Des “Bullshit Jobs”

Extraits d’un article David Graeber publié en août 2013 par le site Strike sous le titre original « On the phenomenon of bullshit jobs »

Traduit de l’anglais par Stanislas Berton

En 1930, John Maynard Keynes avait prédit que d’ici la fin du siècle, la technologie aurait connu des progrès suffisants pour que l’Angleterre et les États-Unis puissent mettre en place la semaine de travail de quinze heures. Nous avons toutes les raisons de penser que sa prédiction était juste. D’un point de vue technique, nous en sommes capables. Et pourtant, cela ne s’est pas produit. Au contraire, la technologie a été mise à contribution pour trouver des moyens de nous faire travailler davantage. Pour arriver à ce résultat, il a fallu créer des emplois qui sont, dans les faits, totalement inutiles. Un nombre important de gens, en Europe et aux États-Unis, passent ainsi l’intégralité de leur vie professionnelle à accomplir des tâches dont ils pensent secrètement qu’elles n’ont aucune raison d’être accomplies. Les dégâts moraux et spirituels causés par cet état de fait sont profonds. C’est une cicatrice sur notre psyché collective. Et pourtant pratiquement personne n’en parle.

Pourquoi l’utopie promise par Keynes, encore attendue avec impatience dans les années soixante, ne s’est-elle jamais matérialisée ? De nos jours, l’explication habituelle est qu’il n’avait pas prévu l’augmentation spectaculaire de la consommation. Entre travailler moins d’heures et posséder davantage de jouets et de plaisirs, nous avons collectivement choisi la deuxième option. Cette explication constitue peut-être une bonne leçon de morale mais y réfléchir un seul instant suffit pour comprendre qu’elle ne peut pas être vraie. Certes, nous avons été témoins depuis les années 20 de la création d’une variété infinie de nouvelles activités et d’industries mais très peu d’entre elles ont un rapport avec la production et la distribution de sushis, d’IPhones ou de baskets dernier cri.

Alors quelle est précisément la nature de ces nouveaux emplois ? Un rapport récent comparant l’emploi aux États-Unis entre 1920 et 2000 nous en donne une vision assez claire (à noter que cette évolution se retrouve également en Grande-Bretagne). Au cours du siècle précédent, le nombre de travailleurs employés en tant que domestiques, dans l’industrie ou l’agriculture s’est effondré de façon spectaculaire. Dans le même temps, les effectifs dans les emplois managériaux, administratifs, commerciaux et plus généralement dans les services ont triplé, passant d’un quart aux trois-quarts de l’emploi total. Pour dire les choses autrement, les emplois productifs ont, comme prévu, été largement automatisés (même si vous comptez les emplois industriels à l’échelle mondiale en incluant les masses laborieuses de l’Inde et de la Chine, ces emplois ne représentent pas une part aussi importante de la population active qu’ils l’étaient par le passé).

Mais plutôt que d’avoir conduit à une réduction massive du temps travail afin de rendre la population mondiale libre de poursuivre ses propres projets, ses plaisirs, ses visions et ses idées, nous avons assisté à une explosion, non pas tant du secteur des« services » mais du secteur administratif, jusqu’à la création de nouvelles industries comme l’industrie des services financiers, le télémarketing, ou l’expansion sans précédent de certains secteurs d’activité comme le droit d’entreprise, les cadres administratifs universitaires ou médicaux, les ressources humaines et les relations publiques. Et ces chiffres ne tiennent pas compte de tous ces gens dont le travail consiste à apporter un soutien administratif, technique ou sécuritaire à ces industries, sans parler de toutes ces industries annexes (toiletteurs pour chien, livreurs de pizzas) qui n’existent que parce les gens des autres industries sont trop occupés pour réaliser eux-mêmes ces tâches.

Tout cela constitue ce que je propose d’appeler des « bullshit jobs » ( les emplois bidons)

C’est comme si quelqu’un s’amusait à inventer ces emplois inutiles juste pour continuer à nous faire travailler. Et c’est là qu’est l’énigme. Dans un système capitaliste, c’est justement le genre de chose qui n’est pas censé se produire. Dans les anciens pays soviétiques notoirement inefficaces tel que l’URSS où le travail était considéré comme un droit et un devoir sacré, le système créait autant d’emplois que nécessaire (c’est pour cela qu’en URSS, il fallait trois vendeurs pour vendre un seul bout de viande). Mais en revanche, c’est exactement le problème qu’une économie de marché est censée résoudre. Selon la théorie économique, la dernière chose que va faire une entreprise qui cherche à dégager un profit c’est de verser de l’argent à des gens qu’elle n’a pas vraiment besoin d’employer. Et pourtant, c’est bien ce qui se passe.

Quand les entreprises se livrent à d’impitoyables réductions de la masse salariale, les licenciements et autres dégraissages frappent inévitablement la catégorie de gens qui contribuent à produire, à transporter, à réparer et à effectuer la maintenance alors que par le biais d’une étrange alchimie que personne ne parvient véritablement à expliquer, le nombre de bureaucrates salariés semble en progression constante et de plus en plus d’employés se retrouvent, comme les travailleurs de l’Union Soviétique, à travailler quarante à cinquante heures par semaine en théorie mais à en travailler véritablement quinze, comme l’avait prédit par Keynes, le reste du temps étant passé à organiser ou à assister à des séminaires de motivation, mettre à jour des profils Facebook ou à jouer à des jeux sur un navigateur Internet.

La réponse n’est manifestement pas économique : elle est morale et politique. La classe dirigeante a compris qu’une population heureuse et productive avec du temps libre représente un danger mortel (pensez à ce qui a commencé à se produire quand nous nous sommes approchés de cette situation dans les années soixante). Et d’un autre côté, le sentiment que le travail possède une valeur morale en tant que tel et que quiconque n’accepte pas de se soumettre à une intense discipline de travail durant ses heures ouvrées mérite bien son sort, est une idée extrêmement utile pour ceux qui nous dirigent.

Un jour, alors que je considérais la croissance en apparence infinie des responsabilités administratives dans un département universitaire britannique, je fus saisi par une certaine vision de l’enfer. L’enfer est un groupe de gens qui passent l’essentiel de leur temps à accomplir une tâche qu’ils n’aiment pas et pour laquelle ils n’ont aucun talent particulier. Admettons qu’ils aient été embauchés parce qu’ils étaient d’excellents menuisiers et qu’ils découvrent qu’ils doivent passer l’essentiel de leur temps à faire frire du poisson. En plus, cette tâche est globalement inutile dans le sens où il n’y a qu’un nombre limité de poissons qui ont besoin d’être frits. Et pourtant, ils deviennent malades de jalousie à l’idée que certains de leurs collègues passent plus de temps à faire de la menuiserie plutôt qu’à faire leur part de friture de poisson et en un rien de temps, vous vous retrouvez avec des piles de poissons mal cuisinés et tout le monde ne fait plus que ça. Je pense qu’il s’agit là d’une description assez précise du fonctionnement moral de notre économie.

J’ai bien conscience qu’un tel argument va immédiatement soulever certaines objections : qui êtes-vous pour déterminer quels emplois sont vraiment « nécessaires » ? Qu’est-ce que « nécessaire » veut dire ? Vous êtes un professeur d’anthropologie, en quoi est-ce « nécessaire » ? (En effet, pour de nombreux lecteurs de la presse de caniveau, l’existence de mon travail représenterait l’exemple type d’une dépense sociale inutile.)  À un certain niveau, c’est évidemment vrai. Il ne peut exister aucune mesure objective de l’utilité sociale.

