Monthly Archives: November 2019

De l’effet d’ancrage

En psychologie, l’effet d’ancrage (anchoring) désigne un biais cognitif humain qui consiste à privilégier la première information reçue et à l’utiliser en tant que valeur de référence.

L’effet d’ancrage est une technique particulièrement utilisée en négociation ou en politique où elle se révèle particulièrement utile car elle permet de poser les termes de la discussion et de faire en sorte qu’il soit très difficile psychologiquement pour l’interlocuteur de s’en écarter.

Un exemple d’ancrage consiste à demander à des convives d’un repas de choisir entre fromage et dessert. En formulant les choses ainsi, vous avez « ancré » le choix.  Si suite à cela, un convive venait à demander s’il serait possible d’avoir fromage et dessert et pourquoi pas en plus un petit café, il passerait aux yeux de l’assemblée  pour quelqu’un d’exigeant, voire d’impoli.

De la même manière, l’effet d’ancrage explique pourquoi pour obtenir une augmentation de salaire significative, il est souvent préférable  de changer d’employeur, voire de métier plutôt que de rester dans la même entreprise. Même si vous le méritez, il est plus difficile pour votre ancien patron de vous payer 10 000€ de plus par an car c’est votre ancien salaire qui reste sa valeur de référence.

De tous temps, l’effet d’ancrage a été utilisé en politique pour défendre une position ou affaiblir celle de l’adversaire. Abraham Lincoln utilisa par exemple l’abolition de l’esclavage dans les Etats du Nord  comme effet d’ancrage dans ses négociations avec le sud esclavagiste comme le montre avec brio le film « Lincoln » de Steven Spielberg.

Aujourd’hui, aucun sujet n’illustre mieux l’utilisation de l’effet d’ancrage que celui du traitement de l’immigration. Le gouvernement français a par exemple annoncé récemment la mise en place de quotas sur l’immigration de travail et un durcissement des conditions d’accès à l’AME.

Ces décisions sont présentées par les commentateurs comme un « virage à droite » et des mesures dures.

Redoutable effet d’ancrage !

Un véritable virage à droite consisterait en réalité à ne plus accueillir de réfugiés, à expulser les clandestins, à mettre un terme au regroupement familial, à en finir avec le droit du sol, à déchoir de la nationalité française les criminels binationaux et de procéder à une remigration massive des populations indument naturalisées depuis quarante ans. Mais grâce à l’effet d’ancrage, des mesurettes à la portée limitée peuvent être présentées comme une politique de grande fermeté.

Le deuxième bonus de l’effet de l’ancrage est justement de présenter ceux qui osent sortir du cercle étroit des choix qu’il a tracé comme des extrémistes ou des gens déraisonnables.

Même si vous pouvez démontrer par A + B que le marché immobilier est surévalué d’environ 70%, vous aurez bien du mal à faire admettre au vendeur que le bien qu’il espérait vous vendre 100 000€ ne vaut en réalité que 30 000€ sans passer pour un idiot peu conscient de la réalité du marché.

Comprendre la puissance de l’effet d’ancrage, c’est comprendre l’importance du contrôle des médias et plus généralement des sources d’information par le pouvoir. En effet, dans nos sociétés contemporaines, ce sont les médias qui pour l’essentiel définissent les termes de l’ancrage.  Par le registre lexical, le choix des thématiques, des données ainsi que celui des intervenants, ces derniers ancrent dans l’esprit du public les valeurs de référence.

Celui qui contrôle les médias contrôle en réalité ce qui est considéré  par une société comme la norme raisonnable. Sur le plan politique, il est notamment amusant de constater par exemple que des thèmes ou des idées considérés comme appartenant à l’ultra-droite en France sont considérés comme de centre-droit dans des pays comme la Russie, la Hongrie ou la Pologne. A chaque pays, son ancrage.

Éviter les pièges tendus par l’ancrage demande une discipline mentale de fer.

Pour un négociateur, il faut dès le début  recadrer le débat en accusant au passage  l’interlocuteur de nous prendre pour un imbécile ou de nous manquer de respect.  Une fois l’ancrage établi, sortir du cercle tracé par celui-ci suppose une force de caractère et une indifférence au fait d’être traité d’extrémiste, d’idéaliste ou de dur en affaires. Sur le plan social et médiatique, le meilleur antidote reste encore de s’exposer le moins possible aux termes de l’ancrage pour ne pas l’intérioriser et au contraire aller chercher ce qu’on appelle les biais de confirmation pour se prémunir mentalement.

Face à l’effet d’ancrage, comme le capitaine pris dans la tempête,  il ne faut surtout pas chercher à jeter l’ancre mais plutôt chercher à son garder son cap et continuer à suivre son étoile.

De l’intégration

Modèle de ségrégation de Schelling

“Ceux qui prônent l’intégration ont une cervelle de colibri, même s’ils sont très savants.” Charles de Gaulle

C’est le nouveau mantra que répète à l’envi la classe politique et médiatique : il faut intégrer.

Il faut les intégrer. Qui ? Ces populations d’origine étrangère dont depuis quarante ans le nombre s’accroît  chaque année un peu plus un peu plus en France. Dans l’esprit de nos dirigeants, l’étranger intégré, c’est celui qui occupe une activité professionnelle stable, qui respecte les lois de la République et qui évite de voiler trop ostensiblement sa femme ou d’agresser trop régulièrement les pompiers.  Le problème, c’est que tout « intégré» qu’il soit, cet étranger contribue à détruire chaque jour un peu plus la Nation.

En quelques décennies, la France a  en effet connu une modification spectaculaire  de ses exigences envers les nouveaux venus  via un glissement sémantique subtil mais significatif. Autrefois, il était attendu des populations étrangères non pas qu’elles s’intègrent mais qu’elles s’assimilent. S’assimiler, cela signifie laisser derrière soi son origine pour devenir pleinement français en adoptant les mœurs, les coutumes et l’histoire de France. S’assimiler, c’est faire comme Napoléon qui disait : “De Clovis au Comité de Salut Public, j’assume tout”.

Aujourd’hui laxiste et impuissante, la République sut  pourtant être ferme  et impitoyable sur la question de l’assimilation. En 1870 avec les décrets Crémieux, elle offrit aux populations indigènes d’Algérie la possibilité de devenir pleinement français. Les juifs acceptèrent de s’assimiler ; les musulmans le refusèrent, préférant conserver le “statut personnel”, autrement dit la charia. Au début du XXème siècle, la République expulsa des millions d’italiens et de polonais non assimilés et dans des provinces comme l’Alsace, elle mena à l’école et dans l’espace public une guerre impitoyable aux identités et aux langues régionales. Qu’on l’approuve ou non, la République avait à l’époque un projet : faire de la France une nation républicaine et elle savait se donner  les moyens d’atteindre cet objectif.

