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De la souveraineté

« L’indépendance est un terme qui signifie un désir, qui signifie une attitude, qui signifie une intention. » Charles de Gaulle

Que la notion même de souveraineté fasse aujourd’hui l’objet d’un débat témoigne de façon éloquente de l’abaissement de la France et du niveau de soumission mentale de ses classes dirigeantes. En effet, tout peuple digne de ce nom doit être souverain et cette réalité a été clairement rappelée par Vladimir Poutine le 9 juin 2022 au Forum Économique International de Saint-Pétersbourg.

« Pour revendiquer un certain leadership – je ne parle même pas de leadership mondial, je veux dire de leadership dans n’importe quel domaine, tout pays, tout peuple, toute ethnie doit assurer sa souveraineté. Car il n’y a pas d’entre-deux, pas d’état intermédiaire : soit un pays est souverain, soit c’est une colonie, peu importe comment on appelle les colonies. Je ne vais pas donner d’exemples pour n’offenser personne, mais si un pays ou un groupe de pays n’est pas en mesure de prendre des décisions souveraines, il est alors déjà une colonie dans une certaine mesure. Mais une colonie n’a aucune perspective historique, aucune chance de survie dans cette dure lutte géopolitique. »

Trop souvent limitée à la sphère politique, la souveraineté est en réalité un concept total, un prisme avec lequel l’individu et la société abordent l’existence. Pour être intégrale, la souveraineté doit d’exercer sur les niveaux suivants :

1) Souveraineté sur soi-même

L’homme doit être souverain. Cela signifie qu’il ne doit pas être esclave de ses passions, de ses émotions ou de ses désirs. Exercer une souveraineté sur soi-même signifie être capable de se dominer et de contrôler ses pulsions. Cet état d’esprit trouve son prolongement dans une capacité à évaluer honnêtement nos faiblesses et nos insuffisances et de nous efforcer de les corriger afin de devenir chaque jour un homme meilleur. Un tel travail nous impose de nous évaluer non pas par rapport à ce que nous considérons comme un standard acceptable mais par rapport à un modèle extérieur faisant autorité, soit tout le contraire de cette société moderne qui nous invite à nous prendre « tels que nous sommes ». La souveraineté sur soi-même passe également par le soin apporté à notre apparence ainsi que par le respect des codes élémentaires de la courtoisie, de l’élégance et du savoir-vivre. Avant de penser à sauver la France, il faut commencer par savoir s’habiller correctement, se tenir à table et arriver à l’heure.

2) Souveraineté sur sa famille

À l’échelle supérieure, la famille doit être souveraine, c’est à dire qu’elle doit compter avant tout sur ses membres, leur solidarité et leur capacité de mobilisation plutôt que sur l’État et la collectivité. L’individualisme et l’égoïsme modernes affaiblissent les familles pour mieux détruire leur capacité de résistance et d’autonomie vis à vis d’un pouvoir central, bien souvent lui-même contrôlé en coulisses par des familles organisées en clans. Pour être souveraine, une famille doit être dirigée par un chef dont la sagesse, l’autorité et les décisions sont reconnues et écoutées par tous. Ce rôle de chef de famille doit être exercé par le père, à condition que celui-ci ne confonde pas l’exercice du pouvoir avec la tyrannie et comprenne ses devoirs en matière de responsabilités, de protection et d’assistance qui en sont la contrepartie, sur ce point lire les travaux de Sylvain Durain sur la famille chrétienne. Sous l’autorité du père, la famille doit développer autant que possible sa souveraineté dans tous les domaines : alimentation, éducation, sécurité, information, travail. Mais surtout, ses membres doivent être unis par le sentiment d’appartenir à la même communauté de destins et de défendre ensemble une même idée de l’Homme. Pour ce faire, la famille doit cultiver à la fois ce qui la distingue, haut-faits, traditions, lignage, mais également ce qui la relie à l’ensemble plus vaste auquel elle se rattache : terroir, patrie, religion. Sans familles fortes, enracinées et souveraines, il ne peut y avoir de pays souverains.

