Pour comprendre l’ampleur et l’obscénité du casse du siècle, il suffit de regarder et de comprendre le graphique ci-dessous.
La ligne du
bas représente la croissance du PIB.
Celle du
haut, celle de la dette et des prêts.
Ce graphique concerne l’économie américaine mais la dynamique est la même pour l’Europe et le reste du monde. En 2020, une situation aggravée par la crise du COVID-19, la dette publique des États-Unis représentait 130% du PIB, contre un peu de plus 50% dans les années 60, soit environ 80 000 dollars par habitant. En France, la dette publique a dépassé les 120% du PIB soit environ 40 000€ par habitant.
Dans un précédent article, j’ai expliqué comment depuis les années 70, l’endettement massif avait permis de compenser la chute du taux de rendement énergétique (TRE).
Normalement, au lieu de s’engager dans une véritable fuite en avant, les économies développées auraient dû peu à peu ralentir la machine économique pour aligner l’économie et les niveaux de vie sur la contraction énergétique. Comme je l’ai également expliqué, le dogme économique, politique et psychologique de la croissance a empêché cet ajustement.
En termes
réels, l’économie se contracte depuis plus de quarante ans, ce que le bon sens
populaire appelle « la crise » mais l’hyperclasse mondialisée a
trouvé le moyen, non seulement d’échapper à cette contraction mais de réaliser
au passage le casse du siècle, voire du millénaire.
Pour
comprendre ce qui est en train de se produire, il faut revenir à la question de
la création monétaire. Depuis les années 70, pour simplifier, la monnaie n’est plus adossée à un métal
précieux comme l’or. Nous sommes entrés dans l’ère de ce qui s’appelle la
monnaie fiduciaire (fiat money).
La création
monétaire est gérée par les banques centrales qui n’ont qu’à , pour
simplifier, créditer ex nihilo des
lignes de compte sur un serveur. Depuis
quarante ans et avec une accélération depuis la crise de 2008, les banques
centrales injectent des quantités faramineuses de liquidités dans le système économique
et financier international pour éviter son effondrement. Cette politique qu’elles
présentent sous le titre ronflant de quantitative
easing (QE) n’est rien d’autre en réalité que l’utilisation de la bonne
vieille planche à billets.
Le recours massif au QE se traduit par une augmentation à la fois de l’endettement et des liquidités en circulation mais aussi à l’apparition d’une anomalie, les taux d’intérêts négatifs, qui sont en train de détruire le système bancaire et financier ainsi que le concept même d’épargne. Le problème, c’est que si le QE s’arrête, le système économique s’effondre et des millions de gens se retrouvent sans emploi.
Avec une candeur rare, la nouvelle directrice de la BCE et ancienne directrice du FMI, Christine Lagarde a d’ailleurs récemment expliqué qu’il valait mieux que les gens aient un emploi plutôt que de l’épargne.
Ceci étant
posé, comment cette situation profite t’elle à l’hyperclasse mondialisée ?
Tout simplement parce que les banques centrales arrosent de liquidités tous ceux qui possèdent les banques, les grandes entreprises et tout le système financier en général.
Sous couvert de « sauver l’économie », cette politique permet à ceux responsables de cette situation de s’enrichir comme jamais auparavant via de la création monétaire débridée dont les conséquences vont être apocalyptiques. Rappelons que l’argent crée par les banques centrales et qui se trouve inscrit sur les comptes ne vaut en réalité plus rien. Il n’est plus qu’une convention. Mais ceux qui bénéficient de cette manne financière l’utilisent pour acheter des choses, elles, bien réelles : de la force de travail, de l’immobilier, des parts dans les entreprises, des terres agricoles, des métaux précieux…
Imaginez un
moment que votre meilleur ami possède dans sa cave une planche à billets.
Chaque mois,
il vous remet un sac avec un million en liquide.
Le premier mois, vous l’utilisez pour rembourser l’emprunt sur votre maison et acheter une résidence secondaire. Le mois suivant, vous rachetez la maison du voisin et l’entreprise de votre collègue qui connaît des difficultés de trésorerie. Le mois d’après, vous rachetez encore d’autres maisons et d’autres entreprises. Quelques mois plus tard, vous prêtez à la ville car appauvrie, elle n’a plus les moyens de boucler son budget. Au bout d’un an, vous contrôlez toute l’activité économique de la ville et ses habitants sont devenus de nouveaux serfs du Moyen-Age enchaînés financièrement soit par la dette, soit par le paiement de loyers.
Et tout ça, grâce à l’argent crée par votre copain qui, en réalité, ne vaut rien Loin d’être abstraite et théorique, cette manipulation financière prend des formes tout à fait concrètes. Fin 2019, aux Etats-Unis, le patrimoine des 1% des les plus riches était sur le point de dépasser l’intégralité de celui de la classe moyenne américaine et la politique monétaire accommodante a permis aux grandes entreprises de se lancer dans des programmes massifs de rachat de leurs propres actions.
Ce qui est en réalité en train de se passer dans l’indifférence générale n’est tout simplement que l’un des plus grands accaparements de richesses de l’histoire et l’asservissement économique des populations des pays développés. Pendant que la majorité des français sont à découvert le 15 du mois et que les classes moyennes se serrent la ceinture, les responsables de la crise sont arrosés d’argent « gratuit » qu’ils utilisent pour s’enrichir encore plus tout en se convainquant que cela est nécessaire pour éviter le chaos. En réalité, nous assistons la collectivisation de fait de l’économie mais au seul profit des banques, de la finance et des très grandes entreprises : le communisme pour les ultra-riches et l’ultralibéralisme pour les classes moyennes et les pauvres !
L’hyperclasse a la chance inouïe que ce casse du siècle se déroule de façon aussi abstraite et nécessite pour être compris de solides notions financières et économiques car sinon la colère du peuple ne connaitrait plus de limites.
Pour finir, arrêtons-nous un instant sur ce qui a rendu une telle situation possible.
Que les pauvres trinquent et que les riches se débrouillent pour échapper à leurs responsabilités tout en s’en mettant au passage plein les poches sans la moindre considération pour l’intérêt général, tout cela n’a malheureusement rien de bien nouveau. Ce qui est nouveau en revanche, c’est qu’il n’existe plus de distinctions entre les pouvoirs politiques et financiers ou pour dire les choses autrement, plus de différence entre la classe des princes et celles des marchands. Le phénomène le plus important et le plus sous-estimé de notre époque est la victoire définitive de la bourgeoisie sur la noblesse. Jusque dans les années 60, il existait encore une frontière, certes de plus en plus mince, entre les serviteurs de l’Etat et le monde des affaires.
Aujourd’hui, cette frontière a été totalement abolie : ceux qui dirigent les pays développés font désormais partie du même monde et ont été formés sur le même moule que ceux qui dirigent le monde de la banque ou de la finance. Comment maintenir un équilibre social quand il n’y a plus de garde-fous, ni de contre-pouvoirs ? Qui pour défendre le peuple ? Qui pour défendre l’intérêt général et remettre les féodaux à leur place ?
« Ce serait une consolation pour notre faiblesse et nos œuvres si toutes choses devaient périr aussi lentement qu’elles adviennent ; mais il est ainsi, la richesse est lente, et le chemin de la ruine est rapide. » Sénèque,
Même les économistes commencent à comprendre que la situation économique est extrêmement grave : la récession guette, les banques sont virtuellement en faillite et les taux d’intérêts négatifs sont en train de détruire le système financier et plus largement le concept d’épargne.
En revanche, ils n’ont toujours pas compris les causes profondes de
cette crise et par extension le fait qu’il ne s’agit pas d’une simple phase
mais bien de la fin d’un cycle.
Pour comprendre, il faut revenir à la base, c’est-à-dire aux modèles
économiques.
Depuis plusieurs siècles, ces derniers violent allégrement les lois fondamentales de la physique, sans que personne ne s’en émeuve. L’absence de véritable formation scientifique empêche les économistes de comprendre que toute activité économique est en réalité une activité de transformation de la matière et que cette activité nécessite de l’énergie. Notre monde moderne est né de la Révolution Industrielle qui fut une révolution scientifique mais surtout une révolution de l’exploitation des énergies fossiles, charbon puis pétrole. La production économique, mesurée par le PIB, devrait donc être au premier ordre une fonction linéaire de la quantité d’énergie consommée.
Pendant plus de deux siècles, une paille à l’échelle de l’histoire économique, nous avons considéré les ressources naturelles, pétrole, charbon, gaz mais aussi le bois, l’eau, le cuivre, le sable, le zinc, le phosphate et un grand nombre d’éléments présents dans le tableau de classification de Mendeleïev comme des ressources infinies. Malheureusement, elles ne le sont pas et depuis le début de l’industrialisation leurs stocks n’ont cessé de diminuer.
Au lieu d’admettre cette réalité et d’accepter qu’à l’horizon du
XXIème siècle, la croissance ne pouvait que mécaniquement décroître, les
gouvernements ont préféré se lancer dans une véritable fuite en avant
économique dont les conséquences sont en
train de nous rattraper. Cette fuite a pris la forme de dette, j’y reviendrai,
et de l’exploitation de plus en plus coûteuse de ressources naturelles de plus
en plus rares. A titre d’exemple,
l’exploitation des gisements de gaz de schiste a offert aux USA vingt ans de
répit mais il s’agit d’une activité non-rentable dont la faillite est évitée
par les subventions massives versées par le gouvernement américain.
Dès lors que l’on parle d’énergie, il ne faut regarder ni le volume, ni le prix, mais le taux de rendement énergétique (TRE/EROI). Le TRE, c’est la quantité d’énergie nécessaire pour extraire une quantité d’énergie. Plus le TRE est faible, plus il est coûteux d’aller chercher de l’énergie supplémentaire comme dans le cas du gaz de schiste. Même s’il existe encore des gisements de ressources, si cela vous coûte plus cher de les extraire que ce que cela vous rapporte, énergétiquement parlant, leur exploitation n’a aucun sens. Quand le TRE chute, l’économie se contracte en termes réels et la part discrétionnaire du revenu diminue.
