérieure, la famille doit être souveraine, c’est à dire qu’elle doit compter avant tout sur ses membres, leur solidarité et leur capacité de mobilisation plutôt que sur l’État et la collectivité. L’individualisme et l’égoïsme modernes affaiblissent les familles pour mieux détruire leur capacité de résistance et d’autonomie vis à vis d’un pouvoir central, bien souvent lui-même contrôlé en coulisses par des familles organisées en clans. Pour être souveraine, une famille doit être dirigée par un chef dont la sagesse, l’autorité et les décisions sont reconnues et écoutées par tous. Ce rôle de chef de famille doit être exercé par le père, à condition que celui-ci ne confonde pas l’exercice du pouvoir avec la tyrannie et comprenne ses devoirs en matière de responsabilités, de protection et d’assistance qui en sont la contrepartie, sur ce point lire les travaux de Sylvain Durain sur la famille chrétienne. Sous l’autorité du père, la famille doit développer autant que possible sa souveraineté dans tous les domaines : alimentation, éducation, sécurité, information, travail. Mais surtout, ses membres doivent être unis par le sentiment d’appartenir à la même communauté de destins et de défendre ensemble une même idée de l’Homme. Pour ce faire, la famille doit cultiver à la fois ce qui la distingue, haut-faits, traditions, lignage, mais également ce qui la relie à l’ensemble plus vaste auquel elle se rattache : terroir, patrie, religion. Sans familles fortes, enracinées et souveraines, il ne peut y avoir de pays souverains.

3) Souveraineté sur son travail

La France était autrefois un pays de paysans, d’artisans et de commerçants possédant, dans des conditions souvent rudes, une réelle souveraineté sur leur travail. Aujourd’hui, notre pays est devenu un pays de salariés, privés d’initiative, étranglés par les normes et habitués à dépendre de l’État. Or, un pays où l’entrepreneuriat, la prise de risque, et l’autonomie ne sont pas encouragés ne peut pas être un pays souverain. Quand chacun sait ce que gérer ses propres affaires veut dire, non seulement l’indépendance devient un trait de caractère national mais les citoyens se trouvent moins enclins à défendre des grands principes abstraits et à se montrer généreux avec l’argent des autres. De plus, quand tout le monde « joue sa peau », l’entraide et la solidarité ne sont plus des formules abstraites mais des nécessités concrètes pour survivre. Quiconque a déjà créé une entreprise ou porté un projet sait à quel point le soutien et la mobilisation de la communauté se révèlent critiques pour son succès. À l’inverse, un pays où personne n’est vraiment responsable de son travail et où beaucoup de gens perçoivent une rémunération, indépendamment de leurs compétences réelles ou des résultats obtenus, finit par devenir une société dans laquelle l’idée même d’entreprendre, de viser l’excellence ou de prendre en main son destin ne se trouve même plus comprise par une majorité de la population.

4) Souveraineté politique

Quand l’homme est souverain sur lui-même, dans sa famille et dans son travail, alors seulement peut se poser la question de la souveraineté nationale. L’exercice de cette dernière peut se faire de façon démocratique à l’échelle locale où il reste possible de connaître directement les personnes, les enjeux et l’impact des décisions prises sur la vie quotidienne. À l’échelle nationale, la souveraineté doit être entière et un État souverain doit contrôler ses lois, sa justice, sa monnaie, ses frontières, et refuser toute soumission ou allégeance à une puissance étrangère. Un pays souverain doit chercher la plus grande autonomie possible, c’est à dire la capacité à subvenir par lui-même à la plupart de ses besoins alimentaires, énergétiques ou industriels. Sur le plan culturel, la souveraineté se manifeste par un refus de la colonisation mentale par des mœurs ou des codes culturels étrangers et la défense de l’esthétique, des traditions et des modes de vie, testés par le temps et transmis par nos ancêtres, qui constituent l’expression vivante du génie de notre peuple.