Je n’aurai pas la prétention de dire à quelqu’un qui pense contribuer de façon utile à la société qu’en réalité, ce n’est pas le cas. Mais qu’en est-il de ces gens qui sont eux-mêmes convaincus que leur travail n’a aucun sens ? Il y a quelque temps, j’ai repris contact avec un ami d’enfance que je n’avais pas revu depuis l’âge de 12 ans. J’ai eu la surprise de découvrir qu’entretemps, il était devenu d’abord un poète, puis le chanteur d’un groupe de rock indépendant. J’avais entendu certaines de ses chansons à la radio sans savoir que le chanteur était quelqu’un que je connaissais. Il était de toute évidence brillant, créatif et son travail avait indiscutablement rendu plus belle la vie des gens sur l’ensemble de la planète. Et pourtant, après l’échec de plusieurs albums, il avait perdu son contrat et, criblé de dettes avec un enfant à charge, il s’était retrouvé à, comme il me le dit lui-même, « à prendre la solution par défaut de tant de gens perdus : la fac de droit ». Aujourd’hui, c’est un juriste d’entreprise qui travaille dans un prestigieux cabinet de New-York. Il est le premier à admettre que son travail est totalement vide de sens, n’apporte rien au monde et, selon lui, ne devrait même pas exister.

Cela pourrait nous conduire à nous poser pas mal de questions, à commencer par : que penser d’une société qui semble générer une demande extrêmement limitée pour de brillants musiciens et poètes mais qui possède, de toute évidence, une demande infinie pour les spécialistes en droit d’entreprise ? (Réponse : si 1% de la population contrôle la quasi-totalité de la richesse disponible, ce que nous appelons « le marché » reflète ce groupe, et non les autres, considère comme important). Mais surtout, cela montre que la plupart des gens qui occupent ce genre d’emploi sont bien conscients de son inutilité. D’ailleurs, je ne suis pas sûr d’avoir déjà rencontré un juriste d’entreprise qui ne pensait pas que son travail était bidon. Cela vaut pour toutes ses nouvelles industries mentionnées précédemment. Il y a une classe entière de professionnels salariés qui, lorsque vous les rencontrez dans une soirée et leur confiez que vous faites un métier pouvant être considéré comme intéressant (anthropologue par exemple), feront tout pour éviter de parler de leur propre métier (le leur ou celui de leur conjoint). Faites-les boire un peu et ils se lanceront dans des diatribes contre ce métier stupide et inutile qu’ils détestent.

Il y a là une profonde violence psychologique. Comment peut-on commencer à parler de la dignité du travail lorsque l’on pense que son travail ne devrait pas exister ? Comment cela ne peut-il pas conduire à un sentiment profond de rage et de ressentiment ? Et pourtant, le génie propre à notre société et de ceux qui la dirigent est d’avoir trouvé un moyen, comme dans le cas de ceux qui font frire les poissons, de faire en sorte que cette rage soit dirigée précisément contre ceux qui font un travail vraiment utile. Par exemple, dans notre société, il existe une règle générale selon laquelle plus le travail de quelqu’un est utile aux autres, moins ce travail a une chance d’être bien payé.

Là encore, il est difficile d’établir un critère objectif mais un bon indicateur est de poser la question suivante : que se passerait-il si ce groupe de gens venait simplement à disparaître ? Vous pouvez penser ce que vous voulez des infirmières, des éboueurs, des réparateurs mais il est évident que s’ils venaient à disparaître dans un nuage de fumée, les conséquences seraient immédiates et catastrophiques. Un monde sans professeurs ou dockers connaîtrait des difficultés et même un monde sans auteurs de science-fiction ou groupes de folk serait un monde bien moins intéressant. En revanche, il n’est pas clair que l’humanité y perdrait au change dans un monde où les directeurs de fonds d’investissement, les lobbyistes, les chercheurs en relations publiques, les actuaires, les télémarketeurs, ou les consultants juridiques, viendraient soudainement à disparaître (beaucoup de gens soupçonnent que le monde s’en porterait mieux). Là encore, à part quelques exceptions bien connues (les médecins), cette règle tient la route.

[…]

Si quelqu’un avait imaginé un système parfaitement conçu pour maintenir le pouvoir de la finance et du capital, il est difficile de voir comment il aurait pu faire un meilleur travail. Ceux qui accomplissent un véritable travail productif sont exploités et pressurés sans relâche. Le reste est réparti entre la strate terrorisée et universellement méprisée des chômeurs et une large strate globalement payée à ne rien faire qui occupe des postes conçus pour qu’elle s’identifie aux perspectives et aux sensibilités de la classe dirigeante (managers, administrateurs etc…), et tout particulièrement ses avatars financiers, tout en entretenant, dans le même temps, un ressentiment larvé envers quiconque exerçant un métier dont l’utilité sociale est aussi claire qu’indéniable. Il est évident que ce système n’a pas été conçu de façon consciente. Il a émergé suite à environ un siècle d’essais et d’erreurs. Mais c’est la seule explication au fait qu’en dépit de nos moyens techniques, nous ne travaillons pas tous seulement 3-4 heures par jour.

Notes du traducteur:

1- L’explosion des “bullshit jobs” doit beaucoup à l’explosion de la classe des « intellectuels mais idiots », ces diplômés du supérieur ou des grandes écoles qui, ne possédant pas de réelles compétences, ne peuvent donc exercer que des emplois bidons. Ce phénomène, conjugué à la réduction du nombre de travailleurs avec du « skin in the game » (entrepreneurs, indépendants) conduit à un système dominé par des gens incapables de faire autre chose que des “bullshit jobs” et qui se recrutent entre eux. Sauf exceptions, les chefs d’entreprise ou les dirigeants ne voient pas le problème ou refusent de le prendre à bras le corps, par exemple en supprimant 90% des postes d’encadrement pour créer des organisations dominées par des emplois productifs où l’encadrement est réduit au strict nécessaire, comme dans le cas d’école des entreprises FAVI ou de Valve Software

2-L’augmentation des « bullshit jobs » ne peut être comprise sans l’explosion du travail féminin et la destruction de la famille traditionnelle. Au début du XXe siècle, la quasi-totalité des femmes s’occupaient de la gestion du foyer et de l’éducation des enfants, les tâches économiques productives constituant le domaine réservé des hommes. Aujourd’hui les d’emplois administratifs ou de service sont majoritairement occupés par des femmes qui, soit par volonté, soit par nécessité économique (divorce notamment) ont rejoint la population active. Faire sortir massivement les femmes de la population active constituerait donc le meilleur moyen de réduire drastiquement la part des “bullshit jobs” dans l’économie, sans parler des bénéfices éducatifs, psychologiques et sociaux qu’une telle mesure induirait pour la société dans son ensemble.

3) Les “bullshit jobs” s’inscrivent parfaitement dans le projet de “socialisme technocratique” défendu à l’origine par la société fabienne et aujourd’hui par des instances mondialistes comme le Forum Économique Mondial. D’une part, la multiplication des normes, des règlements et des contraintes administratives étouffent l’esprit entrepreneurial et handicapent les PME par rapport aux grandes entreprises ; d’autre part, ces “bullshit jobs” démoralisent les individus, encouragent leur passivité et les préparent à leur remplacement par des machines, voir à leur élimination pure et simple.

Pour aller plus loin :

De l’Intellectuel-Mais-Idiot

Du refus du mensonge

De la crise économique

De l’UERSS

Du crédit vendeur

« Si le peuple comprenait l’odieuse injustice de notre système bancaire et financier, il y aurait une révolution dès demain matin. » Andrew Jackson

Le contrôle du crédit par les banques privées et les banques centrales leur assure un contrôle de fait sur l’économie. En effet, le financement bancaire constitue un passage quasi-obligé aussi bien pour acquérir un bien immobilier que concrétiser un projet économique ou entrepreneurial. Ce monopole actuel contribue à faire oublier qu’il constitue une exception à l’échelle de l’histoire économique. Pendant des siècles, au lieu de passer par les banques, la majorité des entreprises et des particuliers faisaient appel, comme l’a démontré David Graeber, à un système complexe d’endettement réciproque qui, sous sa forme la plus moderne encore en vigueur jusque dans les années 60, prenait la forme du crédit vendeur.