C’est pour cela qu’en réalité, tous les débats sur la réalité de l’épuisement des ressources naturelles sont absurdes. Dans les faits, nous en subissons déjà les conséquences et l’effondrement du TRE est une des clés qui permet d’expliquer l’évolution économique à partir du premier choc pétrolier en 1973.
A ce sujet, la crise de 1973 constitue l’une des premières manifestations concrètes de la chute du TRE (voir graphique). Par ailleurs, si un employé de bureau pouvait élever toute une famille sur un seul salaire et que ce n’est plus le cas aujourd’hui, c’est principalement à cause de la chute du TRE. De la même manière, l’échec imprévu des politiques keynésiennes dans les années 70 s’explique clairement par la chute du TRE (si l’économie se contracte à cause d’un manque d’énergie, les politiques de relance ne servent à rien et ne font que créer de l’inflation). Il en est de même pour la crise des subprimes de 2008 (les créances pourries et le surendettement ne sont que des stratagèmes pour repousser un peu plus loin les conséquences de la contraction énergétique, voir plus bas). Enfin, depuis 2007, l’Europe a passé son maximum d’approvisionnement énergétique et par conséquent, la croissance de la zone n’a cessé de diminuer.
La chute du TRE est une réalité physique indiscutable : l’énergie que nous extrayons de notre environnement pour faire tourner notre machine économique se raréfie en quantité ainsi qu’en qualité et par conséquent, l’économie se contracte en termes réels.
Pour essayer de contrer cette tendance, nos gouvernements ont décidé d’avoir recours à une solution : la dette, c’est-à-dire transférer la nécessité de l’ajustement sur les générations futures. Pendant plusieurs décennies, la création monétaire ex-nihilo a été utilisée pour compenser l’effondrement du TRE, maintenant l’illusion de la prospérité en Occident et accompagnant le décollage dans les pays en développement comme la Chine. Le problème, c’est que cette ruse économique a fait long feu. Les gouvernements et les institutions financières se trouvent désormais entre le marteau et l’enclume : la création monétaire massive est en train, via les taux d’intérêts négatifs, de détruire le système bancaire et financier mais en même temps, arrêter la création monétaire ne peut que conduire à l’effondrement du système économique mondial.
*
Les conséquences de l’effondrement du TRE sont inévitables et le rééquilibrage du système va être brutal.
Cet effondrement ne signifie pas la fin de la civilisation ni le
retour à l’âge de pierre.
Si vous gagnez 5000€ par mois mais que vous dépensez comme si vous en gagniez encore 10 000, vous n’êtes pas pauvre mais vous vivez largement au-dessus de vos moyens et c’est le décalage entre vos revenus et vos dépenses qui va entraîner votre faillite complète. Il en va de même pour nos économies. Le pire aurait pu être évité si au lieu de nous lancer dans une fuite en avant, nous avions compris les conséquences de l’épuisement des ressources naturelles et diminué année après année notre train de vie en conséquence.
Tous nos systèmes productifs, nos infrastructures et même nos niveaux de vie sont en réalité surdimensionnés comparés à notre “budget” énergétique et les importantes inégalités générées par la mondialisation et la sécession des élites n’ont fait qu’aggraver la situation.
Nous aurions pu :
-en finir avec le dogme de la croissance économique et démographique
et stabiliser nos sociétés à des seuils soutenables
-laisser les économies et les populations occidentales vieillissantes décroître naturellement plutôt que de chercher à les faire croître de façon artificielle via l’immigration de masse et l’endettement
-Ne pas encourager l’endettement massif des entreprises et la prise de risque excessive des investisseurs via la politique monétaire accommodante menée par les banques centrales et le FMI
-définir un niveau de confort, de services et d’infrastructures
essentiels que nous devons conserver et supprimer l’accessoire, réduisant ainsi
au passage le gaspillage, la bureaucratie et la dépense publique
-développer une production durable qui recycle, répare et produit localement plutôt que d’encourager la consommation, le renouvellement et l’import/export.
-préparer véritablement la transition énergétique en investissant massivement dans le nucléaire plutôt que dans les énergies dites “renouvelables” , l’habitat durable plutôt que les grandes métropoles et dans les moteurs à très basse consommation plutôt que dans les véhicules électriques.
Ces ajustements se produiront inévitablement mais ils se feront dans la douleur et la précipitation plutôt que de façon méthodique et organisée. Nous allons être les témoins de la plus grande contraction économique de l’histoire et nous sommes dans l’ensemble, économiquement, politiquement et mentalement très peu préparés pour y faire face.
C’est pour cela qu’il faut traiter de charlatans tous les responsables politiques qui promettent le retour de la croissance et l’augmentation du niveau de vie, tout comme les économistes ou les “experts” qui ne comprennent rien au TRE et à son importance pour les systèmes économiques.
La croissance ne reviendra pas, notre niveau de vie va baisser et
aucune solution technologique miracle ne viendra nous sauver. C’est une évidence
physique thermodynamique.
L’avenir sera à la frugalité, au local et à la limite. Ça ne sera pas la fin du monde mais ça sera la fin d’un monde. A nous de gérer le nouveau mieux que le fut l’ancien.
Une des plus grandes perversions intellectuelles de notre époque est l’utilisation d’indicateurs et de méthodes en apparence scientifiques pour recouvrir d’un vernis de crédibilité les mensonges, les manipulations et les dogmes. Cette pratique systématiquement utilisée par les dirigeants politiques et les médias a pour conséquence désastreuse de fausser entièrement le rapport au réel, de susciter une méfiance envers la science en général et de contribuer à mettre dans le même sac les véritables experts et les charlatans.
Aucun
domaine de la connaissance n’est épargné par ce phénomène mais à cause du rôle
central qu’elle occupe dans nos sociétés contemporaines, la science économique
est en une des principales victimes.
Disons les choses clairement : à peu près tous les indicateurs et tous les discours médiatiques sur l’économie sont totalement bidons.
Démonstration :
Le chômage
En France,
le nombre de chômeurs se situe officiellement autour de 6 millions de
personnes.
Ce chiffre
n’intègre que les catégories A, B et C de demandeurs d’emplois.
En ajoutant les catégories D et E, les personnes inscrites au chômage mais qui ne cherchent pas d’emploi, on peut rajouter 600 000 chômeurs en plus. A noter que sur un an, la catégorie D, celle des personnes inscrites mais non tenues de chercher un emploi, a connu à elle seule une augmentation de 13.5%. La même technique est employée aux Etats-Unis où, derrière le faible taux de chômage, se cache le fait que plus de 95 millions de personnes sont sorties de la population active et ne recherchent même plus d’emploi.
Enfin, le taux de chômage est loin d’être une mesure pertinente car comme disait Coluche, « les gens ne veulent pas de travail, de l’argent leur suffirait » autrement dit, les emplois créés permettent-ils à ceux qui les occupent de vivre de façon décente ?
La réponse est non. Les faibles de taux de chômage de l’Allemagne, de l’Angleterre et des Etats-Unis s’expliquent en partie par des réformes qui ont conduit à la multiplication de mini-jobs payés l’équivalent de 3 ou 4€ de l’heure. La France, elle, a fait le choix de la dépense publique et d’un taux de chômage élevé pour éviter la paupérisation et l’explosion sociale mais même dans ce contexte, le salaire médian ne permet plus d’habiter dans les métropoles et d’élever une famille de deux enfants et le nombre de personnes touchées par le halo du chômage (proche du chômage sans y tomber) ne cesse d’augmenter.
Par ailleurs, il existe une tendance grandissante à la multiplication des missions couvertes par un intitulé de poste donné ou pour dire les choses autrement, un seul salarié réalise désormais des tâches qui occupaient autrefois deux ou trois personnes.
En réalité, dans toutes les économies développées, la situation de l’emploi est absolument désastreuse et les salaires réels, en plus d’être insuffisants, sont largement grignotés par l’inflation.
L’inflation
Un des principaux objectifs des banques centrales comme la BCE est de lutter contre l’inflation. Sur le papier, il s’agit d’un immense succès car l’inflation se trouve officiellement stabilisée autour de 1%.
En réalité,
celle-ci est bien plus forte et grignote chaque année le pouvoir d’achat des
ménages.
Certes, le prix de certains biens de consommation, essentiellement technologiques, diminue mais le prix de toutes les dépenses essentielles augmente : essence, électricité, gaz sans parler du poste le plus important, le logement. En l’espace de trente ans, le prix de l’immobilier en France a plus que doublé sans que les salaires n’en fassent autant. Sur ce point, il existe un véritable fossé entre ceux qui, déjà propriétaires, ont vu la valeur de leurs actifs augmenter de façon spectaculaire et ceux qui doivent débourser deux fois plus pour acquérir le même type de bien. Enfin, l’inflation prend une forme beaucoup plus insidieuse et très mal mesurée : la réduction de la qualité et de la quantité des biens et des services. Sous l’effet de la contraction économique, les opérateurs réduisent année après année certaines prestations qui allaient auparavant de soi comme par exemple, la présence de personnel au guichet dans les banques ou au comptoir des compagnies aériennes. Dans le même temps, de nombreux produits ont connu une réduction de leur quantité (bouteilles de 1.5l qui passent à 1l) ou de leur qualité (baisse de la teneur en cacao par exemple) soit pour préserver les marges des fabricants, soit à cause de l’augmentation du coût de certaines matières premières.
La croissance
Dans un précédent article, j’ai expliqué comment la contraction énergétique via la chute du Taux de Rendement Energétique (TRE) condamnait depuis les années 70 les économies à une contraction économique et à une croissance faible. Aujourd’hui, il est nécessaire de comprendre que la croissance de toutes les économies, y compris celle de la Chine, n’est rendue possible qu’à travers des manipulations comptables et l’émission d’une quantité titanesque de dettes, 188 trilliards à l’échelle mondiale. Cet endettement ne concerne pas seulement les états mais aussi les entreprises et les ménages. Non seulement, cet endettement massif menace l’avenir mais il est également utilisé par les classes dominantes pour accomplir un accaparement de richesses sans équivalent dans l’histoire de l’Humanité. Toute cette maigre croissance constitue une gigantesque fuite en avant via l’endettement et cette stratégie est en train de détruire, via les taux négatifs qu’elle induit, le système financier ainsi que le concept même d’épargne.