A partir des années 70, sous la pression de l’immigration de masse et de l’idéologie antinationale, il ne fut soudain plus question d’assimiler mais d’intégrer. Cela signifiait que désormais chaque « communauté » allait pouvoir continuer à vivre en France en conservant ses mœurs, ses coutumes et son appartenance affective, culturelle  et parfois même juridique à son pays d’origine.  En théorie, la République et ses lois devaient être le ciment chargé de rendre cette cohabitation possible et faire de ses communautés disparates une nation. En pratique, il y eut une explosion du communautarisme et une perte du sentiment d’appartenance collective dans un pays qui, contrairement aux Etats-Unis, ne s’était jamais construit sur un tel modèle.

L’intégration, c’est en réalité la destruction de la nation et l’affaiblissement de la France.

Quant à l’assimilation, il est désormais trop tard et ceux qui la prônent sont des « cervelles de colibri » qui n’ont toujours rien compris au film. Quarante ans d’intégration ratée ont conduit des pans entiers du territoire et des populations qui se comptent en millions à faire sécession. Aujourd’hui, le véritable enjeu consiste à reprendre ses territoires perdus par la République et à expulser hors de la communauté nationale tous ceux qui s’en sont volontairement détachés.

Malheureusement, ceux qui dirigent la France n’ont pas encore compris l’absurdité complète de « chercher à intégrer » ou de mettre en œuvre des « politiques d’intégration ».  En effet, l’adhésion à un projet politique et l’assimilation  à un peuple ne peuvent être que des démarches volontaires.

Vouloir intégrer, c’est comme chercher à marier de force deux êtres qu’aucun élan du cœur n’attire l’un à l’autre et c’est surtout entretenir la logique communautariste qui contribue à la destruction de la France ainsi qu’à son archipélisation.

Certains français d’origine étrangère, peu nombreux, ont fait volontairement le choix de s’assimiler à la France. Ils ont compris sa grandeur, apprécié son génie et vu l’intérêt qu’ils avaient à associer leur destin à celui d’un si grand peuple. Ceux-là sont en chemin pour devenir de vrais français et la France doit leur réserver le meilleur accueil possible.

En revanche, tous ceux qu’il faut  sans cesse chercher à intégrer avec une débauche de dépenses aussi coûteuses qu’inutiles et qui de toute évidence n’aiment ni la France, ni son peuple  doivent être, expulsés de la communauté nationale, quand bien même la citoyenneté française leur eut elle été indument octroyée. La France leur a offert une chance extraordinaire, ils n’ont pas su la saisir.

Tant pis pour eux.

De l’Intellectuel-mais-Idiot (IMI)

Traduction de l’article publié en anglais par Nassim Nicholas Taleb sur Medium en 2016. Quelques libertés ont été prises par rapport à l’article original pour adapter son contenu et ses exemple à un public français. L’esprit du texte a été rigoureusement respecté.

Extrait du livre « Jouer sa peau » (Les Belles Lettres) – « Skin in the Game » (Random House)

“De l’Inde à l’Angleterre en passant par les Etats-Unis, nous sommes les témoins à l’échelle mondiale d’une révolte contre la cabale des « experts » et des journalistes du système sans « skin in the game », cette classe de semi-intellectuels paternalistes diplômés de l’ENA, d’HEC, de Sciences-Po ou d’établissements similaires aux diplômes prestigieux qui s’arrogent le droit de nous dire  1) ce que nous devons faire 2) ce que nous devons manger 3) comment parler 4) comment penser et… 5) pour qui voter.

Le problème, c’est que les borgnes suivent les aveugles : ces membres auto-proclamés de l’intelligentsia seraient incapable de trouver leur derrière avec leurs deux mains, c’est-à-dire qu’ils ne sont pas assez intelligents pour définir ce qu’être intelligent veut dire et que par conséquent, ils restent prisonnier de raisonnements circulaires, leur principale compétence étant au final de passer des examens conçus par des gens comme eux.

Quand les résultats d’articles de recherche en psychologie peuvent être répliqués dans seulement 40% des cas, quand les conseils diététiques changent du tout au tout après 30 ans de diabolisation de la matière grasse, quand l’analyse macro-économique est moins fiable que l’astrologie, quand vous avez Bernanke nommé à la FED (réserve fédérale américaine) alors qu’il est complètement à la ramasse sur les risques pesant sur le système financier et que vous avez des tests pharmaceutiques dont les résultats ne peuvent être répliqués qu’une fois sur trois, vous avez tout à fait le droit de vous en remettre à votre instinct ancestral ou d’écouter vos grand-mères (ou Montaigne et tout autre savoir classique éprouvé par le temps) car ces bonnes vieilles recettes offrent de meilleurs résultats que tous ces pseudo-experts en costume.

Il n’est pas difficile de constater que ces bureaucrates universitaires qui s’arrogent le droit de gérer nos vies ne sont même pas rigoureux en matière de statistiques médicales ou de politiques publiques. Ils ne savent pas faire la différence entre la science et le scientisme. Pour leurs esprits obsédés par l’image, le scientisme a l’air plus scientifique que la véritable science (par exemple, il est trivial de montrer que tous ceux qui à l’instar de Cass Sunstein ou de Richard Thaler cherchent à nous « nudger » vers certains comportements, qu’ils classifieraient comme « rationnels » ou « irrationnels » (ou tout autre catégorie indiquant une déviation d’un protocole désiré ou prescrit)  ne comprennent la théorie des probabilités et utilisent les modèles de premier ordre de façon cosmétique). Ils sont également enclins à confondre l’ensemble avec l’agrégation linéaire de ses composants, comme nous l’avons vu dans le chapitre consacré à l’extension de la règle minoritaire.

***

L’Intellectuel-mais-Idiot est une production de la modernité qui a connu une accélération à partir de la moitié du vingtième siècle pour atteindre aujourd’hui son apogée, accompagné par une cohorte de gens sans skin in the game qui ont envahi de nombreux pans de la société.  Pourquoi ? Tout simplement parce que dans la plupart des pays, le poids du gouvernement est entre cinq et dix fois plus important que ce qu’il était il y a encore un siècle (exprimé en pourcentage du PIB). L’IMI semble être désormais à tous les coins de rue mais représente encore une toute petit minorité. On le retrouve rarement hors de certaines institutions spécialisées : think-tanks, medias et universités car la plupart des gens ont des vrais métiers et il n’y a pas beaucoup de postes vacants pour les IMI.

Méfiez-vous du semi-érudit qui pense qu’il est un érudit.

Il est incapable de détecter naturellement le sophisme.

L’IMI psychiatrise les autres lorsqu’ils font des choses qu’il ne comprend pas sans se rendre compte qu’en l’occurrence,  c’est sa compréhension qui est limitée. Il pense que les gens devraient agir dans leur intérêt et lui seul sait comment agir en ce sens, surtout s’il s’agit de ploucs ou d’habitants de la France profonde qui votent pour le FN ou pour le « Non » au référendum de 2005.