Cette souveraineté doit être protégée par une élite chargée de défendre le bien commun et de travailler sur le temps long. Pour garantir sa pérennité, cette élite doit se montrer capable de détecter et promouvoir les talents issus du peuple, de sanctionner et rétrograder ses membres incapables de tenir leur rang et surtout, de neutraliser tous ceux possédant une double allégeance ou susceptibles, par leurs discours, leurs comportements ou leurs opinions, de porter atteinte au prestige ou à l’unité nationale.

Dans le cas de la France, la défense de la souveraineté se révèle également indissociable de la défense de la foi chrétienne. Comme l’écrivait Joseph de Maistre : « Les souverainetés n’ont de force, d’unité et de stabilité qu’en proportion qu’elles sont divinisées par la religion. ». En effet, Dieu a fait les hommes libres et chercher à réduire cette souveraineté revient à défier la volonté du Créateur. Plus spécifiquement, Dieu a confié aux Francs, c’est à dire aux hommes libres, la mission de défendre, partout et en tout temps, la foi et l’Église catholiques :

Comme l’enseignait l’Évêque Saint Rémi à Clovis :

« Apprenez, mon fils, que le Royaume des Francs est prédestiné par Dieu à la défense de l’Église Romaine qui est la seule véritable Église du Christ (…). Il sera victorieux et prospère tant qu’il restera à la foi romaine mais il sera rudement châtié toutes les fois où il sera infidèle à sa vocation. »

Pour être vraiment libre et souveraine, la France doit accomplir la volonté de Dieu et les esprits modernes doivent surmonter ce paradoxe: la vraie liberté consiste à choisir le maître que nous allons servir.

Pour aller plus loin :

Du skin in the game

Jouer sa peau, Nassim Nicholas Taleb

Ce sang qui nous lie, Sylvain Durain

L’esprit familial, Henri Delassus, préface de Sylvain Durain

Joseph de Maistre sur la souveraineté et la religion

De l’infantilisation

« Malheur à toi, pays dont le roi est un enfant »

Ecclésiastes 10 :16

L’infantilisation généralisée constitue l’une des caractéristiques majeures de l’Occident contemporain. Au-delà de sa dimension psychologique et individuelle, ce phénomène affecte également le champ politique car une population bloquée au stade infantile est une population maintenue dans un état de dépendance, incapable de pensée ou de décisions autonomes et surtout, dans l’incapacité d’exercer toute forme de souveraineté.

Cette infantilisation trouve sa source dans la famille avec l’effacement, quand il ne s’agit pas de la disparition pure et simple, des pères de famille. Psychologiquement, l’homme, le père, est en effet celui dont la parole est porteuse d’objectivité, qui incarne l’autorité, fixe les limites et qui, le moment venu, fera entrer le jeune garçon dans la société des hommes. Or, aujourd’hui, quand les pères ne sont pas absents ou manquants, c’est-à-dire incapables d’assumer leur rôle de chefs de famille, ce sont les qualités viriles elles-mêmes qui se trouvent désormais dénoncées au nom de la lutte contre le « patriarcat », « la masculinité toxique » ou encore « le privilège blanc ».

Comme l’a démontré avec brio le sociologue et démographe Emmanuel Todd dans son livre « Où en sont-elles ? », depuis la fin des années 60, nous vivons dans des sociétés dominées par les femmes que ce soit via leur présence majoritaire dans l’enseignement supérieur, de leur surreprésentation dans les activités « productrices de normes » – journalisme, justice, enseignement, administration-, de la tertiarisation de l’économie qui se fait au détriment des activités primaires (agriculture) et secondaires (industrie) traditionnellement masculines et enfin, par l’inflation des normes, des règlements et des protocoles qui viennent entraver la tendance naturelle masculine à l’improvisation et à l’innovation. De son côté, l’essayiste et anthropologue Sylvain Durain a montré comment cette féminisation de la société ne constitue pas un progrès mais bien un retour aux sociétés archaïques des temps pré-chrétiens marquées par l’indifférenciation, le monisme (fusion de l’Homme et du cosmos) et surtout, du grand retour de la logique sacrificielle et des boucs-émissaires.