La monnaie
Comme je l’ai également expliqué, un des plus gros problèmes économiques de notre époque est que la monnaie elle-même ne vaut plus rien. La monnaie fiduciaire n’est à l’origine qu’une convention et l’injection, depuis 2008, de centaines de milliards de liquidités par mois dans l’économie par les banques centrales mondiales pour soutenir le système financier et l’activité économique a conduit au fait que cette convention elle-même n’a désormais plus aucune valeur. Tous les acteurs économiques sont les participants à un gigantesque jeu de chaises musicales qui attendent tous avec effroi que la musique s’arrête car ils savent qu’à ce moment, ils assisteront à un véritable jeu de massacre financier.
Selon le prestigieux cabinet McKinsey, la prochaine crise entraînera la faillite de plus de la moitié des banques. Quand le système financier s’effondrera et que le public découvrira que l’argent pour lequel il a tant souffert et auquel il a consenti tant de sacrifices ne vaut plus rien, non seulement sa colère sera sans limite mais il n’ aura pas d’autres choix, de même que les états, que de revenir aux seuls véritables réserves de valeur et extincteurs de la dette que sont l’or et l’argent.
Tous ces éléments continuent d’être ignorés par les médias et les dirigeants politiques et les sujets économiques restent abordés, malgré la gravité de la situation, sous l’angle de l’anecdote ou via des indicateurs complètement faussés et privés de véritable signification. Le peuple, lui, sent bien qu’il y a quelque chose de pourri au royaume de l’économie, sans pour autant posséder les connaissances suffisantes pour mesurer l’ampleur de l’escroquerie.
Tôt ou tard, tous devront faire face à cette réalité qui refuse pour l’instant d’être admise : nous assistons à la fin d’un modèle économique, né de la révolution industrielle et de l’exploitation des énergies fossiles, et ces 200 ans que nous avons pris pour la règle ne sont en réalité, à l’échelle de l’histoire économique, rien de plus qu’une exception.
Note : Extraits d’un article de Nassim Nicholas Taleb originalement publié en 2009 dans le Financial Times et repris dans la seconde édition du «Cygne Noir » (Random House/Les Belles Lettres)
Traduit de l’anglais par Stanislas Berton
1- Ce qui est fragile doit casser le plus tôt possible tant que c’est encore petit.
Rien ne devrait jamais devenir « too big to fail » (trop gros pour disparaître). L’évolution économique actuelle aide ceux qui ont le plus de risques cachés à grandir.
2- Pas de socialisation des pertes et de privatisations des profits.
Tout ce qui a besoin d’être renfloué par l’Etat doit être nationalisé ; tout ce qui n’a pas besoin d’être renfloué doit être libre, petit, et capable de supporter le risque. Nous avons aujourd’hui le pire du capitalisme et du socialisme. […] C’est irréel.
3- Les gens qu’on a laissé conduire un bus scolaire avec un bandeau sur les yeux et qui l’ont conduit droit dans le mur ne devraient jamais se voir confier un autre bus.
Les instances économiques (universités, régulateurs, banquiers centraux, experts gouvernementaux, toute organisation employant des économistes) ont perdu toute légitimité suite à l’échec du système en 2008. Il est irresponsable et stupide d’avoir confiance en leur capacité à nous sortir de ce bourbier. […] Trouvez des gens intelligents qui ont encore les mains propres.
4- Ne laissez pas quelqu’un qui reçoit un bonus « d’incitation » gérer une centrale nucléaire ou vos risques financiers.
Il y a des chances qu’il fera des économies sur la sécurité pour réaliser un « profit » grâce à ces économies tout en vantant sa gestion « prudente ». Les bonus ne prennent pas en compte les risques cachés d’effondrement. C’est l’asymétrie du système des bonus qui nous a conduits là où nous en sommes. Pas d’incitations sans contre-incitations : le capitalisme intègre les récompenses et les punitions, pas uniquement les récompenses.
5- Compensez la complexité par la simplicité.
La complexité née de la mondialisation et de l’interconnexion accrue des économies doit être contrée par la simplicité des produits financiers. […] Ajouter de la dette dans ce système produit des mouvements dangereux et imprévisibles et n’offre aucune marge d’erreur. Les systèmes complexes survivent parce qu’ils ont des réserves et qu’ils sont redondants, pas grâce à la dette et l’optimisation. […]
6- Ne donnez pas des bâtons de dynamite à des enfants, même si un avertissement est imprimé dessus.
Les produits financiers complexes doivent être interdits parce que personne ne les comprend et peu de gens sont assez rationnels pour le comprendre. Nous devons protéger les citoyens d’eux-mêmes, des banquiers qui leurs vendent des produits financiers « sans risque » et des régulateurs crédules qui écoutent les théoriciens économiques.
7- Seuls les systèmes de Ponzi dépendent de la confiance. Un gouvernement ne devrait jamais avoir à « restaurer la confiance ».
Dans un système de Ponzi, le plus célèbre étant celui crée par Bernard Madoff, une personne emprunte ou utilise les fonds d’un nouvel investisseur pour rembourser un investisseur existant voulant quitter le système. L’enchaînement de rumeurs est le produit des systèmes complexes. Le gouvernement ne peut pas mettre un terme aux rumeurs. Il doit simplement être en position de les ignorer, d’y être robuste.
8- Ne donnez pas plus de drogue à un drogué s’il a un problème de sevrage.
Utiliser l’effet de levier pour résoudre des problèmes d’effet de levier n’est pas de l’homéopathie, c’est du déni. La crise de la dette n’est pas un problème temporaire : il est structurel. Nous avons besoin d’une cure de désintoxication.
9- Les citoyens ne devraient pas dépendre d’actifs financiers comme dépôts de valeurs et dépendre des conseils d’experts faillibles pour leur retraite.
Nous devons apprendre à ne pas utiliser les marchés comme lieux de stockage de la valeur ; ils n’offrent pas les garanties de certitude dont les citoyens normaux ont besoin, malgré ce qu’affirment les « experts ». Investir devrait être fait uniquement « pour le fun ». Les citoyens devraient uniquement être inquiets de la performance de leurs propres affaires (qu’ils contrôlent) et non de leurs investissements (qu’ils ne contrôlent pas).
10- Faire une omelette avec les œufs cassés.
Au final, la crise de 2008 ne fut pas un problème à résoudre avec quelques réparations de fortune de même qu’un bateau avec une coque pourrie ne peut pas être sauvé par quelques planches neuves.
Nous devons reconstruire une nouvelle coque avec des matériaux nouveaux et plus résistants : nous devons reconstruire le système avant qu’il ne le fasse lui-même. Avançons volontairement vers une économie plus robuste en aidant ce qui doit casser à casser, en transformant la dette en capital, en marginalisant les instances économiques et les écoles de commerce, en supprimant le « Nobel » d’économie, en interdisant les rachats via l’effet de levier, en remettant les banquiers à leur place et en reprenant les bonus de tous ceux qui nous ont amené là où nous en sommes (en demandant par exemple le restitution des fonds accordés aux banquiers dont la richesse a été de fait subventionnée par les impôts des instituteurs).
Ainsi nous verrons apparaître une vie économique plus proche de notre environnement biologique : des plus petites entreprises, une écologie plus vivante, pas de logique spéculative, un monde dans lequel les entrepreneurs et non les banquiers assument les risques et dans lequel les entreprises vivent et meurent sans faire les gros titres des journaux.
« La forme la plus élevée de l’art de la guerre n’est pas de se battre mais de corrompre tout ce qui a de la valeur dans le pays de votre ennemi jusqu’au moment où la perception de votre ennemi est tellement déformée qu’il ne vous perçoit même plus comme un ennemi. »
Yuri Bezmenov
En avril 2023, la célèbre marque de bière américaine « Bud Light », propriété du groupe Anheuser Busch Inbev, lançait une campagne publicitaire mettant en scène l’influenceur transgenre Dylan Mulvaney. Une semaine plus tard, la capitalisation boursière de l’entreprise perdait 6 milliards de dollars suite à l’effondrement de ses ventes. Entre 2005 et 2016, le NASCAR, le sport automobile le plus populaire des États-Unis avait connu un déclin tout aussi spectaculaire de ses spectateurs après avoir pris le virage de « l’inclusivité », son président Mike Helton allant jusqu’à déclarer en 2006 que : « nous sommes convaincus que l’héritage redneck (bouseux, cul-terreux) du sud des États-Unis sur lequel était fondé ce sport n’existe plus. Mais nous avons aussi conscience que nous devons faire un effort pour aider d’autres personnes à le comprendre. »
Dans son livre publié « Corporate Cancer » publié en 2019, l’auteur et éditeur Theodore Beale (Vox Day) a révélé les facteurs qui conduisent des entreprises prospères, bien établies et parfois en pleine croissance, à se saborder en lançant des campagnes de communication désastreuses et en se mettant à dos leurs clients les plus fidèles. L’explication donnée par Beale de ce phénomène est la prise de contrôle et la destruction progressive d’une entreprise par l’idéologie progressiste, un processus auquel il a donné le nom de « convergence ». Selon Beale, la progression de cette idéologie au sein d’une l’entreprise peut être comparée à un cancer dont l’évolution correspondrait aux phases suivantes :
1) Infiltrée
L’entreprise compte des employés progressistes mais ils n’exercent aucune influence au sein de l’entreprise. Celle-ci est concentrée sur la production de biens et services conformes à son objet social. Le recrutement continue à se faire sur la base du mérite et des compétences.
2) Convergence légère
Les progressistes ont réussi à infiltrer leurs départements de prédilection que sont les ressources humaines et le marketing mais n’exercent pas encore d’influence sur la direction ou la stratégie de l’entreprise. Celle-ci commence à parler d’inclusivité ou de diversité mais ne modifie pas en profondeur sa communication, ses produits ou ses processus de recrutement, même si certains signes discrets de convergence peuvent commencer à apparaître.