Quand les plébéiens font quelque chose qui a du sens pour eux mais non pour lui, l’IMI emploie le terme « non-éduqué ». Ce que nous appelons généralement la participation au processus démocratique, l’IMI le désigne par « démocratie » quand cela lui convient et par « populisme » quand la plèbe ose voter d’une façon qui va à l’encontre de ses préférences.

Alors que les riches prônent le « un euro, une voix », les plus humanistes le « un homme, une voix, » Monsanto le  « un lobbyiste, une voix, », l’IMI prône le « un diplômé de l’ENA, une voix » ou équivalent pour toute autre établissement d’ « élite » faisant partie du club.

Socialement, l’IMI est abonné au Monde ou au Nouvel Obs. Il n’est jamais grossier sur Twitter. Il parle de l’ « égalité des races » et d’ « égalité économique » mais n’a jamais été boire un verre avec un conducteur de taxi issu d’une minorité ethnique (une fois de plus, pas de skin in the game car le concept est étranger à l’IMI). Les IMI du Royaume-Uni ont été embobinés par Tony Blair. L’IMI moderne a assisté à plus d’un Ted talks en personne et en a regardé plus de deux sur Youtube.

Non seulement il a voté pour Hillary-Monsanto-Malmaison parce qu’elle était la mieux placée, et autre raisonnement circulaire du même acabit mais en plus il considère tous ceux qui n’ont pas fait de même comme mentalement perturbés.

L’IMI possède un exemplaire du « Cygne Noir » (livre de Taleb) dans sa bibliothèque mais confond l’absence de preuve avec la preuve d’absence. Il croit que les OGM sont de la « science » et que cette « technologie » ne diffère en rien des méthodes de reproduction traditionnelles du fait de sa capacité à confondre la science avec le scientisme.

Typiquement, l’IMI ne se trompe pas sur la logique de premier ordre mais les effets de second ordre ou les externalités lui échappent complètement le rendant totalement incompétent dans les domaines complexes. Du confort de son appartement de Saint-Germain-des-Prés, il était partisan de la « neutralisation » de Kadhafi parce qu’il était un « dictateur », sans réaliser que les neutralisations ont des conséquences (n’oubliez pas que parce qu’il n’a pas de skin in the game, il ne paie pas le prix de ses erreurs).

Sur le stalinisme, le maoïsme, les OGM, l’Irak, la Syrie, les lobotomies, l’aménagement urbain, les régimes, le fitness, la psychologie comportementale, les acides gras insaturés,  le freudisme, les stratégies de diversification, la régression linéaire, la gaussienne, le salafisme, l’équilibre dynamique stochastique, les ghettos urbains, le gène égoïste, les prédictions électorales, Bernie Madoff (avant sa chute) et les valeurs p-, l’IMI a toujours été du mauvais côté de l’Histoire mais cela ne l’empêche pas de penser que sa position actuelle est la bonne.

L’IMI fait partie d’un club pour bénéficier de réductions sur ses voyages. S’il travaille dans les sciences sociales, il utilise des statistiques sans savoir comment elles sont dérivées (comme Steven Pinker et autres psychocharlatans). Quand il va en France, il assiste à des conférences organisées par le Monde ou Courrier International ; il boit du vin rouge avec ses steaks (jamais du blanc) ; il pensait que le gras était mauvais maintenant il pense le contraire ; il prend des statines parce que son docteur lui a dit d’en prendre ; il ne comprend pas le concept d’ergodicité  et quand on lui explique, il l’oublie aussitôt ; il n’utilise pas des mots de yiddish pour parler business ; il étudie la grammaire avant de parler une langue ; il a cousin qui travaille dans un cabinet ministériel, il n’a jamais lu Frédéric Dard, Libanius Antiochus, Michael Oakeshot, John Gray, Amianus Marcellinus, Ibn Battuta, Saadiah Gaon, ou Joseph De Maistre ; il ne s’est jamais bourré la gueule avec des Russes ; il n’a jamais bu jusqu’au point où l’on commence à casser des verres ou mieux encore, des chaises ; il ne sait pas faire la différence entre Hécate et Hécube (ou comme on dit par chez moi, il ne sait pas faire la différence entre la merde et l’andouillette) ; il ne sait pas qu’il n’y a aucune différence entre le pseudo-intellectuel et l’intellectuel quand il n’y a pas de skin in the game ; il a mentionné la mécanique quantique au moins deux fois au cours des cinq dernières années dans des conversations qui n’avaient  rien à voir avec la physique.

Il sait exactement à tout instant l’impact de ses actes et de ses paroles sur sa réputation.

Mais il y a un critère encore plus facile pour le détecter : il ne soulève pas de la fonte.

***

Les aveugles et les très aveugles

Arrêtons un instant d’être satirique.

Les IMI ne savent pas faire la différence entre la lettre et l’esprit.

Ils sont tellement aveuglés par des notions verbales telles que la science, l’éducation, la démocratie, le racisme, l’égalité, la preuve, la rationalité et autres termes à la mode qu’il est très facile de les embobiner. Par conséquent, ils peuvent créer des iatrogéniques (des dégâts causés par le médecin) monstrueux sans aucun sentiment de culpabilité parce qu’ils sont convaincus qu’ils voulaient bien faire, ce qui leur permet d’ignorer l’effet de leurs actions sur le monde réel.

Tout le monde se rirait du docteur qui manquerait de tuer son patient mais qui se défendrait en affirmant qu’il a réussi à diminuer son taux de cholestérol, sans comprendre qu’une mesure corrélée à la santé n’est pas la santé – la médecine a eu besoin de plusieurs siècles pour comprendre qu’il fallait qu’elle s’intéresse à la santé et non à l’exercice de ce qu’elle considérait comme une « science » et que par conséquent, ne rien faire était souvent préférable (via negativa). Et pourtant, dans un autre domaine, disons la politique étrangère, un néo-conservateur qui n’a pas conscience de cette déficience mentale ne ressentira aucune culpabilité après avoir détruit un pays comme la Lybie, l’Irak ou la Syrie au nom de la « démocratie ». J’ai essayé d’expliquer la via negativa à un néo-conservateur, ce fut comme essayer d’expliquer ce qu’est la couleur à un aveugle de naissance.

Les IMI seront satisfaits parce qu’ils ont donné de l’argent à un groupe ayant pour objectif de « sauver les enfants » et qui passera son temps à faire des powerpoints et à organiser des conférences sur comment sauver les enfants, sans jamais voir le problème.