Non contentes d’avoir « castré » socialement, professionnellement et symboliquement les hommes et les pères, nos sociétés ont supprimé tous les rites de passage, religieux ou civiques, qui permettaient de symboliser la transition de l’état d’enfant à celui d’adulte. Quant aux rites de substitution, qu’il s’agisse du baccalauréat ou du permis de conduire, ils ne représentent pas de véritable enjeu et ne sont porteurs que d’une charge symbolique ou sacramentelle extrêmement faible. Cette absence de véritables rites de passage se trouve de surcroît aggravée par l’allongement de la durée des études. Là où les anciennes générations quittaient, pour l’essentiel, les bancs de l’école à leur majorité, les nouvelles sont maintenues, à dessein, dans ce statut, mi-enfant, mi-adulte, d’étudiant, tout en étant soumis, durant leurs années de formation, au tir de barrage incessant de la propagande progressiste et mondialiste. Sur ce point, il est d’ailleurs frappant de constater qu’aujourd’hui, les individus les plus matures et les plus adultes sont souvent ceux qui ont quitté l’école dès le plus jeune âge pour aller travailler dans des métiers en prise directe avec le réel comme l’hôtellerie/restauration, le commerce ou le bâtiment.

Pour finir, cette infantilisation généralisée rendue possible par l’absence des pères, la suppression des rites de passage et l’allongement de la durée des études se retrouve largement encouragée par la société dans son ensemble. En effet, la publicité, les médias et toutes les structures chargées de diffuser « l’esprit du temps » nous invitent en permanence à dépasser les limites, à satisfaire immédiatement nos désirs et à adopter des comportements et des attitudes en lien avec la jeunesse, soit l’opposé exact des vertus traditionnellement associées à la maturité et à l’âge adulte. Sur le plan visuel, une esthétique caractérisée par des couleurs vives ou criardes, des formes géométriques simples et un langage infantilisant s’est imposée dans la communication, y compris celle de l’État ou d’acteurs économiques traditionnellement « sérieux » tels que les banques et les assurances. En ce qui concerne le langage, l’emploi du prénom et le recours systématique au tutoiement se sont imposés, un phénomène dont Renaud Camus a montré dans « La civilisation des prénoms » en quoi il constituait l’expression d’une société d’enfants refusant la hauteur, la distance et, surtout rejetant l’importance des ancêtres et de la lignée. De façon plus générale, entre la satisfaction immédiate des désirs, le refus de la  frustration et des limites, l’abdication de toute forme de responsabilité, la jeunesse érigée en valeur suprême, l’extension du ludique à des activités sérieuses, l’horizon limité à un perpétuel présent, et la trottinette devenue soudainement un moyen de transport pour adultes, les sociétés occidentales sont désormais caractérisées par l’omniprésence des comportements infantiles à tous les âges et dans toutes les couches de la société.

Or, cette infantilisation de la société a pour conséquence directe la croissance de l’État et l’immixtion de la puissance publique dans un nombre croissant de domaines. Si la société est devenue un jardin d’enfants, il faut bien une maîtresse ou une nounou pour la surveiller. Jugé incapable de s’occuper de lui-même, de sa famille et de ses affaires, l’Homme de 2022 doit être intégralement pris en charge, de la naissance au tombeau, par Big Mother qui lui dit désormais ce qu’il doit faire, ce qu’il doit dire, ce qu’il doit manger, quand il a le droit de sortir, et surtout, ce qu’il a le droit de penser. En 2020-2021, la crise du Covid a marqué l’aboutissement de cette logique avec une population acceptant passivement d’être confinée puis vaccinée, en l’absence de bénéfices avérés, sous peine d’être grondée ou punie par la puissance publique maternelle.