3) Convergence modérée
les progressistes ont réussi à prendre le contrôle du département des ressources humaines qu’ils utilisent pour faire pression sur le reste de l’organisation. Le marketing commence à se soucier davantage d’afficher son « progressisme » que de vendre les produits de l’entreprise. Les managers sont encouragés à recruter des candidats issus de la « diversité » et à ne plus sanctionner les employés incompétents ou improductifs. Des consultants en « inclusivité » commencent à organiser des sessions de formation pour « sensibiliser » le reste de l’organisation.
4) Convergence lourde
Les « progressistes » ont pris le contrôle de tous les départements stratégiques. Des membres de la direction sont « progressistes » et affichent ouvertement leur soutien à cette idéologie. Le département RH impose ses vues sans même consulter la direction. Le marketing fait non seulement référence aux valeurs « progressistes » de l’entreprise mais les défend de façon militante. L’entreprise délaisse ses consommateurs historiques pour se concentrer sur des marchés qui n’existent que dans l’imagination de ses responsables « progressistes ».
5) Convergence totale
Toutes les ressources de l’entreprise sont mises au service de causes « progressistes » qui n’ont plus aucun rapport avec l’activité de départ. Le département RH est devenu une nouvelle Inquisition qui peut imposer ses vues à la direction. La communication de l’entreprise est tellement saturée de déclarations progressistes qu’il est presque impossible de déterminer la nature réelle de son activité. L’entreprise n’a plus que mépris pour ses consommateurs historiques. « La convergence remplace le principe selon lequel le client a toujours raison par le principe de justice sociale selon lequel le client mécontent est forcément raciste, sexiste, conservateur et qu’en conséquence, ses remarques peuvent être ignorées. » (Corporate Cancer p,15)
Cette grille d’analyse permet de comprendre pourquoi la diffusion du « progressisme » au sein d’une entreprise conduit rapidement à la ruine de cette dernière. Dans son livre, Beale donne des exemples très concrets de l’explosion des coûts induite par la convergence d’une entreprise et estime qu’une fois le processus enclenché la perte de CA peut atteindre jusqu’à 20 % en l’espace d’un an. Beale prend néanmoins la peine de préciser que des signes « légers » de convergence ne doivent pas conduire à une surréaction de la part de la direction et qu’il existe une réelle différence entre une entreprise en phase de convergence et un simple discours marketing visant à satisfaire un segment de marché spécifique.
Il est intéressant de souligner, qu’en théorie, une économie de marché devrait conduire à l’élimination rapide d’une entreprise dysfonctionnelle ou incapable de satisfaire les exigences de ses clients. Or, comme le souligne à juste titre l’auteur de « Corporate Cancer », la poursuite de ces stratégies ou de ces positionnements désastreux aussi bien pour l’image des entreprises que pour leurs bilans prouvent que ce qui se joue ici dépasse la simple question économique et démontre la réalité d’un système ayant désormais pour objectif avoué de « changer la société et faire évoluer les mentalités ».
Prenons par exemple le cas d’une équipe de basketball totalement inclusive, c’est à dire qui ne sélectionnerait plus ses joueurs sur leur capacité à bien jouer au basket mais de façon à représenter toute la diversité des tailles, des genres, des poids ou des orientations sexuelles. Ces critères conduiraient vraisemblablement l’équipe à perdre tous ses matchs et à n’avoir que très peu de fans. Mais au lieu de faire faillite et de disparaître, cette équipe continueraient d’être soutenue, pour des raisons idéologiques, par des entreprises ou des sponsors eux-mêmes « progressistes ». Et même si ces sponsors venaient à faire défaut, cette équipe pourrait continuer d’être financée par des fonds publics ou associatifs au nom de la promotion de la diversité. Dans une telle configuration, la fonction première de cette équipe ne serait même plus de bien jouer au basket et de gagner des matchs mais d’être un porte-étendard de cette nouvelle religion du « progressisme » et de la « diversité ». Avant Beale, l’anthropologue David Graeber avait déjà mis en évidence, dans son célèbre article consacré aux « bullshit jobs », la contradiction d’un système prétendant être gouverné par une rationalité économique extrême mais acceptant dans le même temps de financer un grand nombre de métiers totalement improductifs et inutiles, aussi bien pour l’entreprise que pour la société.
Ces analyses permettent de mieux comprendre pourquoi nous nous trouvons aujourd’hui au cœur d’une nouvelle guerre de religion dans laquelle une oligarchie mondialiste utilise son contrôle total d’un capitalisme de connivence pour imposer son projet politico-religieux à l’ensemble de la société. Une fois que vous comprenez que le système économique n’est plus là pour produire de la richesse mais pour convertir les masses à une nouvelle religion via un gigantesque programme d’ingénierie sociale, tout devient plus clair.
Comme je l’ai expliqué dans mon essai consacré à la guerre hors limites, les peuples occidentaux sont aujourd’hui impliqués, qu’ils le veuillent ou non, dans une guerre sans pitié qui vise à détruire leur société et leur civilisation. En conséquence, il est capital que les acteurs de la vie économique, salariés, indépendants, dirigeants, entrepreneurs, recruteurs, investisseurs, prennent conscience de la réalité de cette guerre et du rôle joué par l’infiltration progressiste des entreprises dans cette dernière.
La grille d’analyse développée par Beale et présentée dans cet essai devrait ainsi leur permettre de mieux comprendre :
1) le péril mortel que le wokisme représente pour leurs entreprises et l’activité économique en général.
2) la nécessité de créer un indice de « convergence » ou de « wokisme » afin de permettre aux investisseurs, aux banquiers, aux fournisseurs et aux clients de mesurer le niveau d’infiltration d’une entreprise par le progressisme et le risque de défaillance associé.
3) le besoin urgent pour les dirigeants ou les comités de direction d’identifier et de neutraliser les éléments subversifs au sein des organisations dont ils ont la charge, dans le plus grand respect de la législation en vigueur sur les discriminations.
4) que ce combat s’inscrit dans une guerre politique, culturelle et spirituelle bien plus large où se joue aujourd’hui l’avenir de la civilisation occidentale et dans laquelle les activistes « progressistes » jouent le plus souvent le rôle des « idiots utiles » (Lénine).
Pour finir, il est important de noter que le combat ne se fait pas à armes égales. Autant lorsqu’elle vise à préserver une organisation saine de l’infiltration, de la subversion ou de la déviance, la discrimination sous toutes ses formes est aujourd’hui interdite et condamnée ; autant celle-ci devient acceptable et même de rigueur, lorsqu’il s’agit de d’identifier, de stigmatiser et même de priver de leur gagne-pain, tous ceux accusés par l’auto-proclamé « camp du bien » de faire obstacle à une société diverse, inclusive et enfin libérée de ses préjugés « toxiques ».
Face à ce véritable cancer qui détruit actuellement les entreprises et les organisations, il ne suffit donc plus d’ériger des positions défensives ou de se contenter de déclarations de principes. Dans un monde où ce sont les fous qui ont pris le contrôle de l’asile, il est temps que les adultes reprennent les choses en main, sifflent la fin de la récréation et ramènent, calmement mais fermement, les patients dans leurs cellules.
Le CEI (Corporate Equality Index) est une sous-catégorie de l’ESG (gouvernance d’entreprise sociale et environnementale) poussée par les trois plus grands fonds d’investissement au monde que sont Blackrock, Vanguard et State Street. Ces fonds n’hésitent pas à mettre la pression sur les entreprises dont ils sont les principaux actionnaires pour que celles-ci appliquent les principes de l’ESG. En 2018, Larry Fink, le PDG de Blackrock et instigateur de l’ESG avait écrit une lettre dans lequel il exigeait la mise en place d’un nouveau mode de gouvernance aligné sur les valeurs ESG sous peine de voir les entreprises perdre le soutien des investisseurs.
En 1930, John Maynard Keynes avait prédit que d’ici la fin du siècle, la technologie aurait connu des progrès suffisants pour que l’Angleterre et les États-Unis puissent mettre en place la semaine de travail de quinze heures. Nous avons toutes les raisons de penser que sa prédiction était juste. D’un point de vue technique, nous en sommes capables. Et pourtant, cela ne s’est pas produit. Au contraire, la technologie a été mise à contribution pour trouver des moyens de nous faire travailler davantage. Pour arriver à ce résultat, il a fallu créer des emplois qui sont, dans les faits, totalement inutiles. Un nombre important de gens, en Europe et aux États-Unis, passent ainsi l’intégralité de leur vie professionnelle à accomplir des tâches dont ils pensent secrètement qu’elles n’ont aucune raison d’être accomplies. Les dégâts moraux et spirituels causés par cet état de fait sont profonds. C’est une cicatrice sur notre psyché collective. Et pourtant pratiquement personne n’en parle.
Pourquoi l’utopie promise par Keynes, encore attendue avec impatience dans les années soixante, ne s’est-elle jamais matérialisée ? De nos jours, l’explication habituelle est qu’il n’avait pas prévu l’augmentation spectaculaire de la consommation. Entre travailler moins d’heures et posséder davantage de jouets et de plaisirs, nous avons collectivement choisi la deuxième option. Cette explication constitue peut-être une bonne leçon de morale mais y réfléchir un seul instant suffit pour comprendre qu’elle ne peut pas être vraie. Certes, nous avons été témoins depuis les années 20 de la création d’une variété infinie de nouvelles activités et d’industries mais très peu d’entre elles ont un rapport avec la production et la distribution de sushis, d’IPhones ou de baskets dernier cri.
Alors quelle est précisément la nature de ces nouveaux emplois ? Un rapport récent comparant l’emploi aux États-Unis entre 1920 et 2000 nous en donne une vision assez claire (à noter que cette évolution se retrouve également en Grande-Bretagne). Au cours du siècle précédent, le nombre de travailleurs employés en tant que domestiques, dans l’industrie ou l’agriculture s’est effondré de façon spectaculaire. Dans le même temps, les effectifs dans les emplois managériaux, administratifs, commerciaux et plus généralement dans les services ont triplé, passant d’un quart aux trois-quarts de l’emploi total. Pour dire les choses autrement, les emplois productifs ont, comme prévu, été largement automatisés (même si vous comptez les emplois industriels à l’échelle mondiale en incluant les masses laborieuses de l’Inde et de la Chine, ces emplois ne représentent pas une part aussi importante de la population active qu’ils l’étaient par le passé).