De la même manière, les IMI sont régulièrement incapables de faire la différence entre une institution (par exemple le milieu universitaire et les diplômes) et le but véritable (la connaissance, la rigueur dans le raisonnement), j’ai même vu un universitaire français dénigrer un grand mathématicien ayant contribué utilement à son domaine parce que celui-ci n’était pas allé à la “bonne école”  quand il avait dix-huit ans.

La propension à cette déficience mentale est sans doute partagée par tous les humains, c’est peut-être une tare consubstantielle,  mais elle a tendance à disparaître avec du skin in the game.

Post-Scriptum :

L’élection de Donald Trump fut tellement absurde pour les IMI et tellement incompatible avec leur vision du monde qu’ils se révélèrent incapables de trouver les instructions sur la façon de réagir dans leurs manuels. C’était exactement comme un épisode de « Caméra Cachée » : le visage de quelqu’un à qui on vient de jouer un sacré tour et qui ne sait absolument pas comment réagir. Ou pour dire les choses autrement, l’expression de quelqu’un qui, se croyant heureux en ménage, rentre chez lui à l’improviste et trouve sa femme au lit avec un déménageur.

Tout ce que les experts, les sondeurs, les superprévisionnistes, les politologues, les psychologues, les intellectuels, les consultants, les spécialistes du Big Data, pensaient savoir se révéla totalement bidon. Ainsi, mon rêve de mettre un rat sous la chemise de quelqu’un (comme je l’ai exprimé dans le Cygne Noir) devint soudain réalité.”

Note du traducteur :

Bien avant Nassim Nicholas Taleb, le Général De Gaulle avait déjà identifié les IMI qu’il appelait les « cervelles de colibri ».

Extrait de « C’était de Gaulle » d’Alain Peyrefitte :

« Ceux qui prônent l’intégration ont une cervelle de colibri, même s’ils sont très savants. Essayez d’intégrer de l’huile et du vinaigre. Agitez la bouteille. Au bout d’un moment, ils se sépareront de nouveau. Les Arabes sont des Arabes, les Français sont des Français. Vous croyez que le corps français peut absorber dix millions de musulmans, qui demain seront vingt millions et après-demain quarante ? Si nous faisions l’intégration, si tous les Arabes et les Berbères d’Algérie étaient considérés comme Français, comment les empêcherez-vous de venir s’installer en métropole, alors que le niveau de vie y est tellement plus élevé ? Mon village ne s’appellerait plus Colombey-les-Deux-Églises, mais Colombey-les-Deux-Mosquées… »

Du wokisme d’entreprise

«  La forme la plus élevée de l’art de la guerre n’est pas de se battre mais de corrompre tout ce qui a de la valeur dans le pays de votre ennemi jusqu’au moment où la perception de votre ennemi est tellement déformée qu’il ne vous perçoit même plus comme un ennemi. »

Yuri Bezmenov

En avril 2023, la célèbre marque de bière américaine « Bud Light », propriété du groupe Anheuser Busch Inbev, lançait une campagne publicitaire mettant en scène l’influenceur transgenre Dylan Mulvaney. Une semaine plus tard, la capitalisation boursière de l’entreprise perdait 6 milliards de dollars suite à l’effondrement de ses ventes. Entre 2005 et 2016, le NASCAR, le sport automobile le plus populaire des États-Unis avait connu un déclin tout aussi spectaculaire de ses spectateurs après avoir pris le virage de « l’inclusivité », son président Mike Helton allant jusqu’à déclarer en 2006 que : « nous sommes convaincus que l’héritage redneck (bouseux, cul-terreux) du sud des États-Unis sur lequel était fondé ce sport n’existe plus. Mais nous avons aussi conscience que nous devons faire un effort pour aider d’autres personnes à le comprendre. »

Dans son livre publié « Corporate Cancer » publié en 2019, l’auteur et éditeur Theodore Beale (Vox Day) a révélé les facteurs qui conduisent des entreprises prospères, bien établies et parfois en pleine croissance, à se saborder en lançant des campagnes de communication désastreuses et en se mettant à dos leurs clients les plus fidèles. L’explication donnée par Beale de ce phénomène est la prise de contrôle et la destruction progressive d’une entreprise par l’idéologie progressiste, un processus auquel il a donné le nom de « convergence ». Selon Beale, la progression de cette idéologie au sein d’une l’entreprise peut être comparée à un cancer dont l’évolution correspondrait aux phases suivantes :

1) Infiltrée

L’entreprise compte des employés progressistes mais ils n’exercent aucune influence au sein de l’entreprise. Celle-ci est concentrée sur la production de biens et services conformes à son objet social. Le recrutement continue à se faire sur la base du mérite et des compétences.

2) Convergence légère

Les progressistes ont réussi à infiltrer leurs départements de prédilection que sont les ressources humaines et le marketing mais n’exercent pas encore d’influence sur la direction ou la stratégie de l’entreprise. Celle-ci commence à parler d’inclusivité ou de diversité mais ne modifie pas en profondeur sa communication, ses produits ou ses processus de recrutement, même si certains signes discrets de convergence peuvent commencer à apparaître.

3) Convergence modérée

les progressistes ont réussi à prendre le contrôle du département des ressources humaines qu’ils utilisent pour faire pression sur le reste de l’organisation. Le marketing commence à se soucier davantage d’afficher son « progressisme » que de vendre les produits de l’entreprise. Les managers sont encouragés à recruter des candidats issus de la « diversité » et à ne plus sanctionner les employés incompétents ou improductifs. Des consultants en « inclusivité » commencent à organiser des sessions de formation pour « sensibiliser » le reste de l’organisation.

4) Convergence lourde

Les « progressistes » ont pris le contrôle de tous les départements stratégiques. Des membres de la direction sont « progressistes » et affichent ouvertement leur soutien à cette idéologie. Le département RH impose ses vues sans même consulter la direction. Le marketing fait non seulement référence aux valeurs « progressistes » de l’entreprise mais les défend de façon militante. L’entreprise délaisse ses consommateurs historiques pour se concentrer sur des marchés qui n’existent que dans l’imagination de ses responsables « progressistes ».

5) Convergence totale

Toutes les ressources de l’entreprise sont mises au service de causes « progressistes » qui n’ont plus aucun rapport avec l’activité de départ. Le département RH est devenu une nouvelle Inquisition qui peut imposer ses vues à la direction. La communication de l’entreprise est tellement saturée de déclarations progressistes qu’il est presque impossible de déterminer la nature réelle de son activité. L’entreprise n’a plus que mépris pour ses consommateurs historiques. « La convergence remplace le principe selon lequel le client a toujours raison par le principe de justice sociale selon lequel le client mécontent est forcément raciste, sexiste, conservateur et qu’en conséquence, ses remarques peuvent être ignorées. » (Corporate Cancer p,15)

Cette grille d’analyse permet de comprendre pourquoi la diffusion du « progressisme » au sein d’une entreprise conduit rapidement à la ruine de cette dernière. Dans son livre, Beale donne des exemples très concrets de l’explosion des coûts induite par la convergence d’une entreprise et estime qu’une fois le processus enclenché la perte de CA peut atteindre jusqu’à 20 % en l’espace d’un an. Beale prend néanmoins la peine de préciser que des signes « légers » de convergence ne doivent pas conduire à une surréaction de la part de la direction et qu’il existe une réelle différence entre une entreprise en phase de convergence et un simple discours marketing visant à satisfaire un segment de marché spécifique.