En effet, comme tous les parents toxiques, l’État-nounou s’avère être extrêmement jaloux de ses prérogatives et n’accepte pas que « son » enfant s’émancipe et se trouve ainsi un jour en mesure d’échapper à son étroite supervision. Si l’État semble bienveillant avec tous ceux qui acceptent de jouer sagement et sans faire d’histoires dans l’enceinte du grand jardin d’enfants, il se révèle en revanche impitoyable et despotique envers tous ceux qui, rejetant sa tutelle, préfèrent s’éduquer, se soigner, s’informer, se protéger et se gouverner par eux-mêmes.

En matière de pouvoir, le maintien de toute une population dans un état infantile, c’est-à-dire incapable d’autonomie, de révolte ou de pensée libre reste le meilleur et le plus discret moyen de la dominer sans avoir recours à une forme de contrôle trop visible ou brutale. Pour lutter contre ce totalitarisme qui cherche à nous maintenir en enfance pour mieux nous soumettre et disposer à sa guise de nos corps comme de nos esprits, il nous appartient de (re)devenir des individus matures et autonomes et surtout, d’éduquer nos enfants  pour qu’ils deviennent eux aussi, à leur tour des hommes et des femmes véritablement libres.

 Pour aller plus loin :

De la bienveillance

Du féminisme

Des surdoués

“En tant qu’homme c’est votre devoir de protéger les faibles et les innocents. Pas de devenir le faible et l’innocent.”

De l’illusion européenne

Malheur à vous, guides aveugles !

Matthieu 23:16

En ce début de XXIe siècle, il est surprenant de constater que les mondialistes, les baby-boomers et une partie la jeunesse identitaire ont en commun de vouloir sacrifier la Nation au profit de l’illusion européenne. A leurs yeux, les anciens États-nations constitueraient un cadre désormais obsolète et il serait vain, pour ne pas dire illusoire, de chercher à défendre la France et ses intérêts car l’avenir de notre pays ne pourrait passer que par son intégration au sein d’une « Grande Europe » qui respecterait la réalité des peuples et des nations pour les identitaires ou qui serait soumise au Nouvel Ordre Mondial pour les mondialistes.

Dans le cadre de cet article, nous laisserons de côté le projet mondialiste pour nous concentrer sur les arguments présentés par les européistes ainsi que de tous les Français qui défendent l’idée « d’Europe puissance ». Pour ces derniers, la France serait désormais trop petite pour espérer faire jeu égal avec des puissances telles que les États-Unis, la Chine ou encore la Russie et l’Europe constituerait le levier lui permettant d’atteindre la fameuse « masse critique ».

Pour les identitaires, face au danger d’un Grand Remplacement qui menace l’existence même des peuples européens, il serait temps de cesser nos querelles intestines et de surmonter nos égoïsmes nationaux pour présenter un front commun et défendre la civilisation européenne dans son ensemble. Enfin, parmi ceux qui défendent l’idée européenne, un grand nombre considère que la nation fut une invention du XIXe siècle qui fit beaucoup de mal aux peuples européens en les entraînant dans d’absurdes conflits fratricides d’où la nécessité de dépasser le cadre national pour recréer une unité européenne semblable à ce que put être la chrétienté au Moyen Âge.

Soyons clairs : le simple fait que ces idées et ces arguments puissent aujourd’hui être sérieusement considérés et défendus par des Français dont certains luttent avec courage pour la défense de notre peuple et de son identité suffit à prouver l’effondrement qu’a connu la France en tant que pays, en tant que puissance mais aussi en tant que projet. Dans une France fidèle à elle-même, de tels débats n’auraient aucune raison d’être tant il serait clair dans l’esprit de tous, à l’exception de quelques marginaux, que le devoir de tout Français est de défendre la France, « ce plus beau Royaume après celui du Ciel ».