Mais plutôt que d’avoir conduit à une réduction massive du temps travail afin de rendre la population mondiale libre de poursuivre ses propres projets, ses plaisirs, ses visions et ses idées, nous avons assisté à une explosion, non pas tant du secteur des« services » mais du secteur administratif, jusqu’à la création de nouvelles industries comme l’industrie des services financiers, le télémarketing, ou l’expansion sans précédent de certains secteurs d’activité comme le droit d’entreprise, les cadres administratifs universitaires ou médicaux, les ressources humaines et les relations publiques. Et ces chiffres ne tiennent pas compte de tous ces gens dont le travail consiste à apporter un soutien administratif, technique ou sécuritaire à ces industries, sans parler de toutes ces industries annexes (toiletteurs pour chien, livreurs de pizzas) qui n’existent que parce les gens des autres industries sont trop occupés pour réaliser eux-mêmes ces tâches.
Tout cela constitue ce que je propose d’appeler des « bullshit jobs » ( les emplois bidons)
C’est comme si quelqu’un s’amusait à inventer ces emplois inutiles juste pour continuer à nous faire travailler. Et c’est là qu’est l’énigme. Dans un système capitaliste, c’est justement le genre de chose qui n’est pas censé se produire. Dans les anciens pays soviétiques notoirement inefficaces tel que l’URSS où le travail était considéré comme un droit et un devoir sacré, le système créait autant d’emplois que nécessaire (c’est pour cela qu’en URSS, il fallait trois vendeurs pour vendre un seul bout de viande). Mais en revanche, c’est exactement le problème qu’une économie de marché est censée résoudre. Selon la théorie économique, la dernière chose que va faire une entreprise qui cherche à dégager un profit c’est de verser de l’argent à des gens qu’elle n’a pas vraiment besoin d’employer. Et pourtant, c’est bien ce qui se passe.
Quand les entreprises se livrent à d’impitoyables réductions de la masse salariale, les licenciements et autres dégraissages frappent inévitablement la catégorie de gens qui contribuent à produire, à transporter, à réparer et à effectuer la maintenance alors que par le biais d’une étrange alchimie que personne ne parvient véritablement à expliquer, le nombre de bureaucrates salariés semble en progression constante et de plus en plus d’employés se retrouvent, comme les travailleurs de l’Union Soviétique, à travailler quarante à cinquante heures par semaine en théorie mais à en travailler véritablement quinze, comme l’avait prédit par Keynes, le reste du temps étant passé à organiser ou à assister à des séminaires de motivation, mettre à jour des profils Facebook ou à jouer à des jeux sur un navigateur Internet.
La réponse n’est manifestement pas économique : elle est morale et politique. La classe dirigeante a compris qu’une population heureuse et productive avec du temps libre représente un danger mortel (pensez à ce qui a commencé à se produire quand nous nous sommes approchés de cette situation dans les années soixante). Et d’un autre côté, le sentiment que le travail possède une valeur morale en tant que tel et que quiconque n’accepte pas de se soumettre à une intense discipline de travail durant ses heures ouvrées mérite bien son sort, est une idée extrêmement utile pour ceux qui nous dirigent.
Un jour, alors que je considérais la croissance en apparence infinie des responsabilités administratives dans un département universitaire britannique, je fus saisi par une certaine vision de l’enfer. L’enfer est un groupe de gens qui passent l’essentiel de leur temps à accomplir une tâche qu’ils n’aiment pas et pour laquelle ils n’ont aucun talent particulier. Admettons qu’ils aient été embauchés parce qu’ils étaient d’excellents menuisiers et qu’ils découvrent qu’ils doivent passer l’essentiel de leur temps à faire frire du poisson. En plus, cette tâche est globalement inutile dans le sens où il n’y a qu’un nombre limité de poissons qui ont besoin d’être frits. Et pourtant, ils deviennent malades de jalousie à l’idée que certains de leurs collègues passent plus de temps à faire de la menuiserie plutôt qu’à faire leur part de friture de poisson et en un rien de temps, vous vous retrouvez avec des piles de poissons mal cuisinés et tout le monde ne fait plus que ça. Je pense qu’il s’agit là d’une description assez précise du fonctionnement moral de notre économie.
J’ai bien conscience qu’un tel argument va immédiatement soulever certaines objections : qui êtes-vous pour déterminer quels emplois sont vraiment « nécessaires » ? Qu’est-ce que « nécessaire » veut dire ? Vous êtes un professeur d’anthropologie, en quoi est-ce « nécessaire » ? (En effet, pour de nombreux lecteurs de la presse de caniveau, l’existence de mon travail représenterait l’exemple type d’une dépense sociale inutile.) À un certain niveau, c’est évidemment vrai. Il ne peut exister aucune mesure objective de l’utilité sociale.
Je n’aurai pas la prétention de dire à quelqu’un qui pense contribuer de façon utile à la société qu’en réalité, ce n’est pas le cas. Mais qu’en est-il de ces gens qui sont eux-mêmes convaincus que leur travail n’a aucun sens ? Il y a quelque temps, j’ai repris contact avec un ami d’enfance que je n’avais pas revu depuis l’âge de 12 ans. J’ai eu la surprise de découvrir qu’entretemps, il était devenu d’abord un poète, puis le chanteur d’un groupe de rock indépendant. J’avais entendu certaines de ses chansons à la radio sans savoir que le chanteur était quelqu’un que je connaissais. Il était de toute évidence brillant, créatif et son travail avait indiscutablement rendu plus belle la vie des gens sur l’ensemble de la planète. Et pourtant, après l’échec de plusieurs albums, il avait perdu son contrat et, criblé de dettes avec un enfant à charge, il s’était retrouvé à, comme il me le dit lui-même, « à prendre la solution par défaut de tant de gens perdus : la fac de droit ». Aujourd’hui, c’est un juriste d’entreprise qui travaille dans un prestigieux cabinet de New-York. Il est le premier à admettre que son travail est totalement vide de sens, n’apporte rien au monde et, selon lui, ne devrait même pas exister.
Cela pourrait nous conduire à nous poser pas mal de questions, à commencer par : que penser d’une société qui semble générer une demande extrêmement limitée pour de brillants musiciens et poètes mais qui possède, de toute évidence, une demande infinie pour les spécialistes en droit d’entreprise ? (Réponse : si 1% de la population contrôle la quasi-totalité de la richesse disponible, ce que nous appelons « le marché » reflète ce groupe, et non les autres, considère comme important). Mais surtout, cela montre que la plupart des gens qui occupent ce genre d’emploi sont bien conscients de son inutilité. D’ailleurs, je ne suis pas sûr d’avoir déjà rencontré un juriste d’entreprise qui ne pensait pas que son travail était bidon. Cela vaut pour toutes ses nouvelles industries mentionnées précédemment. Il y a une classe entière de professionnels salariés qui, lorsque vous les rencontrez dans une soirée et leur confiez que vous faites un métier pouvant être considéré comme intéressant (anthropologue par exemple), feront tout pour éviter de parler de leur propre métier (le leur ou celui de leur conjoint). Faites-les boire un peu et ils se lanceront dans des diatribes contre ce métier stupide et inutile qu’ils détestent.
Il y a là une profonde violence psychologique. Comment peut-on commencer à parler de la dignité du travail lorsque l’on pense que son travail ne devrait pas exister ? Comment cela ne peut-il pas conduire à un sentiment profond de rage et de ressentiment ? Et pourtant, le génie propre à notre société et de ceux qui la dirigent est d’avoir trouvé un moyen, comme dans le cas de ceux qui font frire les poissons, de faire en sorte que cette rage soit dirigée précisément contre ceux qui font un travail vraiment utile. Par exemple, dans notre société, il existe une règle générale selon laquelle plus le travail de quelqu’un est utile aux autres, moins ce travail a une chance d’être bien payé.
Là encore, il est difficile d’établir un critère objectif mais un bon indicateur est de poser la question suivante : que se passerait-il si ce groupe de gens venait simplement à disparaître ? Vous pouvez penser ce que vous voulez des infirmières, des éboueurs, des réparateurs mais il est évident que s’ils venaient à disparaître dans un nuage de fumée, les conséquences seraient immédiates et catastrophiques. Un monde sans professeurs ou dockers connaîtrait des difficultés et même un monde sans auteurs de science-fiction ou groupes de folk serait un monde bien moins intéressant. En revanche, il n’est pas clair que l’humanité y perdrait au change dans un monde où les directeurs de fonds d’investissement, les lobbyistes, les chercheurs en relations publiques, les actuaires, les télémarketeurs, ou les consultants juridiques, viendraient soudainement à disparaître (beaucoup de gens soupçonnent que le monde s’en porterait mieux). Là encore, à part quelques exceptions bien connues (les médecins), cette règle tient la route.
[…]
Si quelqu’un avait imaginé un système parfaitement conçu pour maintenir le pouvoir de la finance et du capital, il est difficile de voir comment il aurait pu faire un meilleur travail. Ceux qui accomplissent un véritable travail productif sont exploités et pressurés sans relâche. Le reste est réparti entre la strate terrorisée et universellement méprisée des chômeurs et une large strate globalement payée à ne rien faire qui occupe des postes conçus pour qu’elle s’identifie aux perspectives et aux sensibilités de la classe dirigeante (managers, administrateurs etc…), et tout particulièrement ses avatars financiers, tout en entretenant, dans le même temps, un ressentiment larvé envers quiconque exerçant un métier dont l’utilité sociale est aussi claire qu’indéniable. Il est évident que ce système n’a pas été conçu de façon consciente. Il a émergé suite à environ un siècle d’essais et d’erreurs. Mais c’est la seule explication au fait qu’en dépit de nos moyens techniques, nous ne travaillons pas tous seulement 3-4 heures par jour.