Il est intéressant de souligner, qu’en théorie, une économie de marché devrait conduire à l’élimination rapide d’une entreprise dysfonctionnelle ou incapable de satisfaire les exigences de ses clients. Or, comme le souligne à juste titre l’auteur de « Corporate Cancer », la poursuite de ces stratégies ou de ces positionnements désastreux aussi bien pour l’image des entreprises que pour leurs bilans prouvent que ce qui se joue ici dépasse la simple question économique et démontre la réalité d’un système ayant désormais pour objectif avoué de « changer la société et faire évoluer les mentalités ».

Prenons par exemple le cas d’une équipe de basketball totalement inclusive, c’est à dire qui ne sélectionnerait plus ses joueurs sur leur capacité à bien jouer au basket mais de façon à représenter toute la diversité des tailles, des genres, des poids ou des orientations sexuelles. Ces critères conduiraient vraisemblablement l’équipe à perdre tous ses matchs et à n’avoir que très peu de fans. Mais au lieu de faire faillite et de disparaître, cette équipe continueraient d’être soutenue, pour des raisons idéologiques, par des entreprises ou des sponsors eux-mêmes « progressistes ». Et même si ces sponsors venaient à faire défaut, cette équipe pourrait continuer d’être financée par des fonds publics ou associatifs au nom de la promotion de la diversité. Dans une telle configuration, la fonction première de cette équipe ne serait même plus de bien jouer au basket et de gagner des matchs mais d’être un porte-étendard de cette nouvelle religion du « progressisme » et de la « diversité ». Avant Beale, l’anthropologue David Graeber avait déjà mis en évidence, dans son célèbre article consacré aux « bullshit jobs », la contradiction d’un système prétendant être gouverné par une rationalité économique extrême mais acceptant dans le même temps de financer un grand nombre de métiers totalement improductifs et inutiles, aussi bien pour l’entreprise que pour la société.

Ces analyses permettent de mieux comprendre pourquoi nous nous trouvons aujourd’hui au cœur d’une nouvelle guerre de religion dans laquelle une oligarchie mondialiste utilise son contrôle total d’un capitalisme de connivence pour imposer son projet politico-religieux à l’ensemble de la société. Une fois que vous comprenez que le système économique n’est plus là pour produire de la richesse mais pour convertir les masses à une nouvelle religion via un gigantesque programme d’ingénierie sociale, tout devient plus clair.

Comme je l’ai expliqué dans mon essai consacré à la guerre hors limites, les peuples occidentaux sont aujourd’hui impliqués, qu’ils le veuillent ou non, dans une guerre sans pitié qui vise à détruire leur société et leur civilisation. En conséquence, il est capital que les acteurs de la vie économique, salariés, indépendants, dirigeants, entrepreneurs, recruteurs, investisseurs, prennent conscience de la réalité de cette guerre et du rôle joué par l’infiltration progressiste des entreprises dans cette dernière.

La grille d’analyse développée par Beale et présentée dans cet essai devrait ainsi leur permettre de mieux comprendre :

1) le péril mortel que le wokisme représente pour leurs entreprises et l’activité économique en général.

2) la nécessité de créer un indice de « convergence » ou de « wokisme » afin de permettre aux investisseurs, aux banquiers, aux fournisseurs et aux clients de mesurer le niveau d’infiltration d’une entreprise par le progressisme et le risque de défaillance associé.

3) le besoin urgent pour les dirigeants ou les comités de direction d’identifier et de neutraliser les éléments subversifs au sein des organisations dont ils ont la charge, dans le plus grand respect de la législation en vigueur sur les discriminations.

4) que ce combat s’inscrit dans une guerre politique, culturelle et spirituelle bien plus large où se joue aujourd’hui l’avenir de la civilisation occidentale et dans laquelle les activistes « progressistes » jouent le plus souvent le rôle des « idiots utiles » (Lénine).

Pour finir, il est important de noter que le combat ne se fait pas à armes égales. Autant lorsqu’elle vise à préserver une organisation saine de l’infiltration, de la subversion ou de la déviance, la discrimination sous toutes ses formes est aujourd’hui interdite et condamnée ; autant celle-ci devient acceptable et même de rigueur, lorsqu’il s’agit de d’identifier, de stigmatiser et même de priver de leur gagne-pain, tous ceux accusés par l’auto-proclamé « camp du bien » de faire obstacle à une société diverse, inclusive et enfin libérée de ses préjugés « toxiques ».

Face à ce véritable cancer qui détruit actuellement les entreprises et les organisations, il ne suffit donc plus d’ériger des positions défensives ou de se contenter de déclarations de principes. Dans un monde où ce sont les fous qui ont pris le contrôle de l’asile, il est temps que les adultes reprennent les choses en main, sifflent la fin de la récréation et ramènent, calmement mais fermement, les patients dans leurs cellules.

Pour aller plus loin :

Corporate Cancer, Vox Day (recommandé)

Explications du wokisme par les indices CEI/ESG

Le CEI (Corporate Equality Index) est une sous-catégorie de l’ESG (gouvernance d’entreprise sociale et environnementale) poussée par les trois plus grands fonds d’investissement au monde que sont Blackrock, Vanguard et State Street. Ces fonds n’hésitent pas à mettre la pression sur les entreprises dont ils sont les principaux actionnaires pour que celles-ci appliquent les principes de l’ESG. En 2018, Larry Fink, le PDG de Blackrock et instigateur de l’ESG avait écrit une lettre dans lequel il exigeait la mise en place d’un nouveau mode de gouvernance aligné sur les valeurs ESG sous peine de voir les entreprises perdre le soutien des investisseurs.