De quoi s’agit-il ?

D’après sa définition : « le crédit vendeur est un prêt accordé directement entre le vendeur et l’acheteur d’un bien. Il permet à ce dernier de contourner le circuit bancaire classique. Le crédit vendeur est le plus souvent pratiqué entre particuliers, dans le cadre des ventes immobilières ou entre professionnels, dans le cadre des reprises d’entreprises ou des achats de fonds de commerce. »

Dans le cadre du crédit vendeur, au lieu de rembourser la banque ayant fourni le prêt l’acheteur rembourse directement le vendeur avec un taux d’intérêt pouvant être librement fixé entre les parties.

Pour prendre un exemple concret : dans le cadre de l’achat d’un bien immobilier valant 100 000€, l’acheteur peut payer comptant la moitié du prix, soit 50 000€ et payer le reste sous le régime du crédit vendeur versant ainsi tous les mois directement au vendeur les montants dus jusqu’au règlement entier de la somme.

Précisons que le crédit vendeur ne repose pas uniquement sur la confiance et la poignée de main.

Il est en effet tout à fait possible et même indispensable que les deux parties signent un contrat et fassent réaliser un acte authentique devant notaire mentionnant clairement la durée, le montant du prêt, du taux d’intérêt et des frais annexes

Permettant d’éviter de passer par les banques, ce système impose d’autres contraintes et expose bien évidemment à d’autres types de risques. Cependant, il est nécessaire de comprendre qu’au-delà de la simple logique économique, il s’agit d’un mode de financement véritablement révolutionnaire et subversif car il renverse totalement la logique du système actuel.

En effet, dans le système actuel, c’est votre richesse qui vous permet d’obtenir de la confiance.

Dans un système dominé par le crédit vendeur, c’est la confiance qui vous permet d’obtenir la richesse.

Dans le cadre d’un crédit vendeur, la question centrale n’est plus celle du crédit au sens économique mais bien celle du crédit au sens social, voire même moral du terme. Cette personne à laquelle je prête et qui s’engage à me rembourser est-elle digne de confiance ? Est-elle honorable ? Quelle est sa réputation ?

Dans un tel système, l’avantage n’est plus donné au nomade, au déraciné mais au contraire, à celui que l’on connaît et dont on connaît la famille et le caractère sur plusieurs générations. De plus, un tel système permet aux hommes d’échapper aux griffes de la technostructure et de la bureaucratie pour renouer des liens directs d’échange et donc de retrouver une forme de souveraineté sur eux-mêmes. Dans le cadre d’un crédit vendeur, ce n’est pas la banque qui prête mais Monsieur Durand qui prête à M. Dupont pour qu’il achète sa maison ou M. Dumoulin qui nous a fait un crédit vendeur pour nous permettre d’acquérir la machine qui nous permettra de développer notre entreprise.

Même si ce mécanisme comporte de nombreux avantages, précisons néanmoins que comme tout système économique, un système fondé sur le crédit vendeur ne peut fonctionner que si ses membres partagent des valeurs communes, acceptent de « jouer le jeu » et sanctionnent de façon impitoyable les éventuels « passagers clandestins » tentés d’en abuser.

Ceci étant dit, la beauté du système de crédit vendeur est que celui-ci peut parfaitement fonctionner en parallèle et en complément du système bancaire « classique ». En effet, il est tout à fait possible d’imaginer, dans un premier temps, qu’un tel système soit réservé pour des transactions portant sur des petits montants ou se trouve limité à des transactions entre les membres de groupes de confiance soudé autour de valeurs communes qu’elles soient politiques ou religieuses.

Face à la persécution qui frappe les résistants patriotes, le mécanisme du crédit vendeur pourrait par exemple être utilisé aussi bien par d’autres patriotes que par les anciennes générations pour aider des jeunes couples à acquérir un bien immobilier ou créer leur première entreprise. Utilisé dans cet état d’esprit, le crédit vendeur peut devenir une arme économique de reconquête mais aussi constituer une forme  concrète de d’aide ou de solidarité communautaire sans pour autant verser dans la pure philanthropie.

Si un tel système venait à être adopté ou à sa diffuser, il se révèlerait bien plus efficace que tous les discours révolutionnaires pour réduire le pouvoir et le contrôle du système bancaire et financier sur l’économie. Face à la mondialisation et à la virtualisation des échanges, il permet en effet d’enraciner à nouveau l’activité financière au niveau local et à l’échelle humaine et plus important encore, il vient rappeler à chacun qu’il a le pouvoir, à travers ses choix et ses comportements économiques, d’exercer une influence directe sur l’évolution de la société et les règles qui la régissent.

Ainsi, adopter un dispositif aussi simple que le crédit vendeur pourrait permettre de passer concrètement de la société de l’argent à la société de la confiance, d’un monde dominé par les chiffres à un monde centré sur l’Homme.

Pour aller plus loin :

Le crédit vendeur

La dette : 5000 ans d’histoire, David Graeber

Économie médiévale et société féodale, Guillaume Travers

Du casse du siècle

De la prise de conscience

Extraits du dixième épisode du Spartacast « Beware the skeeters » publié le 20 juin 2023 par la source Spartacus. Traduit de l’anglais par Stanislas Berton

[…]

Pendant des années, jusqu’à ce que la gestion mondiale du COVID-19 m’ouvre les yeux, je croyais que la plus grande menace pour nos libertés venait du lobbying des grandes entreprises, de la prise de contrôle administrative et de la concentration croissante des pouvoirs financiers et médiatiques entre les mains d’une toute petite élite et que les scientifiques et les ingénieurs, censés être plus objectifs et rationnels, réussiraient à à échapper à la manipulation légale, financière et émotionnelle du système grâce à une bonne dose de rationalité. Au lieu de ça, l’oligarchie a également acheté les scientifiques et les ingénieurs pour les transformer en propagateurs de leur idéologie. Je ne m’y attendais pas. Je pensais que mes confrères auraient plus d’intégrité et ne se laisseraient pas aussi facilement corrompre.

Après avoir observé la tyrannie et la tragédie des confinements, j’ai passé un peu de temps à réfléchir à l’impact que la décroissance aurait réellement sur nous en tant qu’espèce. Pour dire les choses crûment : cela tue les gens. Cela tue les jeunes, cela tue les vieux. C’est cruel et cela tue de façon aveugle. Dans une autre vie, j’avais régulièrement de longs débats sur ces sujets. Je me souviens de ce type pro-croissance, le genre de gars convaincu qu’on trouvera toujours une solution, qui m’avait dit de but en blanc que mes idées sur le développement durable allaient tuer des gens. À l’époque, je ne l’avais pas cru mais avec le recul, il avait totalement raison.

J’ai été témoin des confinements-la décroissance économique mise en pratique- et j’ai pu constater le massacre. Personne n’a été jugé pour cela. Nos dirigeants ont assassiné des jeunes enfants sous nos yeux. Ils ont ôté le pain de bouches affamées. À l’échelle mondiale, à cause des perturbations des chaînes logistiques causées par les confinements, des dizaines de millions d’enfants supplémentaires souffrent de malnutrition en comparaison des années précédentes. Même ici, aux États-Unis, les gens souffrent du chômage, de la pauvreté et on assiste à un effondrement de la santé mentale à une échelle jamais vue auparavant. La consommation de drogues et les fantasmes suicidaires connaissent une explosion. Ce ne sont pas là les signes d’une société qui va bien.

Avant d’écrire la « lettre de Spartacus » [NdT : un travail de synthèse sur le Covid qui connut une diffusion virale dans le monde anglophone], j’avais commencé à travailler et obtenu des informations concernant la technologie de contrôle mental et les liens problématiques entre les fabricants de vaccins et les ONG spécialisées dans la recherche de virus, avec le Ministère de la défense américain et tout le complexe militaro-industriel. Quand j’ai commencé à comprendre ce qui était en train de se passer – un coup d’État technocratique par les hommes de Davos avec des crimes contre l’humanité en prime- j’ai pris conscience que ces gens doivent absolument être stoppés. La question n’est pas s’ils doivent l’être mais quand et dans quelle mesure devrons-nous utiliser la force. Si nous laissons ces psychopathes continuer sur leur trajectoire actuelle, ils vont nous réduire en esclavage. Ils suivent un plan de mise en esclavage généralisée de l’humanité qui concerne chaque aspect de nos vies.