Si nous croyons aujourd’hui nécessaire de dénoncer et de réfuter l’illusion européenne, c’est  d’une part parce qu’elle exerce actuellement une importante séduction sur l’esprit des jeunes gens et détourne une quantité importante de talents et d’énergie du combat pour le redressement national où ces derniers pourraient être utilement employés mais aussi parce que sa pénétration dans les esprits témoigne du succès de l’opération de propagande orchestrée depuis des décennies par les mondialistes avec pour objectif de détruire l’idée même d’État-nation pour aboutir à une « Europe des régions » dominée par des institutions supranationales.

Avant de rentrer dans le vif du sujet, commençons par rappeler que loin d’être partagée par tous les peuples européens, cette passion pour tout ce qui est étranger ainsi que pour les grandes constructions politiques théoriques représente malheureusement une constante chez une grande partie des élites françaises. Au XIXe siècle, Chateaubriand constatait déjà que : « Le suprême bon ton était d’être américain à la ville, anglais à la cour, prussien à l’armée ; d’être tout, excepté français. » S’inscrivant dans cette vieille tradition, ceux qui aujourd’hui prônent l’Europe plutôt que la France sont les mêmes que ces philosophes des Lumières fascinés par l’Angleterre ou que cette jeunesse d’après-guerre envoûtée par l’URSS ou la Chine de Mao, tous ces adeptes de la « préférence étrangère » ayant en commun d’avoir toujours considéré avec morgue et dédain tous ceux qui, n’ayant visiblement rien compris  au « sens de l’Histoire », s’obstinent tant bien que mal à défendre de façon stricte et exclusive les intérêts de la nation et du peuple français.

À bien des égards, les européistes donnent raison à cette boutade de diplomate selon laquelle, il faut toujours nommer des Français à la direction des institutions internationales car ce sont les seuls qui mettent un point d’honneur à ne jamais défendre les intérêts de leur propre pays.

Plaisanterie mise à part, l’illusion européenne témoigne d’une certaine naïveté politique et d’une incapacité à tirer les leçons de plus de cinquante ans d’une construction européenne dont la France n’a cessé d’être l’éternelle cocue. Alors que notre pays avait en main toutes les cartes pour dominer l’espace européen : l’armée, la technologie, l’industrie, l’agriculture, l’emplacement géographique et le soft-power (culture et prestige), tous ces atouts ont été sacrifiés les uns après les autres au nom de « l’idée européenne » pour le plus grand profit de la puissance rivale qu’est l’Allemagne ou de divers intérêts privés.

Ainsi, l’arrivée au pouvoir d’européistes, même identitaires, représenterait une véritable catastrophe pour le pays, ceux-ci continuant de sacrifier les intérêts de la France au nom du « bien commun européen » tandis que nos partenaires, sidérés face à une telle naïveté, ne manqueraient pas de se frotter les mains et de continuer avec succès de défendre l’Europe en paroles et de préserver leurs intérêts nationaux en actes.

Après ce préambule, il est temps de nous attaquer à l’argument central des européistes : la notion de « masse critique ». Dans mon essai consacré à la densité informationnelle, j’ai amplement démontré la fausseté de cette approche purement quantitative. Au-delà de ces considérations théoriques, l’exemple concret d’Israël suffit à démontrer qu’un pays ou un peuple de taille modeste peut exercer une influence considérable sur les affaires du monde à condition de posséder une véritable volonté de puissance et de développer une doctrine stratégique lui permettant d’exercer une véritable influence à l’échelle internationale. Sur ce point, notons que tous les pays capables d’assumer un rôle de puissance mondiale ou régionale ont en commun de s’appuyer sur l’idée d’une « élection » de nature principalement  religieuse (Turquie, Iran, Arabie Saoudite, Russie) sur laquelle nous ne manquerons pas revenir.