3) Souveraineté sur son travail

La France était autrefois un pays de paysans, d’artisans et de commerçants possédant, dans des conditions souvent rudes, une réelle souveraineté sur leur travail. Aujourd’hui, notre pays est devenu un pays de salariés, privés d’initiative, étranglés par les normes et habitués à dépendre de l’État. Or, un pays où l’entrepreneuriat, la prise de risque, et l’autonomie ne sont pas encouragés ne peut pas être un pays souverain. Quand chacun sait ce que gérer ses propres affaires veut dire, non seulement l’indépendance devient un trait de caractère national mais les citoyens se trouvent moins enclins à défendre des grands principes abstraits et à se montrer généreux avec l’argent des autres. De plus, quand tout le monde « joue sa peau », l’entraide et la solidarité ne sont plus des formules abstraites mais des nécessités concrètes pour survivre. Quiconque a déjà créé une entreprise ou porté un projet sait à quel point le soutien et la mobilisation de la communauté se révèlent critiques pour son succès. À l’inverse, un pays où personne n’est vraiment responsable de son travail et où beaucoup de gens perçoivent une rémunération, indépendamment de leurs compétences réelles ou des résultats obtenus, finit par devenir une société dans laquelle l’idée même d’entreprendre, de viser l’excellence ou de prendre en main son destin ne se trouve même plus comprise par une majorité de la population.

4) Souveraineté politique

Quand l’homme est souverain sur lui-même, dans sa famille et dans son travail, alors seulement peut se poser la question de la souveraineté nationale. L’exercice de cette dernière peut se faire de façon démocratique à l’échelle locale où il reste possible de connaître directement les personnes, les enjeux et l’impact des décisions prises sur la vie quotidienne. À l’échelle nationale, la souveraineté doit être entière et un État souverain doit contrôler ses lois, sa justice, sa monnaie, ses frontières, et refuser toute soumission ou allégeance à une puissance étrangère. Un pays souverain doit chercher la plus grande autonomie possible, c’est à dire la capacité à subvenir par lui-même à la plupart de ses besoins alimentaires, énergétiques ou industriels. Sur le plan culturel, la souveraineté se manifeste par un refus de la colonisation mentale par des mœurs ou des codes culturels étrangers et la défense de l’esthétique, des traditions et des modes de vie, testés par le temps et transmis par nos ancêtres, qui constituent l’expression vivante du génie de notre peuple.

Cette souveraineté doit être protégée par une élite chargée de défendre le bien commun et de travailler sur le temps long. Pour garantir sa pérennité, cette élite doit se montrer capable de détecter et promouvoir les talents issus du peuple, de sanctionner et rétrograder ses membres incapables de tenir leur rang et surtout, de neutraliser tous ceux possédant une double allégeance ou susceptibles, par leurs discours, leurs comportements ou leurs opinions, de porter atteinte au prestige ou à l’unité nationale.

Dans le cas de la France, la défense de la souveraineté se révèle également indissociable de la défense de la foi chrétienne. Comme l’écrivait Joseph de Maistre : « Les souverainetés n’ont de force, d’unité et de stabilité qu’en proportion qu’elles sont divinisées par la religion. ». En effet, Dieu a fait les hommes libres et chercher à réduire cette souveraineté revient à défier la volonté du Créateur. Plus spécifiquement, Dieu a confié aux Francs, c’est à dire aux hommes libres, la mission de défendre, partout et en tout temps, la foi et l’Église catholiques :

Comme l’enseignait l’Évêque Saint Rémi à Clovis :

« Apprenez, mon fils, que le Royaume des Francs est prédestiné par Dieu à la défense de l’Église Romaine qui est la seule véritable Église du Christ (…). Il sera victorieux et prospère tant qu’il restera à la foi romaine mais il sera rudement châtié toutes les fois où il sera infidèle à sa vocation. »

Pour être vraiment libre et souveraine, la France doit accomplir la volonté de Dieu et les esprits modernes doivent surmonter ce paradoxe: la vraie liberté consiste à choisir le maître que nous allons servir.