Notes du traducteur:
1- L’explosion des “bullshit jobs” doit beaucoup à l’explosion de la classe des « intellectuels mais idiots », ces diplômés du supérieur ou des grandes écoles qui, ne possédant pas de réelles compétences, ne peuvent donc exercer que des emplois bidons. Ce phénomène, conjugué à la réduction du nombre de travailleurs avec du « skin in the game » (entrepreneurs, indépendants) conduit à un système dominé par des gens incapables de faire autre chose que des “bullshit jobs” et qui se recrutent entre eux. Sauf exceptions, les chefs d’entreprise ou les dirigeants ne voient pas le problème ou refusent de le prendre à bras le corps, par exemple en supprimant 90% des postes d’encadrement pour créer des organisations dominées par des emplois productifs où l’encadrement est réduit au strict nécessaire, comme dans le cas d’école des entreprises FAVI ou de Valve Software
2-L’augmentation des « bullshit jobs » ne peut être comprise sans l’explosion du travail féminin et la destruction de la famille traditionnelle. Au début du XXe siècle, la quasi-totalité des femmes s’occupaient de la gestion du foyer et de l’éducation des enfants, les tâches économiques productives constituant le domaine réservé des hommes.Aujourd’hui les d’emplois administratifs ou de service sont majoritairement occupés par des femmes qui, soit par volonté, soit par nécessité économique (divorce notamment) ont rejoint la population active. Faire sortir massivement les femmes de la population active constituerait donc le meilleur moyen de réduire drastiquement la part des “bullshit jobs” dans l’économie, sans parler des bénéfices éducatifs, psychologiques et sociaux qu’une telle mesure induirait pour la société dans son ensemble.
3) Les “bullshit jobs” s’inscrivent parfaitement dans le projet de “socialisme technocratique” défendu à l’origine par la société fabienne et aujourd’hui par des instances mondialistes comme le Forum Économique Mondial. D’une part, la multiplication des normes, des règlements et des contraintes administratives étouffent l’esprit entrepreneurial et handicapent les PME par rapport aux grandes entreprises ; d’autre part, ces “bullshit jobs” démoralisent les individus, encouragent leur passivité et les préparent à leur remplacement par des machines, voir à leur élimination pure et simple.
« Si le peuple comprenait l’odieuse injustice de notre système bancaire et financier, il y aurait une révolution dès demain matin. » Andrew Jackson
Le contrôle du crédit par les banques privées et les banques centrales leur assure un contrôle de fait sur l’économie. En effet, le financement bancaire constitue un passage quasi-obligé aussi bien pour acquérir un bien immobilier que concrétiser un projet économique ou entrepreneurial. Ce monopole actuel contribue à faire oublier qu’il constitue une exception à l’échelle de l’histoire économique. Pendant des siècles, au lieu de passer par les banques, la majorité des entreprises et des particuliers faisaient appel, comme l’a démontré David Graeber, à un système complexe d’endettement réciproque qui, sous sa forme la plus moderne encore en vigueur jusque dans les années 60, prenait la forme du crédit vendeur.
De quoi s’agit-il ?
D’après sa définition : « le crédit vendeur est un prêt accordé directement entre le vendeur et l’acheteur d’un bien. Il permet à ce dernier de contourner le circuit bancaire classique. Le crédit vendeur est le plus souvent pratiqué entre particuliers, dans le cadre des ventes immobilières ou entre professionnels, dans le cadre des reprises d’entreprises ou des achats de fonds de commerce. »
Dans le cadre du crédit vendeur, au lieu de rembourser la banque ayant fourni le prêt l’acheteur rembourse directement le vendeur avec un taux d’intérêt pouvant être librement fixé entre les parties.
Pour prendre un exemple concret : dans le cadre de l’achat d’un bien immobilier valant 100 000€, l’acheteur peut payer comptant la moitié du prix, soit 50 000€ et payer le reste sous le régime du crédit vendeur versant ainsi tous les mois directement au vendeur les montants dus jusqu’au règlement entier de la somme.
Précisons que le crédit vendeur ne repose pas uniquement sur la confiance et la poignée de main.
Il est en effet tout à fait possible et même indispensable que les deux parties signent un contrat et fassent réaliser un acte authentique devant notaire mentionnant clairement la durée, le montant du prêt, du taux d’intérêt et des frais annexes
Permettant d’éviter de passer par les banques, ce système impose d’autres contraintes et expose bien évidemment à d’autres types de risques. Cependant, il est nécessaire de comprendre qu’au-delà de la simple logique économique, il s’agit d’un mode de financement véritablement révolutionnaire et subversif car il renverse totalement la logique du système actuel.
En effet, dans le système actuel, c’est votre richesse qui vous permet d’obtenir de la confiance.
Dans un système dominé par le crédit vendeur, c’est la confiance qui vous permet d’obtenir la richesse.
Dans le cadre d’un crédit vendeur, la question centrale n’est plus celle du crédit au sens économique mais bien celle du crédit au sens social, voire même moral du terme. Cette personne à laquelle je prête et qui s’engage à me rembourser est-elle digne de confiance ? Est-elle honorable ? Quelle est sa réputation ?
Dans un tel système, l’avantage n’est plus donné au nomade, au déraciné mais au contraire, à celui que l’on connaît et dont on connaît la famille et le caractère sur plusieurs générations. De plus, un tel système permet aux hommes d’échapper aux griffes de la technostructure et de la bureaucratie pour renouer des liens directs d’échange et donc de retrouver une forme de souveraineté sur eux-mêmes. Dans le cadre d’un crédit vendeur, ce n’est pas la banque qui prête mais Monsieur Durand qui prête à M. Dupont pour qu’il achète sa maison ou M. Dumoulin qui nous a fait un crédit vendeur pour nous permettre d’acquérir la machine qui nous permettra de développer notre entreprise.
Même si ce mécanisme comporte de nombreux avantages, précisons néanmoins que comme tout système économique, un système fondé sur le crédit vendeur ne peut fonctionner que si ses membres partagent des valeurs communes, acceptent de « jouer le jeu » et sanctionnent de façon impitoyable les éventuels « passagers clandestins » tentés d’en abuser.
Ceci étant dit, la beauté du système de crédit vendeur est que celui-ci peut parfaitement fonctionner en parallèle et en complément du système bancaire « classique ». En effet, il est tout à fait possible d’imaginer, dans un premier temps, qu’un tel système soit réservé pour des transactions portant sur des petits montants ou se trouve limité à des transactions entre les membres de groupes de confiance soudé autour de valeurs communes qu’elles soient politiques ou religieuses.
Face à la persécution qui frappe les résistants patriotes, le mécanisme du crédit vendeur pourrait par exemple être utilisé aussi bien par d’autres patriotes que par les anciennes générations pour aider des jeunes couples à acquérir un bien immobilier ou créer leur première entreprise. Utilisé dans cet état d’esprit, le crédit vendeur peut devenir une arme économique de reconquête mais aussi constituer une forme concrète de d’aide ou de solidarité communautaire sans pour autant verser dans la pure philanthropie.
Si un tel système venait à être adopté ou à sa diffuser, il se révèlerait bien plus efficace que tous les discours révolutionnaires pour réduire le pouvoir et le contrôle du système bancaire et financier sur l’économie. Face à la mondialisation et à la virtualisation des échanges, il permet en effet d’enraciner à nouveau l’activité financière au niveau local et à l’échelle humaine et plus important encore, il vient rappeler à chacun qu’il a le pouvoir, à travers ses choix et ses comportements économiques, d’exercer une influence directe sur l’évolution de la société et les règles qui la régissent.
Ainsi, adopter un dispositif aussi simple que le crédit vendeur pourrait permettre de passer concrètement de la société de l’argent à la société de la confiance, d’un monde dominé par les chiffres à un monde centré sur l’Homme.
La guerre du Vietnam fut la première guerre conçue et menée par des technologies et des méthodes issues du monde de la grande entreprise. Président du constructeur automobile Ford, le secrétaire d’état à la défense, Robert McNamara mit un point d’honneur à « moderniser » et à « rationaliser » le Pentagone ainsi que la conduite de la guerre.
La légende
raconte que McNamara fit entrer dans un supercalculateur toutes les données du
conflit : hommes, matériel, forces ennemies, munitions, litres de
carburant, pertes civiles puis il demanda à l’ordinateur de calculer l’issue de
la guerre. Pendant plusieurs semaines, l’ordinateur moulina les données et un
soir, un militaire informa McNamara que l’ordinateur était prêt à donner sa
réponse.
«Alors, quel est le résultat? » , demanda le secrétaire d’État à la défense.
« Selon mes calculs, vous avez gagné la guerre il y a deux ans », répondit l’ordinateur…
Aujourd’hui,
les entreprises et les gouvernements ne jurent plus que par l’IA et le Big
Data.
Pour eux,
ces technologies sont les clés de la future suprématie économique, technologie
et militaire.
Passons sur le fait que personne n’explique jamais comment, dans un contexte d’épuisement des terres rares nécessaires à la construction de leurs composants électroniques, ces technologies peuvent être pérennes. Au-delà des limites physiques qui finiront par ramener tout le monde à la raison, il faut rappeler que cette croyance en la panacée technologique procède du même aveuglement qui conduisit les États-Unis à la défaite au Vietnam en dépit d’une suprématie technologique et militaire écrasante.
En effet,
tout système d’information, d’aide à la décision ou de collecte de données
repose toujours sur les limites suivantes :
1-Aussi perfectionné soit-il, un système informatique ne sait pour l’instant que répondre aux questions qui lui ont été posées et traiter les données qui lui ont été communiquées. Si les questions sont mal posées ou les data sets de qualité médiocre ou incomplets, les résultats ne seront jamais pertinents. Dans de nombreux cas, ceux qui utilisent de tels systèmes, dans le monde de l’entreprise ou en politique, possèdent une connaissance très insuffisante, voire inexistante des systèmes d’information, de la statistique et de l’exploitation de données, sans parler de la confiance aveugle dans des modèles “prédictifs” qui n’ont souvent de scientifique que le nom car ils ignorent les processus non-linéaires ainsi que les effets de second et troisième ordre.