Si, à ce stade, vous n’avez toujours pas compris cela alors vous ne savez rien de la technocratie, du néo-malthusianisme ou du transhumanisme. C’est une grave erreur. Ne me croyez pas sur parole. Consultez les sources originales. Lisez Thorstein Veblen. Lisez Jacques Fresco. Lisez Ray Kurzweil. Lisez le rapport du Club de Rome sur les limites de la croissance. J’ai lu tout cela il y a bien longtemps et j’ai pris ces informations très au sérieux. C’est cette familiarité de longue date avec ce sujet de niche qui m’a permis de comprendre pourquoi nous nous trouvons aujourd’hui dans une situation extrêmement grave.

Autrefois, je considérais Patrick Wood comme un adversaire idéologique. Maintenant, j’encourage tout le monde à lire ses livres. Tous ses livres. Le pire, c’est que les gens derrière toute cette histoire de développement durable et de décroissance sont des menteurs. Des gens comme George Monbiot sont des menteurs pathologiques. Ils mentent sur le climat, ils mentent sur la pénurie de ressources et ils inventent des crises pour faire avancer leur projet anti-humain de contrôle totalitaire tout en détruisant la richesse et la prospérité de la classe moyenne. Des feux de forêt ? Je le jure devant Dieu : ce sont eux qui les allument.

Il y plus de dix ans, j’ai essayé d’avertir les gens. Tous les membres des cercles que je fréquentais refusaient de se pencher sur ces questions. Les humains augmentés ? La gouvernance par algorithme ? Les économies fondées sur les ressources ? Le rationnement et les quotas de consommation ? Ils ne prenaient rien de tout cela au sérieux. Pour eux, c’était de l’ordre du vœu pieux. C’est de la science-fiction. Ça sera toujours vingt ans dans le futur. Sauf que ce n’est pas le cas. C’est déjà là. Maintenant. Sous nos yeux. Comme je l’avais prédit. Et les pires tyrans de l’histoire de l’humanité n’utilisent pas ces technologies pour résoudre le problème de la pauvreté, des sans-abris, de la toxicomanie, des maladies chroniques ou aucun des vrais problèmes auxquels sont confrontées nos sociétés. Ils utilisent ces technologies pour nous enfermer dans des prisons numériques à ciel ouvert, détruire la capacité de négociation des travailleurs et des familles, mettre les enfants sous la tutelle de l’État et voter des lois somptuaires dégradantes et rétrogrades qui limiteront l’accès aux produits de luxe à la seule classe dirigeante.

Ils ne font pas cela pour la planète. Ils se foutent complètement de la planète. S’ils s’en souciaient vraiment, ils n’utiliseraient pas l’hystérie écologique pour nous vendre des technologies encore moins efficaces et utiles que celles que nous avons déjà. Bien qu’ils se trouvent chacun à une extrémité du spectre politique, James Delingpole et Michael Moore ont tous les deux raison : les panneaux photovoltaïques et les éoliennes sont des impasses. La seule raison de refourguer ce genre de choses aux gens est de chercher à les rendre pauvres et dépendants afin de les contrôler.

Ce qui est pire, c’est que les mégalomanes de Davos et leurs copains sont en train de nous faire foncer tête baissée dans la révolution de l’IA sans bien comprendre ces implications. Ils espèrent que la menace de la fraude à l’IA et le risque de l’usurpation d’identité contribueront à accélérer l’adoption des identités numériques centralisées et mettront fin à l’anonymat sur Internet. Nous devons insister sur la souveraineté des identités numériques : si n’avez pas la main sur les clés publiques et privées qui définissent votre identité numérique et que vous ne les générez pas vous-même alors ce n’est pas votre identité. Elle appartient à la plateforme. De la même manière, si votre identité numérique est générée par le gouvernement, cela ne vous appartient pas non plus. Cela appartient à l’oligarchie financière.

Ces derniers temps, après son suicide en prison, j’ai beaucoup réfléchi au manifeste de Ted Kaczynski. Il y a encore quelques années, ma vision du monde aurait été diamétralement opposée à la sienne. Ce n’est plus le cas. Autrefois, j’aurais défendu l’idée que nous avions besoin de plus de technologie. Beaucoup plus. Et qu’il fallait évidemment la mettre au service du corps humain. Pour guérir tous nos maux. Pour nous débarrasser du cancer. Pour arrêter le vieillissement et chasser de notre mémoire la notion même d’infirmité. J’étais autrefois d’accord avec tout cela et même davantage, avec toutefois une exception : je n’ai jamais pu accepter l’idée de priver les gens de leur libre arbitre et de leur autonomie, pour quelque raison que ce soit. En revanche, cela ne pose aucun problème à nos dirigeants. Entre un gouvernement mondial stable et nos libertés civiques, que pensez-vous qu’ils vont choisir ? Si le gouvernement possède les moyens de pacifier à grande échelle la population avec des neurotechnologies, il les utilisera. Les moyens et la volonté de le faire sont bien présents et cette question a été largement débattue par des spécialistes de la législation de l’éthique.

Cela me coûte de l’admettre mais Théodore avait raison. Les êtres humains sont en train d’être domestiqués, reconditionnés et remodelés par le système technologique que nous avons créé. D’une certaine manière, c’était inévitable. La liberté humaine représente la menace numéro un pour le système technologique. Des gens libres, autonomes avec le pouvoir de faire leurs propres choix sont capables de perturber de façon directe le système et de nuire à son efficacité. Du point de vue de la théorie du contrôle, dans une société suffisamment complexe, la liberté humaine, indépendamment du rôle très important qu’elle joue dans l’innovation ou la culture, représente quelque chose comme un bruit de fond indésirable ou un feedback qui doit être lissée pour devenir un pur signal. C’est comme cela qu’on arrive à la bureaucratisation de la vie, à la théorie du nudge, aux ESG, et à toutes ces techniques de manipulation comportementales aussi bizarres qu’intrusives. Les gens derrière cette vision sont de purs utilitaristes qui ne croient pas au concept de droits naturels. Comme Jérémy Bentham, ils ne croient qu’aux droits légaux et, aux dernières nouvelles, lorsqu’il s’agit de légiférer, c’est l’argent qui fait la loi.

Ce projet de reconfiguration de l’être humain conduit inévitablement à son éradication. C’est à dire qu’une fois que vous avez suffisamment domestiqué l’homme pour qu’il accepte, et soit même heureux, de vivre dans une cabane métallique en mangeant des insectes, la suite logique est de le libérer de cette enveloppe charnelle qui représente la première cause de ses humiliations et de ses souffrances. Pour certains transhumanistes, il s’agit là d’un objectif louable. Si vous avez déjà lu The Hedonistic Imperative, le manifeste de David Pearce, vous voyez exactement de quoi je veux parler. Dans le système technologique, l’étape ultime de l’être humain, juste avant qu’il se transforme en flux de pures données, est de devenir un cerveau dans un bocal rempli de drogues de synthèse et de sérum anti-âge, plongé dans un mode virtuel, toujours heureux, toujours satisfait, sans avoir besoin de se vêtir, de se nourrir, de se procurer de nouveaux gadgets pour satisfaire ses besoins en dopamine et sans souffrir des vicissitudes liées au sexe, à la mort, à la maladie, à l’ingestion, à l’excrétion et autres choses du même genre.