Soulignons ensuite que cette obsession pour la « taille critique » constitue la marque d’une pensée moderne incapable de penser autrement qu’en termes quantitatifs et non qualitatifs. Sur ce point, il est amusant de constater que les Français européistes et identitaires ne semblent plus croire au génie du peuple qu’ils prétendent pourtant défendre. En effet, si le peuple français est vraiment un grand peuple alors 50 millions de Français peuvent facilement tenir tête à l’Europe entière, voire au reste du monde et c’est d’ailleurs ce que fit notre pays durant la majeure partie de son histoire. Au-delà du changement de peuple induit par l’immigration de masse, ce qui a changé depuis, c’est surtout la perception que les Français ont d’eux-mêmes, leur croyance en la capacité de la France de n’être qu’elle-même qu’au premier rang (De Gaulle) et surtout la rupture du modèle politico-religieux qui avait rendu possible sa prééminence.

Pour finir, défendre l’idée européenne au nom de la « masse critique » témoigne d’une incompréhension des vrais enjeux du XXIe siècle et d’une tendance, là encore bien française, à s’obstiner à refaire la dernière guerre plutôt que se préparer à la réalité de celle qui vient. En effet, si, comme l’avait compris Napoléon, le XIXe et le XXe siècles furent ceux de la masse et des empires, nous nous trouvons aujourd’hui dans un monde en contractionl‘avenir n’appartient pas aux immenses constructions condamnées à s’effondrer sous leur propre poids mais à un retour à l’échelle locale et à un monde dominé par des puissances régionales de taille moyenne capable d’offrir de la stabilité dans un monde en plein chaos et de proposer l’adhésion à un récit national, identitaire et religieux aussi fort que structuré. Comprendre cela, c’est comprendre pourquoi chercher à intégrer la France dans un nouvel « empire européen » revient en réalité à vouloir devenir membre du club des dinosaures à la veille de leur extinction.

Pour finir, l’adhésion à l’idée européenne prouve, et c’est sans doute là le plus grave, que les européistes sont en réalité de purs modernes qui, d’une part, s’appuient sur les mêmes présupposés philosophiques que ceux qu’ils prétendent combattre et qui, d’autre part, n’ont absolument rien compris à l’essence de la France ainsi qu’à la source de son génie et de sa grandeur.

Commençons par rappeler que s’il existe au monde un pays qui peut prétendre être une nation, c’est bien la France et que la construction de cette nation fut l’œuvre patiente des rois de France parachevée dans les conditions que l’on sait par la Révolution Française. Le caractère précoce à la fois de l’État et du sentiment national fut ce qui permit à la France de dominer pendant des siècles un espace européen morcelé en une multitude de principautés trop faibles pour pouvoir s’opposer efficacement à une puissance étatique et nationale. L’immense stratège que fut Bismarck ne s’y trompa pas et entreprit de forger la nation allemande autour de la Prusse, offrant ainsi à ce pays la place de nouvelle puissance dominante de l’espace européen.

Mais surtout ce qui échappe aux esprits européistes possédés par le rationalisme et le matérialisme moderne, c’est qu’un pays, un peuple, une nation, c’est bien plus qu’un PIB ou une masse, c’est une transcendance, une idée et une mission.

Comme je l’ai écrit dans « Être Français», tous les grands peuples du monde, passés ou présents, possèdent des caractéristiques communes :

1-croire en quelque chose qui les dépasse, une « élection » venant justifier leur prétention à la puissance, qu’il s’agisse de la « destinée manifeste » des États-Unis, de l’assurance d’être le « peuple élu » pour Israël, d’être la « Troisième Rome » pour Moscou ou « l’empire au centre du monde » pour les Chinois.

2-d’avoir su préserver, au moins en partie, une pensée traditionnelle qui se caractérise entre autres par le règne de la qualité sur la quantité, par le primat du spirituel sur le matériel et la défense de certaines vérités éternelles et immuables et cela indépendamment de leur niveau de développement industriel ou technologique.

Or avec la Révolution et les Lumières, le peuple français a purement et simplement liquidé cet esprit traditionnel, adoptant au nom du « Progrès»  et de la «Raison», le rationalisme le plus stérilisateur et le plus étroit rendant ainsi inaccessibles au peuple français les raisons historiques de sa force et les causes profondes de sa grandeur.