2- Comme je l’ai expliqué dans un précédent article, la variable clé n’est pas la quantité de données mais la qualité et la pertinence de ces dernières, ce que j’ai appelé la « densité informationnelle ». Avec le Big Data, il existe un grand risque de noyer l’information critique au milieu d’un océan de données parasites, conduisant le plus souvent à créer une couche supplémentaire de systèmes d’information pour faire le tri. Sur ce point, il a d’ailleurs été prouvé à de nombreuses reprises, par exemple par Paul Slovic ou Stuart Oskamp que l’augmentation de la quantité de données disponibles ne conduit pas à augmenter la qualité de la prise de décision mais plutôt à la diminuer. Enfin, l’accès rapide à une telle masse de donnée peut conduire à de l’arrogance et à une baisse de vigilance, l’utilisateur pensant avoir toutes les cartes en main alors qu’il lui manque en réalité l’information critique. Comme l’écrivait Charles de Gaulle, dans La France et son armée : “l’excès de technique obscurcit la vision des ensembles”
3- Le Big data et l’IA demeurent avant tout des outils d’aide à la prise de décision. Si les êtres humains en bout de chaîne ne sont pas formés pour exploiter l’information recueillie ou si les organisations auxquels ils appartiennent ne peuvent pas agir sur les résultats de l’analyse pour des raisons politiques ou autres, toute cette collecte sophistiquée d’information se trouve réalisée en pure perte.
La lutte contre le terrorisme islamique offre un parfait exemple des limites du Big Data. Il est indéniable, qu’au-delà des questions politiques sur la protection de la vie privée et le pouvoir donné au gouvernement, ces technologies ont permis d’éviter des attentats et d’arrêter des criminels. Ceci étant dit, malgré la débauche de moyens déployés, il faudra aux États-Unis plus d’une dizaine d’années pour mettre la main sur Ben-Laden et sa localisation sera due à une information donnée par une source humaine et à l’opiniâtreté d’un agent de la CIA. Récemment, en France, l’attentat de la préfecture de Paris a mis en évidence des dysfonctionnements, comble du comble, au sein d’un service de renseignement : non-traités par la hiérarchie, les signaux d’alerte n’avaient pas été entrés dans le système. De la même manière, le mouvement des Gilets Jaunes de 2018 prit totalement de court les services de renseignement français en dépit de signes avant-coureurs identifiés de longue date par des journalistes, des écrivains ou des sociologues.
En réalité, il serait beaucoup plus sain de développer un profond scepticisme à l’égard du Big Data et de l’IA. Au lieu d’être des accélérateurs de connaissance, ces technologies contribuent souvent à la baisse de la qualité de la prise de décision. Elles permettent en effet de dissimuler le faible niveau de compétences des décideurs derrière le paravent de la technologie et de camoufler les limites de ces outils sous un vernis mathématique et statistique censé être le garant de leur scientificité.
Plutôt que d’investir dans la technologie, il est en réalité toujours plus payant d’investir dans l’humain et dans sa formation car au final, c’est toujours lui qui se trouve en bout de chaîne.
Au lieu de décupler les capacités des hommes, la technologie rend souvent ces derniers paresseux et diminue leurs seuils d’exigence ainsi que leurs compétences pratiques. Plutôt qu’apprendre à lire une carte, de mémoriser le nom des rues ou de planifier un itinéraire, on s’en remet à un GPS. Plutôt que de mémoriser des informations importantes, on s’en remet à Wikipédia ou à une base de données. Et quand l’outil n’est plus disponible ou dysfonctionne, c’est la catastrophe car les connaissances et les compétences ne se trouvent plus dans le cerveau humain, elles ont été externalisées chez la machine.
Notre époque a oublié que le cerveau humain est le plus puissant supercalculateur jamais inventé et que ces capacités ont été affinées et perfectionnées par de milliards d’années d’évolution, le plus éprouvant et rigoureux stress test qui soit. Quand il est bien entraîné, le cerveau humain sait établir des connexions, détecter des patterns, faire le tri entre différents sources et niveaux d’information, bien plus rapidement que n’importe quelle machine. Ce qu’il perd en capacité brute de traitement, il le rattrape largement avec ses heuristiques, ces raccourcis mentaux qui nous frappent parfois comme des fulgurances. De plus, les systèmes d’information sont souvent rigides et ce d’autant plus quand ils se trouvent intégrés dans des organisations hiérarchiques. Dans de telles structures, l’accès rapide à l’information n’est pas toujours possible où se retrouve bloqué par les niveaux d’accès, les procédures et les rivalités internes.
De plus, ces systèmes d’information, très coûteux à mettre en place et dont la question de la vulnérabilité se trouve toujours posée, peuvent être difficilement modifiés ou adaptés selon les circonstances et les besoins. Plutôt que rendre une organisation agile, souvent ils la figent et génèrent ce que les économistes appellent des externalités négatives dont les coûts sont rarement évalués et intégrés au calcul d’ensemble. Il ne s’agit pas de rejeter l’IA et le Big Data mais de les considérer non pas comme la pierre angulaire des systèmes d’information modernes mais plutôt comme des outils annexes devant être utilisés de façon limitée et ponctuelle.
Malheureusement, faute de formation et de compréhension des limites de l’outil, il est aujourd’hui toujours plus porteur d’affirmer que l’on prépare l’avenir en investissant X milliards dans l’IA et le Big data plutôt que d’annoncer que l’on va recruter des hommes et les former correctement. Récemment, une connaissance me raconta comment dans les années 80, un de ses amis, passant le concours pour devenir douanier, fut interpellé par deux officiers des Renseignements Généraux (RG) à la sortie de l’épreuve sportive. Ces derniers lui montrèrent des polaroids pris dix ans plus tôt lors d’une manifestation de soutien au président chilien Allende. François Mitterrand étant au pouvoir, les agents indiquèrent au candidat qu’il ne serait pas inquiété. Mais le message était passé.
Avec les moyens de l’époque, les RG parvinrent à identifier
un homme sur la base de polaroids pris dans une manifestation comptant des
dizaines de milliers de personnes et faire le lien avec un candidat passant le
concours des douanes plus de dix ans plus tard. Aujourd’hui, malgré les
technologies à leur disposition, les services de renseignement ont du mal à
suivre les djihadistes potentiels faute d’effectifs, de contacts sur le terrain
et surtout de décisions politiques permettant d’en réduire la masse.
En 2008, le
président Nicolas Sarkozy supprima de fait les renseignements généraux pour les
faire fusionner avec la DST donnant ainsi naissance à la DCRI. Selon un grand nombre de spécialistes,
cette réforme conduisit à une perte d’information, de capacité d’action et de
savoir-faire au sein du renseignement français que la France paie encore
aujourd’hui.
En 2016, la DGSI fit appel à la société américaine « Palantir », spécialisée dans le Big data, confiant ainsi l’accès aux données les plus sensibles du renseignement français à une entreprise américaine proche de la CIA et des services américains.
En réalité, le Big data et l’IA, au-delà des opportunités lucratives qu’elles offrent à certaines entreprises, participent à cette croyance moderne irraisonnée dans le progrès technologique et à la confusion entre la science (la connaissance réelle, la capacité à agir efficacement sur le monde) et le scientisme ( la profusion de données et de “modèles” qui intègrent rarement la possibilité d’un Black Swan).
Au delà de ces questions épistémiques, ces technologies viennent en réalité apporter une réponse technique à un problème économique et social. Dans un contexte de raréfaction énergétique et de contraction économique, les entreprises et les organisations cherchent à réduire la masse des travailleurs humains au maximum et à remplacer les employés par des machines. Cette tendance qui concernait dans un premier temps les travailleurs les moins qualifiés est en train d’affecter peu à peu les emplois intermédiaires ainsi que certaines professions spécialisées.
Quel avenir et quel projet politique pour des sociétés où le travail et la richesse risquent de finir concentrées entre les mains d’une “élite” ultra-qualifiée assistée par de plus en plus nombreuses machines ? A coup sûr, certains intellectuels-mais-idiots suggéreront de se tourner vers l’ IA pour obtenir une réponse à cette épineuse question.
A en croire, les « experts » l’économie serait avant tout une question de taille.
Nous vivons dans un monde où les fusions et acquisitions d’entreprise sont saluées par les marchés, où l’Union Européenne est présentée comme un moyen de « peser » face à la Chine et où les décideurs politiques répètent à l’envi qu’une « puissance moyenne » comme la France ne peut plus prétendre exercer une influence décisive sur les affaires du monde.
Ce type de raisonnement, malheureusement fort répandu, témoigne d’une méconnaissance
complète des mécanismes qui régissent la création de la valeur et de l’influence.
Dans ses livres « La Nouvelle Grille » et « Eloge de la Fuite », le neuropsychiatre Henri Laborit a proposé une théorie remarquable de l’action humaine ainsi qu’une explication de la « préférence pour l’abstraction » dans la constitution des hiérarchies. Selon Laborit, la seule chose qui compte dans toute activité humaine, c’est la façon dont nous « informons la matière », c’est-à-dire la quantité mais aussi la qualité d’information que nous injectons dans une action donnée.
Pour être bien comprise, cette notion très abstraite mérite quelques exemples concrets.
Les journées ont 24h pour tout le monde. Or, en 24h, certains se contenteront de manger et de dormir tandis que d’autres construiront des machines ou écriront des pages de poésie qui traverseront les siècles. A un niveau fondamental, explique Laborit, la différence entre ces différentes formes d’utilisation de l’énergie réside dans la façon dont la matière aura été informée.
Celui qui se contente de manger et de dormir suit simplement l’information contenue dans ses gènes laquelle vient ensuite informer son système cérébral et hormonal. A l’inverse, celui qui construit une machine rajoute des couches d’information supplémentaire : il doit posséder la dextérité suffisante née de la pratique ou de l’exemple d’un maître (transmission de l’information), il doit posséder des outils (matière dans laquelle de l’information a été injectée pour les façonner), il doit posséder une connaissance des propriétés des matériaux qu’il travaille et enfin, à un niveau d’abstraction ultime, il connaît les lois de la physique et de la chimie qui régissent l’univers ce qui lui permet d’informer de façon encore plus précise son action.
Pour Laborit, plus la matière est « chargée » d’information de qualité plus l’action est efficace et l’influence grande.
Prenons un autre exemple : le choix d’un divertissement de deux
heures.
Un spectateur A va regarder une
émission de divertissement classique à la télévision.
Un spectateur B va jouer à un jeu vidéo de résolution de puzzle.