La guerre déclarée aux non-vaccinés par l’appareil sécuritaire biomédical au cours des dernières années fut concentrée sur le corps humain lui-même en tant qu’objet et cible d’une intervention biopolitique. En soi, cela n’a rien d’exceptionnel. Tout le projet technologique lui-même est, à un niveau fondamental, une guerre menée au corps humain. Une guerre pour posséder, dompter et contrôler ce corps vulgaire, obscène, détestable et ingérable pour, au bout du compte, éliminer une bonne fois pour toute ses instincts sauvages tout en préservant la personne intelligente autrefois enfermée dans cette coquille aussi fragile que nuisible. Cela peut, en apparence, passer pour de la folie pure mais cela transparaît dans toute création technologique conçue par l’être humain. Tous nos outils sont, dans une certaine mesure, conçus pour réduire ou éliminer toute souffrance ou difficulté auxquelles le corps doit faire face.

[…]

Les citoyens ne doivent jamais prendre conscience qu’ils sont considérés comme du bétail et que leurs corps sont en permanence visés par le lavage de cerveau, la pacification chimique, la modification génétique eugéniste et la castration de fait, tout cela pour satisfaire les caprices de la société technologique et de l’appareil administratif qui la gouverne. Bien sûr, tout cela est assez hypocrite car ce projet est mis en œuvre par des aristocrates qui, eux, s’autorisent le luxe d’avoir des corps non modifiés, non souillés et pleinement épanouis dont les loisirs constituent la principale préoccupation. Pendant qu’ils envoient leurs enfants dans des écoles privées, ils envoient les vôtres en prison. En réalité, il s’agit d’un système qui vous déteste à un tel point que votre santé mentale dépend en partie de votre capacité à ignorer cette haine pure qu’il dirige contre vous et votre corps au nom de votre santé et de votre confort.

À son insu, le manifeste de Ted Kaczynski développe avec brio l’idée que le corps humain est très bien comme il est. Notre corps n’ a pas besoin d’être modifié pour s’adapter à la société. Pour Kaczynski, cela devrait plutôt être le contraire : la société doit être modifiée pour être ergonomique et agréable au corps humain et non le soumettre à un stress excessif ou lui demander d’accomplir des tâches répétitives sans résultat ni récompense. Après tout, le concept de « processus  de pouvoir » de Kaczynski n’est pas vraiment différent de celui de « bullshit jobs » de David Graeber. Tous les deux, en partant de deux points de départ différents, arrivent à la même conclusion, à savoir que cela est psychologiquement destructeur pour les gens de passer leurs journées à creuser des trous pour les remplir le lendemain, tels des prisonniers dans un goulag. Forcer un être humain ou un animal à accomplir un effort sans résultat manifeste est une forme admise de torture. « Activités compensatoires » est un euphémisme. Nous devrions l’appeler auto-mutilation rituelle ou torture sublimée.

Le plus remarquable dans la société technologique est le fait qu’elle transforme les gens en participants volontaires à leur propre torture et à leur propre emprisonnement. Le manifeste de Kaczynski invite ses lecteurs à prendre conscience d’une vérité dérangeante. Vous êtes un animal dans une cage. Tordez les barreaux de la cage. Fuyez dans la forêt et rejoignez la nature. Soyez libre. C’est un appel au réensauvagement de l’homme.

Si autant de gens sur cette planète vivent dans des cages mentales, c’est parce que, d’une certaine manière, ils veulent vivre en cage. Vivre une existence libre, non-contrôlée et non-filtrée tout en se confrontant à des idées qui se trouvent hors de la fenêtre d’Overton [NdT : l’ensemble des idées jugées acceptables par une société à un moment T], leur fait énormément peur. Ces gens vous sortiront la veille rengaine de Thomas Hobbes sur le fait que la vie à l’état de nature est solitaire, pauvre, violente et brève. Ils invoqueront les vieux monstres tirés des légendes : les épidémies de peste, la famine, le cannibalisme durant les sièges, les viols de masse commis par les armées etc. Et à partir de ce raisonnement, ils soutiendront qu’il est préférable, comme le dit si bien le personnage de Denis Leary dans le film Demolition Man, d’être un puceau de 47 ans assis sur son canapé dans son pyjama beige en sirotant un milk-shake broccoli-banane tout en fredonnant I’m an Oscar Mayer Wiener. La société technologique n’a pas besoin d’hommes sauvages, qui picolent, qui jurent et qui portent des fusils à canons sciés fabriqués à partir d’anciens tuyaux de poêle. Elle veut des eunuques castrés, domestiqués et dociles.

L’idée selon laquelle le progrès technologique et social est nécessairement bon en soi, jusqu’à la domestication et la pacification de l’être humain, est le fondement de l’offensive sur nos corps menée par le parti unique technocratique autoritaire et néo-libéral. Tout commence par la création et l’entretien du mythe de la sauvagerie humaine et de la maladie que seule la technologie pourrait guérir. Et cela se termine par la transformation du monde en un gigantesque hôpital, distribuant de force ses propres traitements pour toutes les maladies possibles et imaginables.

Avec l’obsolescence de la politique, nous sommes en train de médicaliser la nature humaine elle-même, pour la traiter comme une maladie dont nous devrions guérir.

Cela ressemble-t-il à quelque chose que vous avez déjà entendu quelque part ? Cela devrait.

Notes du traducteur :

1) Si la domestication de l’être humain moderne par le système technologique est une réalité, la solution prônée par Ted Kaczynski, à savoir sa destruction, pose plusieurs problèmes. En effet, comme le souligne Kaczynski lui-même, ce projet doit nécessairement être global car sinon rien n’empêcherait un pays ayant conservé la puissance de sa technostructure de conquérir et dominer ceux qui auraient opté pour un retour à la nature et aux communautés locales. La conquête des indiens d’Amérique, proches de l’idéal de Kaczynski, par les puissances européennes offre un exemple de ce risque. Par conséquent, tout projet de destruction de la société technologique ne peut être que mondial. Or, cela nous ramène au mondialisme, c’est à dire à la négation de la souveraineté des peuples et des États. Si un pays veut conserver sa technostructure, qui peut lui imposer d’en sortir ou d’y renoncer ?

2) Loin des utopies, l’approche réaliste admet que la vie au sein d’une communauté politique suppose des compromis : nous acceptons une part de domestication et de renoncements à certaines libertés en échange de la sécurité, du confort et d’une participation, même indirecte, à la puissance collective du groupe. Dans « Le malaise dans la culture », Freud a bien montré en quoi toute civilisation se construit grâce au refoulement de certaines pulsions. En poussant l’analyse, on peut considérer que l’une des principales missions du politique consiste en un arbitrage permanent entre ce qui renforce le collectif mais réduit la liberté individuelle et vice versa. A l’heure actuelle, il est évident que nous sommes allés trop loin dans la domestication de l’homme et que nous avons besoin d’un retour à l’autonomie, au localisme et à une existence individuelle plus détachée de la technostructure.

3) La société technologique correspond parfaitement au projet de Satan : omnipotence, omniscience, dépassement de la nature humaine et transgression de toutes les limites pour rivaliser avec Dieu. Mais surtout, la guerre que le projet transhumaniste mène au corps ne s’expliquerait-elle pas par le fait que Satan est un pur esprit et, qu’à l’inverse, Dieu a crée l’Homme et son corps « à Son image » ?

Pour aller plus loin :

Des bullshit jobs (Graeber)

Manifeste de Ted Kaczynski

Lettre de Spartacus

Contrôle mental (Spartacus)

Essais de Spartacus

Sur les mensonges climatiques

Du pétrole abiotique

Des mondialistes

De l’IA et du Big Data

“People, ideas, machines- in that order”

John Boyd

La guerre du Vietnam fut la première guerre conçue et menée par des technologies et des méthodes issues du monde de la grande entreprise. Président du constructeur automobile Ford, le secrétaire d’état à la défense, Robert McNamara mit un point d’honneur à « moderniser » et à « rationaliser » le Pentagone ainsi que la conduite de la guerre.