Pour aller plus loin :

Du skin in the game

Jouer sa peau, Nassim Nicholas Taleb

Ce sang qui nous lie, Sylvain Durain

L’esprit familial, Henri Delassus, préface de Sylvain Durain

Joseph de Maistre sur la souveraineté et la religion

De l’infantilisation

« Malheur à toi, pays dont le roi est un enfant »

Ecclésiastes 10 :16

L’infantilisation généralisée constitue l’une des caractéristiques majeures de l’Occident contemporain. Au-delà de sa dimension psychologique et individuelle, ce phénomène affecte également le champ politique car une population bloquée au stade infantile est une population maintenue dans un état de dépendance, incapable de pensée ou de décisions autonomes et surtout, dans l’incapacité d’exercer toute forme de souveraineté.

Cette infantilisation trouve sa source dans la famille avec l’effacement, quand il ne s’agit pas de la disparition pure et simple, des pères de famille. Psychologiquement, l’homme, le père, est en effet celui dont la parole est porteuse d’objectivité, qui incarne l’autorité, fixe les limites et qui, le moment venu, fera entrer le jeune garçon dans la société des hommes. Or, aujourd’hui, quand les pères ne sont pas absents ou manquants, c’est-à-dire incapables d’assumer leur rôle de chefs de famille, ce sont les qualités viriles elles-mêmes qui se trouvent désormais dénoncées au nom de la lutte contre le « patriarcat », « la masculinité toxique » ou encore « le privilège blanc ».

Comme l’a démontré avec brio le sociologue et démographe Emmanuel Todd dans son livre « Où en sont-elles ? », depuis la fin des années 60, nous vivons dans des sociétés dominées par les femmes que ce soit via leur présence majoritaire dans l’enseignement supérieur, de leur surreprésentation dans les activités « productrices de normes » – journalisme, justice, enseignement, administration-, de la tertiarisation de l’économie qui se fait au détriment des activités primaires (agriculture) et secondaires (industrie) traditionnellement masculines et enfin, par l’inflation des normes, des règlements et des protocoles qui viennent entraver la tendance naturelle masculine à l’improvisation et à l’innovation. De son côté, l’essayiste et anthropologue Sylvain Durain a montré comment cette féminisation de la société ne constitue pas un progrès mais bien un retour aux sociétés archaïques des temps pré-chrétiens marquées par l’indifférenciation, le monisme (fusion de l’Homme et du cosmos) et surtout, du grand retour de la logique sacrificielle et des boucs-émissaires.

Non contentes d’avoir « castré » socialement, professionnellement et symboliquement les hommes et les pères, nos sociétés ont supprimé tous les rites de passage, religieux ou civiques, qui permettaient de symboliser la transition de l’état d’enfant à celui d’adulte. Quant aux rites de substitution, qu’il s’agisse du baccalauréat ou du permis de conduire, ils ne représentent pas de véritable enjeu et ne sont porteurs que d’une charge symbolique ou sacramentelle extrêmement faible. Cette absence de véritables rites de passage se trouve de surcroît aggravée par l’allongement de la durée des études. Là où les anciennes générations quittaient, pour l’essentiel, les bancs de l’école à leur majorité, les nouvelles sont maintenues, à dessein, dans ce statut, mi-enfant, mi-adulte, d’étudiant, tout en étant soumis, durant leurs années de formation, au tir de barrage incessant de la propagande progressiste et mondialiste. Sur ce point, il est d’ailleurs frappant de constater qu’aujourd’hui, les individus les plus matures et les plus adultes sont souvent ceux qui ont quitté l’école dès le plus jeune âge pour aller travailler dans des métiers en prise directe avec le réel comme l’hôtellerie/restauration, le commerce ou le bâtiment.