Dans le même laps de temps, le spectateur B se divertira mais fera travailler ses réflexes, sa coordination œil-main, sa capacité de résolution de problème, son orientation visuelle et spatiale et s’il a choisi de jouer en anglais, il pratiquera un apprentissage passif de la langue. Sur la même durée de divertissement, l’expérience du spectateur B sera beaucoup plus riche en informations.
Pour toutes les actions et les destinées humaines, la différence se joue sur la façon dont nous informons la matière. Plus, la matière est « chargée » en information de qualité, plus nous en retirons des bénéfices. Pour Laborit, ceci explique pourquoi toutes les hiérarchies humaines pratiquent la « prime à l’abstraction »: plus nous allons vers l’abstraction et les lois générales, plus nos actions reposent sur des couches et des couches d’information accumulées.
A cette théorie, j’ajouterai le commentaire suivant :
Plus nous sommes proches des lois de la Nature, plus nous informons avec succès la matière.
Si nous connaissons les lois d’anatomie humaine, nous pouvons soigner plus efficacement. Si nous connaissons les lois de la physique et de la chimie, nous pouvons construire des outils plus efficaces. Si nous connaissons les grandes lois anthropologiques et psychologiques, nous pouvons mieux diriger les hommes. Si nous connaissons les lois de la Nature, nous pouvons vivre comme des sages. Confucius, de même que les présocratiques, avait compris cela de façon intuitive :
« A soixante dix ans, j’agissais en toute liberté sans jamais transgresser aucune règle ».
Pour informer efficacement la matière, il faut observer le monde et déterminer les lois qui le régissent. C’est l’essence même de la méthode scientifique, qui reste à ce jour la meilleure méthode pour extraire de l’information de qualité et la transmettre. Notons cependant que certaines lois, comme celles de la physique quantique ou de la psychologie, ne peuvent pas être saisies par une conception trop étroite de la logique. Comme l’a très bien expliqué Nicholas Taleb, certaines choses sont logiques, même si, en apparence, elles ne semblent pas être rationnelles. Le Zen par exemple, nous enseigne que pour agir efficacement, il faut justement ne pas chercher à agir, paradoxe apparent qui cache en réalité une compréhension fine et empirique des automatismes cérébraux et de ce qu’on appelle aujourd’hui l’état de « flow ».
Cette recherche permanente de l’information de qualité suppose d’établir des hiérarchies et de faire le tri entre la camelote qui contient de l’information de faible qualité et la pépite qui en contient de grandes quantités. Pour dire les choses autrement, il vaut mieux lire Balzac ou Dostoïevski que le dernier roman de gare à succès. Cette recherche implique également de se défier des systèmes politiques ou culturels qui produisent de l’information de mauvaise qualité ou empêchent d’en acquérir de la bonne. Les croyances religieuses peuvent par exemple se révéler très intéressantes sur le plan de la psychologie et de la cohésion du groupe mais peuvent aussi empêcher la compréhension des lois de la nature et bloquer l’acquisition d’informations nouvelles sur le monde.
Par conséquent, il est absurde de réfléchir en termes de taille. La mesure clé devrait toujours être celle de la « densité informationnelle ».
Sur le plan politique et culturel, le peuple juif constitue la preuve vivante de la validité de cette théorie. Petit par la taille, quelques dizaines de millions de personnes, ce peuple de survivants exerce depuis des millénaires une influence décisive sur les affaires du monde : fondateur de deux grands monothéismes (n’oublions pas que Jésus était un juif qui s’est rebellé contre la loi juive), banquier des rois (Fugger, Rothschild), maître des arts (Kubrick, Spielberg), des sciences (Einstein, Kahneman) et du commerce. Malgré sa petite taille, le peuple juif a joué un rôle considérable dans l’histoire de l’Humanité. Comment ? En informant correctement la matière.
En effet, il est remarquable de constater que le peuple juif a su, au cours des millénaires de son histoire, injecter de l’information de qualité dans son ADN culturel : exposition volontaire à une pression évolutive forte en se déclarant « peuple élu », solidarité communautaire forte via des rituels excluant les goyim, identité spécifique et fierté vis-à-vis de cette dernière , culture qui valorise la connaissance et l’esprit critique plutôt que l’obéissance aveugle. A tous les niveaux, la culture juive a su accumuler un ensemble de mèmes particulièrement adaptés ce qui explique à la fois sa survie mais aussi sa prééminence.
De leur côté, l’Europe et notamment la France, exercèrent également une influence décisive sur l’Histoire du monde en dépit de leur faible taille.
Le monde doit à la France la première université, la première faculté de médecine, l’invention du vaccin, du moteur à explosion, du cinéma et de la photographie pour ne citer que les inventions les plus connues et les plus spectaculaires. Pendant des siècles, ce petit coin de terre située au bout de l’Europe fut un concentré de génie capable d’influencer durablement la marche du monde. Recevant les jésuites envoyés par Louis XIV à sa cour, l’empereur de Chine fut tellement impressionné qu’il désigna la France comme « le pays du Lys et de la Méthode ».
Si les choses ont bien changé, ce n’est pas parce que la France est devenue un « petit pays » ou une « puissance moyenne », c’est parce que fonctionnant désormais sur un mauvais logiciel culturel transmettant de mauvais mèmes et privée d’un chef capable d’en changer, elle n’arrive plus à “informer correctement la matière”.
« Pour de nombreuses personnes, l’idée qu’il puisse y avoir des limites à la croissance est tout simplement impensable. » Donella H. Meadows
Il est toujours utile de rappeler qu’à l’échelle de l’histoire économique, la croissance des deux derniers siècles représente l’exception plutôt que la règle. Jusqu’au XIXème siècle, la croissance économique de toutes les sociétés préindustrielles était en effet proche de zéro. Pour ces dernières, l’augmentation de la population ou l’accaparement de richesses extérieures, donc la guerre, constituaient en réalité le seul moyen de « croissance ».
Tout cela changea avec la Révolution Industrielle et l’exploitation
des énergies fossiles, pétrole et charbon. J’ai
déjà expliqué comment la croissance économique est en réalité une fonction
linéaire de l’énergie consommée et comment l’effondrement du taux de rendement
énergétique va mécaniquement contribuer à un ralentissement de la croissance au
XXIème siècle.
Aujourd’hui, je voudrais revenir sur l’idée même de croissance et expliquer pourquoi cette dernière et à plus forte raison, la construction de tout système économique et social sur le postulat d’une croissance infinie constitue une idée aussi absurde que dangereuse.
Pour la pensée économique actuelle, une croissance de 1% par an est considérée comme faible, la valeur souhaitable se situant autour de 3 à 5% pour les économies « matures ». Rappelons tout d’abord qu’une croissance de 1% signifie le doublement de l’unité de valeur en l’espace de 70 ans. Les économistes et les dirigeants politiques devraient être troublés par le fait qu’il est quasiment impossible de trouver un phénomène naturel capable de croître ne serait-ce que de 1% de façon continue et infinie. La Nature est en effet marquée par cycles d’expansion puis de contraction (cycle des saisons), par une stabilisation une fois un certain seuil atteint suivi d’un déclin (corps humain) ou par une croissance importante suivie d’un effondrement tout aussi brutal (étoiles).
Pour mieux comprendre, l’absurdité du postulat, imaginons un instant
que le corps humain connaisse une croissance continue de 1% par an. Ce corps mesurerait environ 1,80m à la fin de l’adolescence et
continuerait à croître, passant à 2.20m puis 2,50 m et ainsi de suite jusqu’à sa mort, consommant au fur et
à mesure du temps une quantité de plus en
plus importantes de ressources pour se maintenir.
En poussant le raisonnement jusqu’au bout, une entité qui connaitrait
une croissance infinie finirait par mourir après avoir consommé toute l’énergie
présente dans l’univers.
Si aucun système ne connaît une croissance continue, c’est donc tout simplement parce qu’une telle croissance n’est absolument pas soutenable. Malgré cette évidence, la quasi-totalité des habitants de pays dits « développés » continue de penser que leurs économies et leur niveau de vie vont continuer de croître indéfiniment. Plus grave encore, l’idée de croissance se trouve tellement ancrée dans la psychologie moderne qu’il est très difficile de faire admettre que ce que nous considérons depuis deux siècles comme la règle représente en réalité, à l’échelle de l’histoire économique humaine, une exception née de l’exploitation massive de stock d’énergies fossiles et de matière premières pour l’essentiel non-renouvelables.
Le refus de
remettre en cause l’idée même de croissance menace doublement nos
sociétés, sans parler des conséquences
désastreuses de ce paradigme sur l’environnement.
En premier lieu, le postulat de la croissance a rendu nos systèmes économiques et sociaux extrêmement vulnérables et fragiles. Aujourd’hui, non seulement tous nos systèmes économiques doivent croître pour se maintenir et ne sont absolument plus calibrés pour gérer des cycles marqués par de longues périodes de contraction mais ils ont également détruits toutes les structures et les organisations traditionnelles qui, elles, s’étaient perfectionnées durant des milliers d’années dans la gestion des phases de creux.
Mais surtout, ce postulat de croissance a ancré dans les esprits que « plus » était toujours « mieux », qu’il était raisonnable de s’attendre à avoir un peu plus chaque année que l’année précédente et que tout accroissement d’une unité de valeur constituait un « progrès ». Les « progressistes » devraient toujours se rappeler que leur idéologie trouve son origine au fond d’un puits de pétrole ou d’une mine de charbon.
Pour leur plus grand malheur, les hommes du XXIème siècle ne sont absolument pas préparés mentalement à la contraction qui vient et les idées de limite, de contrôle et de décroissance restent considérées comme de véritables hérésies sur le plan politique et social, jugées bonnes à n’intéresser que les militants écologiques les plus radicaux.
Pour amortir le choc qui vient, il est urgent de réintégrer l’idée de cycle et de limite dans la pensée politico-économique et constituer autant d’amortisseurs (buffers) et de réserves que possible pour surmonter les contractions à venir. Un des grands défis politique et organisationnel du XXIème siècle sera la reconstruction de systèmes socio-économiques flexibles, antifragiles et capables de résister à de longues périodes de croissance faible ou nulle sans être fragilisés, ni s’effondrer. Autrement dit : tout reste encore à faire.