La légende raconte que McNamara fit entrer dans un supercalculateur toutes les données du conflit : hommes, matériel, forces ennemies, munitions, litres de carburant, pertes civiles puis il demanda à l’ordinateur de calculer l’issue de la guerre. Pendant plusieurs semaines, l’ordinateur moulina les données et un soir, un militaire informa McNamara que l’ordinateur était prêt à donner sa réponse.

«Alors, quel est le résultat? » , demanda le secrétaire d’État à la défense.

« Selon mes calculs, vous avez gagné la guerre il y a deux ans », répondit l’ordinateur…

Aujourd’hui, les entreprises et les gouvernements ne jurent plus que par l’IA et le Big Data.

Pour eux, ces technologies sont les clés de la future suprématie économique, technologie et militaire.

Passons sur le fait que personne n’explique  jamais comment, dans un contexte d’épuisement des terres rares nécessaires à la construction de leurs composants  électroniques, ces technologies peuvent être pérennes. Au-delà des limites physiques qui finiront par ramener tout le monde à la raison,  il faut rappeler que cette croyance en la panacée technologique procède du même aveuglement qui conduisit les États-Unis à la défaite au Vietnam en dépit d’une suprématie technologique et militaire écrasante.

En effet, tout système d’information, d’aide à la décision ou de collecte de données repose toujours sur les limites suivantes :

1-Aussi perfectionné soit-il, un système informatique ne sait pour l’instant que répondre aux questions qui lui ont été posées et traiter les données  qui lui ont été communiquées. Si les questions sont mal posées ou les data sets de qualité médiocre ou incomplets, les résultats ne seront jamais pertinents. Dans de nombreux cas, ceux qui utilisent de tels systèmes, dans le monde de l’entreprise ou en politique,  possèdent une connaissance très insuffisante, voire inexistante des systèmes d’information, de la statistique et de l’exploitation de données, sans parler de la confiance aveugle dans des modèles “prédictifs” qui n’ont souvent de scientifique que le nom car ils ignorent les processus non-linéaires ainsi que les effets de second et troisième ordre.

2- Comme je l’ai expliqué dans un précédent article, la variable clé n’est pas la quantité de données mais la qualité et la pertinence de ces dernières, ce que j’ai appelé la « densité informationnelle ».  Avec le Big Data, il existe un grand risque de noyer l’information critique au milieu d’un océan de données parasites, conduisant  le plus souvent à créer une couche supplémentaire  de systèmes d’information  pour faire le tri. Sur ce point, il a d’ailleurs été prouvé à de nombreuses reprises, par exemple par Paul Slovic ou Stuart Oskamp que l’augmentation de la quantité de données disponibles ne conduit pas à augmenter la qualité de la prise de décision mais plutôt à la diminuer. Enfin, l’accès rapide  à une telle masse de donnée peut conduire à de l’arrogance et à une baisse de vigilance, l’utilisateur pensant avoir toutes les cartes en main alors qu’il lui manque en réalité l’information critique. Comme l’écrivait Charles de Gaulle, dans La France et son armée : “l’excès de technique obscurcit la vision des ensembles”

3- Le Big data et l’IA demeurent avant tout des outils d’aide à la prise de décision. Si les êtres humains en bout de chaîne ne sont pas formés pour exploiter l’information recueillie  ou si les organisations auxquels ils appartiennent ne peuvent pas agir sur les résultats de l’analyse pour des raisons politiques ou autres, toute cette collecte sophistiquée d’information se trouve réalisée en pure perte.

La lutte contre le terrorisme islamique offre un parfait exemple des limites du Big Data. Il est indéniable, qu’au-delà des questions politiques sur la protection de la vie privée et le pouvoir donné au gouvernement, ces technologies ont permis d’éviter des attentats et d’arrêter des criminels. Ceci étant dit, malgré la débauche de moyens déployés, il faudra aux États-Unis plus d’une dizaine d’années pour mettre la main sur Ben-Laden et sa localisation sera due à une information donnée par une source humaine et à l’opiniâtreté d’un agent de la CIA. Récemment, en France, l’attentat de la préfecture de Paris a mis en évidence des dysfonctionnements, comble du comble, au sein d’un service de renseignement : non-traités par la hiérarchie, les signaux d’alerte n’avaient pas été entrés dans le système. De la même manière, le mouvement des Gilets Jaunes de 2018 prit totalement de court les services de renseignement français en dépit de signes avant-coureurs identifiés de longue date par des journalistes, des écrivains ou des sociologues. 

En réalité, il serait beaucoup plus sain de développer un profond scepticisme à l’égard du Big Data et de l’IA. Au lieu d’être des accélérateurs de connaissance, ces technologies contribuent souvent à la baisse de la qualité de la prise de décision. Elles permettent en effet de dissimuler le faible niveau de compétences des décideurs derrière le paravent de la technologie et de camoufler les limites de ces outils  sous un vernis mathématique et statistique censé être le garant de leur scientificité.

Plutôt que d’investir dans la technologie, il est en réalité toujours plus payant d’investir dans l’humain et dans sa formation car au final, c’est toujours lui qui se trouve en bout de chaîne.

Au lieu de décupler les capacités des hommes, la technologie rend souvent ces derniers paresseux et diminue leurs seuils d’exigence ainsi que leurs compétences pratiques. Plutôt qu’apprendre  à lire une carte, de mémoriser le nom des rues ou de planifier  un itinéraire, on s’en remet à un GPS. Plutôt que de mémoriser des informations importantes, on s’en remet à Wikipédia ou à une base de données. Et quand l’outil n’est plus disponible ou dysfonctionne, c’est la catastrophe car les connaissances et les compétences ne se trouvent plus dans le cerveau humain, elles ont été externalisées chez la machine.

Notre époque a oublié que le cerveau humain est le plus puissant supercalculateur jamais inventé et que ces capacités ont été affinées et perfectionnées par de milliards d’années d’évolution, le plus éprouvant et rigoureux  stress test qui soit. Quand il est bien entraîné, le cerveau humain sait établir des connexions, détecter des patterns, faire le tri entre différents sources et niveaux d’information, bien plus rapidement que n’importe quelle machine. Ce qu’il perd en capacité brute de traitement, il le rattrape largement avec ses heuristiques, ces raccourcis mentaux qui nous frappent parfois comme des fulgurances. De plus, les systèmes d’information sont souvent rigides et ce d’autant plus quand ils se trouvent intégrés dans des organisations hiérarchiques. Dans de telles structures, l’accès rapide à l’information n’est pas toujours possible où se retrouve bloqué par les niveaux d’accès, les procédures et les rivalités internes.

De  plus, ces systèmes d’information,  très coûteux à mettre en place et dont la question de la vulnérabilité se trouve toujours posée, peuvent être difficilement modifiés ou adaptés selon les circonstances et les besoins. Plutôt que rendre une organisation agile, souvent ils la figent et génèrent ce que les économistes appellent des externalités négatives dont les coûts sont rarement évalués et intégrés au calcul d’ensemble. Il ne s’agit pas de rejeter l’IA et le Big Data mais de les considérer non pas comme la pierre angulaire des systèmes d’information modernes mais plutôt comme des outils annexes devant être utilisés de façon limitée et ponctuelle.

Malheureusement, faute de formation et de compréhension des limites de l’outil, il est aujourd’hui toujours plus porteur d’affirmer que l’on prépare l’avenir en investissant X milliards dans l’IA et le Big data plutôt que d’annoncer que l’on va recruter des hommes et les former correctement.  Récemment, une connaissance me raconta comment dans les années 80, un de ses amis, passant le concours pour devenir douanier, fut interpellé par deux officiers des Renseignements Généraux (RG) à la sortie de l’épreuve sportive. Ces derniers lui montrèrent des polaroids pris dix ans plus tôt lors d’une manifestation  de soutien au président chilien Allende. François Mitterrand étant au pouvoir, les agents indiquèrent au candidat qu’il ne serait pas inquiété. Mais le message était passé.