Campagne Bud Light

De la guerre hors limites (Vol II)

Du léninisme biologique (Vol II)

Des bullshit jobs (vol III)

Subversion Yuri Bezmenov

Des “Bullshit Jobs”

Extraits d’un article David Graeber publié en août 2013 par le site Strike sous le titre original « On the phenomenon of bullshit jobs »

Traduit de l’anglais par Stanislas Berton

En 1930, John Maynard Keynes avait prédit que d’ici la fin du siècle, la technologie aurait connu des progrès suffisants pour que l’Angleterre et les États-Unis puissent mettre en place la semaine de travail de quinze heures. Nous avons toutes les raisons de penser que sa prédiction était juste. D’un point de vue technique, nous en sommes capables. Et pourtant, cela ne s’est pas produit. Au contraire, la technologie a été mise à contribution pour trouver des moyens de nous faire travailler davantage. Pour arriver à ce résultat, il a fallu créer des emplois qui sont, dans les faits, totalement inutiles. Un nombre important de gens, en Europe et aux États-Unis, passent ainsi l’intégralité de leur vie professionnelle à accomplir des tâches dont ils pensent secrètement qu’elles n’ont aucune raison d’être accomplies. Les dégâts moraux et spirituels causés par cet état de fait sont profonds. C’est une cicatrice sur notre psyché collective. Et pourtant pratiquement personne n’en parle.

Pourquoi l’utopie promise par Keynes, encore attendue avec impatience dans les années soixante, ne s’est-elle jamais matérialisée ? De nos jours, l’explication habituelle est qu’il n’avait pas prévu l’augmentation spectaculaire de la consommation. Entre travailler moins d’heures et posséder davantage de jouets et de plaisirs, nous avons collectivement choisi la deuxième option. Cette explication constitue peut-être une bonne leçon de morale mais y réfléchir un seul instant suffit pour comprendre qu’elle ne peut pas être vraie. Certes, nous avons été témoins depuis les années 20 de la création d’une variété infinie de nouvelles activités et d’industries mais très peu d’entre elles ont un rapport avec la production et la distribution de sushis, d’IPhones ou de baskets dernier cri.

Alors quelle est précisément la nature de ces nouveaux emplois ? Un rapport récent comparant l’emploi aux États-Unis entre 1920 et 2000 nous en donne une vision assez claire (à noter que cette évolution se retrouve également en Grande-Bretagne). Au cours du siècle précédent, le nombre de travailleurs employés en tant que domestiques, dans l’industrie ou l’agriculture s’est effondré de façon spectaculaire. Dans le même temps, les effectifs dans les emplois managériaux, administratifs, commerciaux et plus généralement dans les services ont triplé, passant d’un quart aux trois-quarts de l’emploi total. Pour dire les choses autrement, les emplois productifs ont, comme prévu, été largement automatisés (même si vous comptez les emplois industriels à l’échelle mondiale en incluant les masses laborieuses de l’Inde et de la Chine, ces emplois ne représentent pas une part aussi importante de la population active qu’ils l’étaient par le passé).

Mais plutôt que d’avoir conduit à une réduction massive du temps travail afin de rendre la population mondiale libre de poursuivre ses propres projets, ses plaisirs, ses visions et ses idées, nous avons assisté à une explosion, non pas tant du secteur des« services » mais du secteur administratif, jusqu’à la création de nouvelles industries comme l’industrie des services financiers, le télémarketing, ou l’expansion sans précédent de certains secteurs d’activité comme le droit d’entreprise, les cadres administratifs universitaires ou médicaux, les ressources humaines et les relations publiques. Et ces chiffres ne tiennent pas compte de tous ces gens dont le travail consiste à apporter un soutien administratif, technique ou sécuritaire à ces industries, sans parler de toutes ces industries annexes (toiletteurs pour chien, livreurs de pizzas) qui n’existent que parce les gens des autres industries sont trop occupés pour réaliser eux-mêmes ces tâches.

Tout cela constitue ce que je propose d’appeler des « bullshit jobs » ( les emplois bidons)

C’est comme si quelqu’un s’amusait à inventer ces emplois inutiles juste pour continuer à nous faire travailler. Et c’est là qu’est l’énigme. Dans un système capitaliste, c’est justement le genre de chose qui n’est pas censé se produire. Dans les anciens pays soviétiques notoirement inefficaces tel que l’URSS où le travail était considéré comme un droit et un devoir sacré, le système créait autant d’emplois que nécessaire (c’est pour cela qu’en URSS, il fallait trois vendeurs pour vendre un seul bout de viande). Mais en revanche, c’est exactement le problème qu’une économie de marché est censée résoudre. Selon la théorie économique, la dernière chose que va faire une entreprise qui cherche à dégager un profit c’est de verser de l’argent à des gens qu’elle n’a pas vraiment besoin d’employer. Et pourtant, c’est bien ce qui se passe.

Quand les entreprises se livrent à d’impitoyables réductions de la masse salariale, les licenciements et autres dégraissages frappent inévitablement la catégorie de gens qui contribuent à produire, à transporter, à réparer et à effectuer la maintenance alors que par le biais d’une étrange alchimie que personne ne parvient véritablement à expliquer, le nombre de bureaucrates salariés semble en progression constante et de plus en plus d’employés se retrouvent, comme les travailleurs de l’Union Soviétique, à travailler quarante à cinquante heures par semaine en théorie mais à en travailler véritablement quinze, comme l’avait prédit par Keynes, le reste du temps étant passé à organiser ou à assister à des séminaires de motivation, mettre à jour des profils Facebook ou à jouer à des jeux sur un navigateur Internet.

La réponse n’est manifestement pas économique : elle est morale et politique. La classe dirigeante a compris qu’une population heureuse et productive avec du temps libre représente un danger mortel (pensez à ce qui a commencé à se produire quand nous nous sommes approchés de cette situation dans les années soixante). Et d’un autre côté, le sentiment que le travail possède une valeur morale en tant que tel et que quiconque n’accepte pas de se soumettre à une intense discipline de travail durant ses heures ouvrées mérite bien son sort, est une idée extrêmement utile pour ceux qui nous dirigent.

Un jour, alors que je considérais la croissance en apparence infinie des responsabilités administratives dans un département universitaire britannique, je fus saisi par une certaine vision de l’enfer. L’enfer est un groupe de gens qui passent l’essentiel de leur temps à accomplir une tâche qu’ils n’aiment pas et pour laquelle ils n’ont aucun talent particulier. Admettons qu’ils aient été embauchés parce qu’ils étaient d’excellents menuisiers et qu’ils découvrent qu’ils doivent passer l’essentiel de leur temps à faire frire du poisson. En plus, cette tâche est globalement inutile dans le sens où il n’y a qu’un nombre limité de poissons qui ont besoin d’être frits. Et pourtant, ils deviennent malades de jalousie à l’idée que certains de leurs collègues passent plus de temps à faire de la menuiserie plutôt qu’à faire leur part de friture de poisson et en un rien de temps, vous vous retrouvez avec des piles de poissons mal cuisinés et tout le monde ne fait plus que ça. Je pense qu’il s’agit là d’une description assez précise du fonctionnement moral de notre économie.