Un Français de 2021 est-il encore capable de comprendre qu’en 496, lors du baptême de Clovis, une alliance fut conclue entre Dieu et le peuple des Francs, c’est-à-dire les Français ? Cette nouvelle alliance venue remplacer l’ancienne faisait de la France le nouvel Israël, de Paris, la nouvelle Jérusalem et du Roi de France, le lieutenant de Dieu sur terre.

Si la France put dominer pendant des siècles l’Europe et exercer une telle influence sur les peuples européens, c’est parce qu’elle fut la fille aînée de l’Église, qu’elle fut dirigée par des rois très chrétiens et que le peuple français reçut la grâce et les bienfaits réservés à tout peuple béni de Dieu resté fidèle à son serment. Or, cette alliance avec Dieu fut rompue en 1789 par la Révolution Française, un évènement cataclysmique dont le peuple français ne cesse depuis deux siècles de subir et payer les conséquences. Comme l’écrivait Joseph de Maistre dès 1797 : « Puisque la France s’est servie de son influence pour contredire sa vocation et démoraliser l’Europe, il ne faut pas être étonnée qu’elle y soit ramenée par des moyens terribles. »

Depuis que le peuple français s’est détourné de Dieu et a rejeté cette alliance, la France n’a cessé d’aller de crises en crises et de défaites en défaites au point de voir aujourd’hui son peuple menacé de mort, le pays vendu à la découpe et les Français de connaître le sort humiliant des populations vaincues, occupées et soumises. Or, au lieu de comprendre que seul le rétablissement de l’Alliance avec Dieu permettrait de sauver la France, les européistes persistent et même aggravent l’erreur des révolutionnaires en demandant au peuple français de renoncer à son élection et à son destin pour accepter de se dissoudre dans une « grande Europe » quand bien même fusse-t-elle celle des peuples et des nations.

Pour le peuple français et pour la France il n’existe en réalité que deux chemins possibles :

-reconnaître que le peuple français est le peuple de la Nouvelle Alliance avec Dieu et que cette alliance aujourd’hui rompue doit être renouée afin que la fille aînée de l’Église redevienne fidèle à la promesse de son baptême.

-admettre que le peuple français n’a rien de spécial, qu’il n’a reçu de Dieu aucune mission particulière et qu’à ce titre, rien ne justifie réellement l’existence de la France, ni même son statut de grande puissance.

En réalité, ce qui conduit tant que de Français vers l’illusion européenne, c’est l’absence de Dieu. Sans Dieu, impossible de comprendre l’élection du peuple français, béni entre tous les peuples et dès lors comment comprendre la grandeur de la France mais aussi son mystère  ?

À tous les européistes, je dis : à travers l’Europe, vous adorez une idole et cette idole vous empêche de comprendre cette simple vérité : pour sauver l’Europe, il faut commencer par servir la France car qui sert la France fait l’œuvre de Dieu.

À tous les souverainistes, je dis : la souveraineté sans le Christ ne peut exister en France.

Si tous les talents français, aujourd’hui mobilisés pour défendre et célébrer « la civilisation européenne » décidaient de renoncer à cette chimère pour se mettre au service de la France et son peuple leur récompense serait grande à la fois sur terre mais aussi dans les cieux. Quant à ceux qui s’obstineraient à persister dans l’illusion européiste ou dans le souverainisme athée nous ne pouvons que les inviter à méditer sur les sages paroles du prophète Osée :

Mon peuple est détruit, parce qu’il lui manque la connaissance. Puisque tu as rejeté la connaissance, je te rejetterai, et tu seras dépouillé de mon sacerdoce; puisque tu as oublié la loi de ton Dieu, j’oublierai aussi tes enfants. (Osée 4:6)

Pour aller plus loin :

De la défaite des conservateurs

De l’anthropologie politique

De la révolution française

De la religion de l’Homme

La France Retrouvée