Pour finir, cette infantilisation généralisée rendue possible par l’absence des pères, la suppression des rites de passage et l’allongement de la durée des études se retrouve largement encouragée par la société dans son ensemble. En effet, la publicité, les médias et toutes les structures chargées de diffuser « l’esprit du temps » nous invitent en permanence à dépasser les limites, à satisfaire immédiatement nos désirs et à adopter des comportements et des attitudes en lien avec la jeunesse, soit l’opposé exact des vertus traditionnellement associées à la maturité et à l’âge adulte. Sur le plan visuel, une esthétique caractérisée par des couleurs vives ou criardes, des formes géométriques simples et un langage infantilisant s’est imposée dans la communication, y compris celle de l’État ou d’acteurs économiques traditionnellement « sérieux » tels que les banques et les assurances. En ce qui concerne le langage, l’emploi du prénom et le recours systématique au tutoiement se sont imposés, un phénomène dont Renaud Camus a montré dans « La civilisation des prénoms » en quoi il constituait l’expression d’une société d’enfants refusant la hauteur, la distance et, surtout rejetant l’importance des ancêtres et de la lignée. De façon plus générale, entre la satisfaction immédiate des désirs, le refus de la  frustration et des limites, l’abdication de toute forme de responsabilité, la jeunesse érigée en valeur suprême, l’extension du ludique à des activités sérieuses, l’horizon limité à un perpétuel présent, et la trottinette devenue soudainement un moyen de transport pour adultes, les sociétés occidentales sont désormais caractérisées par l’omniprésence des comportements infantiles à tous les âges et dans toutes les couches de la société.

Or, cette infantilisation de la société a pour conséquence directe la croissance de l’État et l’immixtion de la puissance publique dans un nombre croissant de domaines. Si la société est devenue un jardin d’enfants, il faut bien une maîtresse ou une nounou pour la surveiller. Jugé incapable de s’occuper de lui-même, de sa famille et de ses affaires, l’Homme de 2022 doit être intégralement pris en charge, de la naissance au tombeau, par Big Mother qui lui dit désormais ce qu’il doit faire, ce qu’il doit dire, ce qu’il doit manger, quand il a le droit de sortir, et surtout, ce qu’il a le droit de penser. En 2020-2021, la crise du Covid a marqué l’aboutissement de cette logique avec une population acceptant passivement d’être confinée puis vaccinée, en l’absence de bénéfices avérés, sous peine d’être grondée ou punie par la puissance publique maternelle.

En effet, comme tous les parents toxiques, l’État-nounou s’avère être extrêmement jaloux de ses prérogatives et n’accepte pas que « son » enfant s’émancipe et se trouve ainsi un jour en mesure d’échapper à son étroite supervision. Si l’État semble bienveillant avec tous ceux qui acceptent de jouer sagement et sans faire d’histoires dans l’enceinte du grand jardin d’enfants, il se révèle en revanche impitoyable et despotique envers tous ceux qui, rejetant sa tutelle, préfèrent s’éduquer, se soigner, s’informer, se protéger et se gouverner par eux-mêmes.

En matière de pouvoir, le maintien de toute une population dans un état infantile, c’est-à-dire incapable d’autonomie, de révolte ou de pensée libre reste le meilleur et le plus discret moyen de la dominer sans avoir recours à une forme de contrôle trop visible ou brutale. Pour lutter contre ce totalitarisme qui cherche à nous maintenir en enfance pour mieux nous soumettre et disposer à sa guise de nos corps comme de nos esprits, il nous appartient de (re)devenir des individus matures et autonomes et surtout, d’éduquer nos enfants  pour qu’ils deviennent eux aussi, à leur tour des hommes et des femmes véritablement libres.

 Pour aller plus loin :

De la bienveillance

Du féminisme

Des surdoués

“En tant qu’homme c’est votre devoir de protéger les faibles et les innocents. Pas de devenir le faible et l’innocent.”