Avec  les moyens de l’époque, les RG parvinrent à identifier un homme sur la base de polaroids pris dans une manifestation comptant des dizaines de milliers de personnes et faire le lien avec un candidat passant le concours des douanes plus de dix ans plus tard. Aujourd’hui, malgré les technologies à leur disposition, les services de renseignement ont du mal à suivre les djihadistes potentiels faute d’effectifs, de contacts sur le terrain et surtout de décisions politiques permettant d’en réduire la masse.

En 2008, le président Nicolas Sarkozy supprima de fait les renseignements généraux pour les faire fusionner avec la DST donnant ainsi naissance à la  DCRI. Selon un grand nombre de spécialistes, cette réforme conduisit à une perte d’information, de capacité d’action et de savoir-faire au sein du renseignement français que la France paie encore aujourd’hui.

En 2016, la DGSI fit appel à la société américaine « Palantir », spécialisée dans le Big data, confiant ainsi l’accès aux données les plus sensibles du renseignement français  à une entreprise américaine proche de la CIA et des services américains.

En réalité, le Big data et l’IA, au-delà des opportunités lucratives qu’elles offrent à certaines entreprises, participent à cette croyance moderne irraisonnée dans le progrès technologique et à la confusion entre la science (la connaissance réelle, la capacité à agir efficacement sur le monde) et le scientisme ( la profusion de données et de “modèles” qui intègrent rarement la possibilité d’un Black Swan).

Au delà de ces questions épistémiques, ces technologies viennent en réalité apporter une réponse technique à un problème économique et social. Dans un contexte de raréfaction énergétique et de contraction économique, les entreprises et les organisations cherchent à réduire la masse des travailleurs humains au maximum et à remplacer les employés par des machines. Cette tendance qui concernait dans un premier temps les travailleurs les moins qualifiés est en train d’affecter peu à peu les emplois intermédiaires ainsi que certaines professions spécialisées.

Quel avenir et quel projet politique pour des sociétés où le travail et la richesse risquent de finir  concentrées entre les mains d’une “élite” ultra-qualifiée assistée par de plus en plus nombreuses machines ? A coup sûr, certains intellectuels-mais-idiots suggéreront de se tourner vers l’ IA pour obtenir une réponse à cette épineuse question.

De l’art moderne

Extraits de l’article de Lucie Levine publié le 01/04/2020 sous le titre original « Was Modern Art really a CIA psy-op ? ». Traduit de l’anglais par Stanislas Berton.

Durant la deuxième moitié du vingtième siècle, l’art et le design modernes devinrent les symboles du libéralisme, de l’individualisme, du dynamisme et de la prise de risque créative rendue possible par une société libre, le style de Jackson Pollock offrant un contrepoint à l’oppression nazie ou soviétique. Ainsi, l’art moderne devint une arme utilisée pendant la Guerre froide. Aussi bien le Département d’État [NdT : le ministère des affaires étrangères américain] que la CIA apportèrent leur soutien à des expositions d’art américain dans le monde entier.

[…]

Les liens entre l’art moderne et la diplomatie américaine furent établis durant la Seconde Guerre mondiale quand le musée d’art moderne (MoMA) fut mis au service de l’effort de guerre. Le MoMA fut fondé en 1929 par Aldrich Rockefeller. Dix ans plus tard, son fils Nelson Rockefeller devint le président du musée. En 1940, alors qu’il était encore président du MoMA, Rockefeller fut nommé par l’administration Roosevelt coordinateur des affaires inter-américaines. Il occupa également le poste d’assistant aux ministères des affaires étrangères pour l’Amérique Latine.

[…]

Dans le combat pour gagner « les coeurs et les esprits », l’art moderne se révéla particulièrement efficace. John Hay Whitney, président du MoMA et membre de la famille Whitney qui fonda le Whitney Museum of American Art,expliqua que l’art jouait un rôle important dans la défense nationale car il avait « la capacité d’éduquer, d’inspirer et d’affermir les cœurs et les volontés des hommes libres. »

Whitney succéda à Rockefeller en tant que président du MoMA en 1941 afin de permettre à Nelson de consacrer toute son attention à ses activités de coordinateur. Sous Whitney, le MoMA devint un « élément de défense nationale ». Selon un communiqué de presse du musée daté du 28 février 1941, le MoMA allait « inaugurer un nouveau programme pour accélérer les échanges artistiques et culturels dans cet hémisphère au sein des vingt et une républiques qui le composent. » L’objectif était le « Pan-Américanisme ». Une « caravane artistique » traversant l’Amérique Latine « contribuerait davantage au développement de notre amitié que dix ans de relations commerciales ou politiques. »

Une fois la guerre terminée, Nelson Rockefeller retourna au musée et les membres de son équipe des affaires inter-américaines prirent la direction du programme international des expositions du MoMA : René d’Harnoncourt, qui dirigeait le département artistique des affaires inter-américaines devint le vice-président du musée chargé des activités extérieures. L’ancien membre de l’équipe, Porter Mc Cray, devint le directeur du programme international du musée.

Les liens entre l’art moderne et la politique américaine de Guerre froide étaient si étroits qu’en 1951 Mc Cray prit un congé sans solde pour travailler sur le plan Marshall. En 1957, Whitney démissionna de son poste de de président du conseil d’administration du MoMA pour devenir l’ambassadeur des États-Unis en Grande-Bretagne. Bien qu’ambassadeur, Whitney demeura un administrateur du musée et son successeur en tant que président fut Nelson Rockefeller qui avait occupé jusqu’en 1955 le poste d’assistant spécial aux affaires étrangères pour le président Eisenhower.

Malgré ces liens entre l’art moderne et la diplomatie américaine, la propagande soviétique affirmait que les États-Unis étaient « un désert capitaliste vierge de toute culture ». Afin de mettre en avant le dynamisme culturel des États-Unis, en 1946, le Département d’État dépensa 49 000 dollars [NdT :environ 800 000 euros] pour acheter soixante-dix neuf tableaux peints par des artistes modernes américains et les intégra dans une exposition itinérante baptisée «  “Advancing American Art.

[…]

Les craintes du grand public américain concernant le « péril rouge » conduisirent à un retour anticipé de l’exposition mais c’est justement parce que l’art moderne ne jouissait pas d’une popularité universelle et qu’il était créé par des artistes rejetant ouvertement l’orthodoxie qu’il s’agissait d’une vitrine parfaite pour montrer au monde extérieur les fruits de la liberté culturelle américaine. À titre personnel, le président Truman considérait l’art moderne comme « les élucubrations foireuses de feignants fumeux ». Pour autant, il ne qualifia pas cet art de dégénéré et n’envoya pas les artistes dans un goulag en Sibérie. Par ailleurs, l’impressionnisme abstrait constituait une réfutation directe du réalisme socialiste soviétique. Nelson Rockefeller aimait l’appeler « la peinture de la libre entreprise ».

En opposition avec le « Front Populaire » soviétique, le magazine « New Yorker » présenta avec beaucoup d’à propos le rôle politique joué par le modernisme américain comme « le front impopulaire ». L’existence même de l’art moderne prouvait au monde que ses créateurs étaient libres de créer, peu importe que vous appréciez ou non leur art.

Si l’exposition « Advancing American Art » apporta la preuve que les artistes américains étaient libres parce qu’ils pouvaient étaler autant de peinture qu’ils le voulaient, preuve fut également faite que le Congrès n’était pas toujours prêt à dépenser les dollars des contribuables pour financer cette initiative. […] De toute évidence, le Département d’État n’était pas le bon mécène pour l’art moderne, ce qui nous conduit à la CIA.

En 1947, au moment même où l’ exposition« Advancing American Art » était rappelée au pays […], la CIA était créée. Le berceau de la CIA fut le bureau de « Wild » Bill Donovan du Bureau des Services Stratégiques (OSS), c’est à dire le renseignement militaire américain durant la guerre. John Hay Whitney et Thomas W. Braden du MoMA avaient tous les deux fait partie de l’OSS.