J’ai bien conscience qu’un tel argument va immédiatement soulever certaines objections : qui êtes-vous pour déterminer quels emplois sont vraiment « nécessaires » ? Qu’est-ce que « nécessaire » veut dire ? Vous êtes un professeur d’anthropologie, en quoi est-ce « nécessaire » ? (En effet, pour de nombreux lecteurs de la presse de caniveau, l’existence de mon travail représenterait l’exemple type d’une dépense sociale inutile.)  À un certain niveau, c’est évidemment vrai. Il ne peut exister aucune mesure objective de l’utilité sociale.

Je n’aurai pas la prétention de dire à quelqu’un qui pense contribuer de façon utile à la société qu’en réalité, ce n’est pas le cas. Mais qu’en est-il de ces gens qui sont eux-mêmes convaincus que leur travail n’a aucun sens ? Il y a quelque temps, j’ai repris contact avec un ami d’enfance que je n’avais pas revu depuis l’âge de 12 ans. J’ai eu la surprise de découvrir qu’entretemps, il était devenu d’abord un poète, puis le chanteur d’un groupe de rock indépendant. J’avais entendu certaines de ses chansons à la radio sans savoir que le chanteur était quelqu’un que je connaissais. Il était de toute évidence brillant, créatif et son travail avait indiscutablement rendu plus belle la vie des gens sur l’ensemble de la planète. Et pourtant, après l’échec de plusieurs albums, il avait perdu son contrat et, criblé de dettes avec un enfant à charge, il s’était retrouvé à, comme il me le dit lui-même, « à prendre la solution par défaut de tant de gens perdus : la fac de droit ». Aujourd’hui, c’est un juriste d’entreprise qui travaille dans un prestigieux cabinet de New-York. Il est le premier à admettre que son travail est totalement vide de sens, n’apporte rien au monde et, selon lui, ne devrait même pas exister.

Cela pourrait nous conduire à nous poser pas mal de questions, à commencer par : que penser d’une société qui semble générer une demande extrêmement limitée pour de brillants musiciens et poètes mais qui possède, de toute évidence, une demande infinie pour les spécialistes en droit d’entreprise ? (Réponse : si 1% de la population contrôle la quasi-totalité de la richesse disponible, ce que nous appelons « le marché » reflète ce groupe, et non les autres, considère comme important). Mais surtout, cela montre que la plupart des gens qui occupent ce genre d’emploi sont bien conscients de son inutilité. D’ailleurs, je ne suis pas sûr d’avoir déjà rencontré un juriste d’entreprise qui ne pensait pas que son travail était bidon. Cela vaut pour toutes ses nouvelles industries mentionnées précédemment. Il y a une classe entière de professionnels salariés qui, lorsque vous les rencontrez dans une soirée et leur confiez que vous faites un métier pouvant être considéré comme intéressant (anthropologue par exemple), feront tout pour éviter de parler de leur propre métier (le leur ou celui de leur conjoint). Faites-les boire un peu et ils se lanceront dans des diatribes contre ce métier stupide et inutile qu’ils détestent.

Il y a là une profonde violence psychologique. Comment peut-on commencer à parler de la dignité du travail lorsque l’on pense que son travail ne devrait pas exister ? Comment cela ne peut-il pas conduire à un sentiment profond de rage et de ressentiment ? Et pourtant, le génie propre à notre société et de ceux qui la dirigent est d’avoir trouvé un moyen, comme dans le cas de ceux qui font frire les poissons, de faire en sorte que cette rage soit dirigée précisément contre ceux qui font un travail vraiment utile. Par exemple, dans notre société, il existe une règle générale selon laquelle plus le travail de quelqu’un est utile aux autres, moins ce travail a une chance d’être bien payé.

Là encore, il est difficile d’établir un critère objectif mais un bon indicateur est de poser la question suivante : que se passerait-il si ce groupe de gens venait simplement à disparaître ? Vous pouvez penser ce que vous voulez des infirmières, des éboueurs, des réparateurs mais il est évident que s’ils venaient à disparaître dans un nuage de fumée, les conséquences seraient immédiates et catastrophiques. Un monde sans professeurs ou dockers connaîtrait des difficultés et même un monde sans auteurs de science-fiction ou groupes de folk serait un monde bien moins intéressant. En revanche, il n’est pas clair que l’humanité y perdrait au change dans un monde où les directeurs de fonds d’investissement, les lobbyistes, les chercheurs en relations publiques, les actuaires, les télémarketeurs, ou les consultants juridiques, viendraient soudainement à disparaître (beaucoup de gens soupçonnent que le monde s’en porterait mieux). Là encore, à part quelques exceptions bien connues (les médecins), cette règle tient la route.

[…]

Si quelqu’un avait imaginé un système parfaitement conçu pour maintenir le pouvoir de la finance et du capital, il est difficile de voir comment il aurait pu faire un meilleur travail. Ceux qui accomplissent un véritable travail productif sont exploités et pressurés sans relâche. Le reste est réparti entre la strate terrorisée et universellement méprisée des chômeurs et une large strate globalement payée à ne rien faire qui occupe des postes conçus pour qu’elle s’identifie aux perspectives et aux sensibilités de la classe dirigeante (managers, administrateurs etc…), et tout particulièrement ses avatars financiers, tout en entretenant, dans le même temps, un ressentiment larvé envers quiconque exerçant un métier dont l’utilité sociale est aussi claire qu’indéniable. Il est évident que ce système n’a pas été conçu de façon consciente. Il a émergé suite à environ un siècle d’essais et d’erreurs. Mais c’est la seule explication au fait qu’en dépit de nos moyens techniques, nous ne travaillons pas tous seulement 3-4 heures par jour.

Notes du traducteur:

1- L’explosion des “bullshit jobs” doit beaucoup à l’explosion de la classe des « intellectuels mais idiots », ces diplômés du supérieur ou des grandes écoles qui, ne possédant pas de réelles compétences, ne peuvent donc exercer que des emplois bidons. Ce phénomène, conjugué à la réduction du nombre de travailleurs avec du « skin in the game » (entrepreneurs, indépendants) conduit à un système dominé par des gens incapables de faire autre chose que des “bullshit jobs” et qui se recrutent entre eux. Sauf exceptions, les chefs d’entreprise ou les dirigeants ne voient pas le problème ou refusent de le prendre à bras le corps, par exemple en supprimant 90% des postes d’encadrement pour créer des organisations dominées par des emplois productifs où l’encadrement est réduit au strict nécessaire, comme dans le cas d’école des entreprises FAVI ou de Valve Software

2-L’augmentation des « bullshit jobs » ne peut être comprise sans l’explosion du travail féminin et la destruction de la famille traditionnelle. Au début du XXe siècle, la quasi-totalité des femmes s’occupaient de la gestion du foyer et de l’éducation des enfants, les tâches économiques productives constituant le domaine réservé des hommes. Aujourd’hui les d’emplois administratifs ou de service sont majoritairement occupés par des femmes qui, soit par volonté, soit par nécessité économique (divorce notamment) ont rejoint la population active. Faire sortir massivement les femmes de la population active constituerait donc le meilleur moyen de réduire drastiquement la part des “bullshit jobs” dans l’économie, sans parler des bénéfices éducatifs, psychologiques et sociaux qu’une telle mesure induirait pour la société dans son ensemble.

3) Les “bullshit jobs” s’inscrivent parfaitement dans le projet de “socialisme technocratique” défendu à l’origine par la société fabienne et aujourd’hui par des instances mondialistes comme le Forum Économique Mondial. D’une part, la multiplication des normes, des règlements et des contraintes administratives étouffent l’esprit entrepreneurial et handicapent les PME par rapport aux grandes entreprises ; d’autre part, ces “bullshit jobs” démoralisent les individus, encouragent leur passivité et les préparent à leur remplacement par des machines, voir à leur élimination pure et simple.

Pour aller plus loin :

De l’Intellectuel-Mais-Idiot

Du refus du mensonge

De la crise économique

De l’UERSS

Du crédit vendeur

« Si le peuple comprenait l’odieuse injustice de notre système bancaire et financier, il y aurait une révolution dès demain matin. » Andrew Jackson

Le contrôle du crédit par les banques privées et les banques centrales leur assure un contrôle de fait sur l’économie. En effet, le financement bancaire constitue un passage quasi-obligé aussi bien pour acquérir un bien immobilier que concrétiser un projet économique ou entrepreneurial. Ce monopole actuel contribue à faire oublier qu’il constitue une exception à l’échelle de l’histoire économique. Pendant des siècles, au lieu de passer par les banques, la majorité des entreprises et des particuliers faisaient appel, comme l’a démontré David Graeber, à un système complexe d’endettement réciproque qui, sous sa forme la plus moderne encore en vigueur jusque dans les années 60, prenait la forme du crédit vendeur.

De quoi s’agit-il ?

D’après sa définition : « le crédit vendeur est un prêt accordé directement entre le vendeur et l’acheteur d’un bien. Il permet à ce dernier de contourner le circuit bancaire classique. Le crédit vendeur est le plus souvent pratiqué entre particuliers, dans le cadre des ventes immobilières ou entre professionnels, dans le cadre des reprises d’entreprises ou des achats de fonds de commerce. »

Dans le cadre du crédit vendeur, au lieu de rembourser la banque ayant fourni le prêt l’acheteur rembourse directement le vendeur avec un taux d’intérêt pouvant être librement fixé entre les parties.

Pour prendre un exemple concret : dans le cadre de l’achat d’un bien immobilier valant 100 000€, l’acheteur peut payer comptant la moitié du prix, soit 50 000€ et payer le reste sous le régime du crédit vendeur versant ainsi tous les mois directement au vendeur les montants dus jusqu’au règlement entier de la somme.

Précisons que le crédit vendeur ne repose pas uniquement sur la confiance et la poignée de main.

Il est en effet tout à fait possible et même indispensable que les deux parties signent un contrat et fassent réaliser un acte authentique devant notaire mentionnant clairement la durée, le montant du prêt, du taux d’intérêt et des frais annexes

Permettant d’éviter de passer par les banques, ce système impose d’autres contraintes et expose bien évidemment à d’autres types de risques. Cependant, il est nécessaire de comprendre qu’au-delà de la simple logique économique, il s’agit d’un mode de financement véritablement révolutionnaire et subversif car il renverse totalement la logique du système actuel.

En effet, dans le système actuel, c’est votre richesse qui vous permet d’obtenir de la confiance.

Dans un système dominé par le crédit vendeur, c’est la confiance qui vous permet d’obtenir la richesse.

Dans le cadre d’un crédit vendeur, la question centrale n’est plus celle du crédit au sens économique mais bien celle du crédit au sens social, voire même moral du terme. Cette personne à laquelle je prête et qui s’engage à me rembourser est-elle digne de confiance ? Est-elle honorable ? Quelle est sa réputation ?

Dans un tel système, l’avantage n’est plus donné au nomade, au déraciné mais au contraire, à celui que l’on connaît et dont on connaît la famille et le caractère sur plusieurs générations. De plus, un tel système permet aux hommes d’échapper aux griffes de la technostructure et de la bureaucratie pour renouer des liens directs d’échange et donc de retrouver une forme de souveraineté sur eux-mêmes. Dans le cadre d’un crédit vendeur, ce n’est pas la banque qui prête mais Monsieur Durand qui prête à M. Dupont pour qu’il achète sa maison ou M. Dumoulin qui nous a fait un crédit vendeur pour nous permettre d’acquérir la machine qui nous permettra de développer notre entreprise.

Même si ce mécanisme comporte de nombreux avantages, précisons néanmoins que comme tout système économique, un système fondé sur le crédit vendeur ne peut fonctionner que si ses membres partagent des valeurs communes, acceptent de « jouer le jeu » et sanctionnent de façon impitoyable les éventuels « passagers clandestins » tentés d’en abuser.

Ceci étant dit, la beauté du système de crédit vendeur est que celui-ci peut parfaitement fonctionner en parallèle et en complément du système bancaire « classique ». En effet, il est tout à fait possible d’imaginer, dans un premier temps, qu’un tel système soit réservé pour des transactions portant sur des petits montants ou se trouve limité à des transactions entre les membres de groupes de confiance soudé autour de valeurs communes qu’elles soient politiques ou religieuses.

Face à la persécution qui frappe les résistants patriotes, le mécanisme du crédit vendeur pourrait par exemple être utilisé aussi bien par d’autres patriotes que par les anciennes générations pour aider des jeunes couples à acquérir un bien immobilier ou créer leur première entreprise. Utilisé dans cet état d’esprit, le crédit vendeur peut devenir une arme économique de reconquête mais aussi constituer une forme  concrète de d’aide ou de solidarité communautaire sans pour autant verser dans la pure philanthropie.

Si un tel système venait à être adopté ou à sa diffuser, il se révèlerait bien plus efficace que tous les discours révolutionnaires pour réduire le pouvoir et le contrôle du système bancaire et financier sur l’économie. Face à la mondialisation et à la virtualisation des échanges, il permet en effet d’enraciner à nouveau l’activité financière au niveau local et à l’échelle humaine et plus important encore, il vient rappeler à chacun qu’il a le pouvoir, à travers ses choix et ses comportements économiques, d’exercer une influence directe sur l’évolution de la société et les règles qui la régissent.

Ainsi, adopter un dispositif aussi simple que le crédit vendeur pourrait permettre de passer concrètement de la société de l’argent à la société de la confiance, d’un monde dominé par les chiffres à un monde centré sur l’Homme.

Pour aller plus loin :

Le crédit vendeur

La dette : 5000 ans d’histoire, David Graeber

Économie médiévale et société féodale, Guillaume Travers

Du casse du siècle