Parmi les anciens agents de l’OSS, on comptait le poète Archibald MacLeish, l’historien et intellectuel Arthur M. Schlesinger Jr et le réalisateur John Ford. Au moment de la création officielle de la CIA, les opérations clandestines étaient depuis longtemps le terrain de jeu de l’élite culturelle. Dès lors que des employés de musée comme Braden furent recrutés, l’intelligentsia culturelle et la CIA se retrouvèrent à combattre côte à côte durant la Guerre froide, avec la fondation Whitney agissant comme un circuit de financement.

En parlant de couverture, en 1957 le MoMA récupéra (du Département d’État), le pavillon américain de la biennale de Venise afin que les États-Unis puissent continuer à exposer de l’art moderne à l’étranger sans utiliser des fonds publics. (Le MoMA géra le pavillon américain à Venise de 1954 à 1962. Ce fut le seul pavillon national détenu par une organisation privée.)

[…]

La CIA ne se contenta pas de financier les expositions internationales du MoMA, elle fit également des incursions culturelles en Europe. En 1950, l’Agence créa le Congrès pour la Liberté Culturelle (CCF) dont le siège fut installé à Paris. Présentée officiellement comme une « association autonome de musiciens et d’écrivains », il s’agissait en réalité d’un projet financé par la CIA pour « propager les vertus de la culture démocratique occidentale ». Le CCF opéra pendant dix-sept ans et, à son apogée, « avait des bureaux dans trente-cinq pays, employait des dizaines de personnes, publiait dans plus de vingt magazines prestigieux, montait des expositions, possédait un service d’information, organisait des conférences internationales et récompensait les artistes avec des prix et des spectacles publics. »

La CIA avait choisi d’installer le siège du CCF à Paris car la ville avait été pendant longtemps la capitale de la vie culturelle européenne et le but principal du CCF était de convaincre les intellectuels européens- susceptibles de succomber à la propagande soviétique qui suggérait que les États-Unis étaient peuplés de capitalistes philistins-que c’était en réalité le contraire : avec une Europe affaiblie par la guerre, il revenait désormais aux États-Unis de protéger et de soutenir la tradition culturelle occidentale face à aux dogmes soviétiques.

[…]

En conséquence, la CIA finança la Partisan Review, qui était la revue phare de la gauche américaine non-communiste et dont le prestige, aussi bien aux États-Unis qu’en Europe, était immense grâce à son association avec des écrivains comme T.S Eliot et George Orwell. Sans surprise, le rédacteur en chef de la Partisan Review était le critique d’art Clément Greenberg, un arbitre des élégances très influent et le plus grand défenseur de l’expressionnisme abstrait dans le New-York d’après-guerre.

[…]

Notes du traducteur :

Cet article nous permet de mieux comprendre :

1)l’influence des grandes dynasties mondialistes (Rockefeller) sur la culture, les services de renseignement, la diplomatie et la politique et la circulation de leurs membres ou associés entre ces différents domaines. Nous voyons également comment cette influence permet de façonner les tendances culturelles, les goûts du public mais aussi d’agir indirectement dans le cadre d’affrontements géopolitiques. À noter que la même stratégie, portée par les mêmes acteurs, fut utilisée pour imposer la « libération sexuelle » et la « médecine allopathique » aux populations occidentales.

2) l’utilisation de l’art par la CIA et le gouvernement américain comme vecteurs d’influence et instruments de soft-power, outils d’autant plus efficaces lorsqu’ils sont utilisés dans une logique d’opposition entre « blocs » apparemment rivaux. Comme l’ont compris les Russes et les Chinois, la souveraineté politique est indissociable de la souveraineté culturelle et sa protection doit être considérée comme faisant partie intégrante de la défense nationale.

3) l’objectif de Satan est de détruire tout ce qui est Beau, Vrai et Bon. Cela inclut la peinture figurative qui s’efforce de représenter le plus fidèlement possible la beauté de la Création ainsi que celle de l’Homme que Dieu a conçu à Son image.

Pour aller plus loin :

De la symbolique occulte

Essais de Miles Mathis sur l’art

Aude de Kerros, L’Imposture de l’Art contemporain.

Christine Sourgins, Les mirages de l’art contemporain

Des mondialistes

Promotion de la “libération sexuelle” par les réseaux mondialistes

Des symboles

« La Nature est un temple où de vivants piliers
Laissent parfois sortir de confuses paroles;
L’homme y passe à travers des forêts de symboles
Qui l’observent avec des regards familiers.
Comme de longs échos qui de loin se confondent
Dans une ténébreuse et profonde unité, »

Charles Baudelaire

Grâce à l’enseignement prodigué par le système éducatif français, l’illettrisme ne cesse de progresser dans notre pays et il est désormais possible d’arriver à l’Université sans savoir véritablement lire ou écrire. Ceux qui ont encore la chance de maîtriser les savoirs fondamentaux se trouvent en revanche souvent frappés par une autre forme d’illettrisme, celui de la compréhension des symboles. Si tout le monde comprend par exemple qu’un drapeau symbolise le pays qui lui est associé ou que le port d’une croix témoigne de la pratique de la religion chrétienne, d’autres symboles, religieux ou occultes, demeurent malheureusement incompris ou méconnus par la majorité de nos contemporains.

Dans le cadre de la guerre qui oppose aujourd’hui les peuples aux mondialistes, cette ignorance des symboles constitue un grave problème ainsi qu’un puissant facteur d’échec. Premièrement, le symbole représente une chose et si cette « chose » n’est pas comprise, il ne peut y avoir acceptation ou rejet conscient du symbole. Deuxièmement, les mondialistes ayant fondé leur pouvoir sur la dissimulation de ce dernier et l’adhésion à des croyances occultes, leurs symboles leur permettent de révéler leur véritable allégeance, de communiquer entre eux et surtout de montrer l’étendue de leurs possessions et de leur influence. Troisièmement, le symbole montre de façon concrète quelles valeurs gouvernent la vie d’un groupe humain et exercent une influence psychologique ou culturelle sur celui-ci. Par exemple, placer l’église au milieu du village montre l’importance de la foi chrétienne et son importance pour la vie sociale, culturelle et spirituelle du groupe. A l’inverse, la multiplication des symboles occultes ou sataniques dans l’espace public ou les médias permet de montrer que c’est désormais Satan qui règne littéralement sur le monde.

Or, depuis la Révolution Française, la France et l’Occident en général, sont passés d’un monde chrétien à un monde gouverné par des puissances occultes, pour ne pas dire sataniques. Discrètes au départ, ces forces se sont manifestées au fur et à fur que leur influence grandissait de façon de plus en plus claire et visible, conscientes que, dans le même temps, la capacité des populations à comprendre ces symboles et leur sens déclinait.

Pour aider les résistants à comprendre et identifier la symbolique satanique pour mieux la combattre et se soustraire à son influence, nous proposons ici une liste non-exhaustive des principaux symboles utilisés par ces puissances occultes.

Œil caché

Greta Thunberg
Maye Musk, mère d’Elon Musk
Sharon Stone

“Car voici, je susciterai dans le pays un pasteur qui n’aura pas souci des brebis qui périssent; il n’ira pas à la recherche des plus jeunes, il ne guérira pas les blessées, il ne soignera pas les saines; mais il dévorera la chair des plus grasses, et il déchirera jusqu’aux cornes de leurs pieds. Malheur au pasteur de néant, qui abandonne ses brebis! Que l’épée fonde sur son bras et sur son œil droit! Que son bras se dessèche, Et que son œil droit s’éteigne!” (Zacharie 11:17)

Pyramide

Palais de la paix et de la réconciliation, Astana, Kazakhstan
Pyramide du Louvre
“Ce qui est au dessus est comme ce qui est en dessous” (Quod est superius est sicut quod inferius,)

Principe occultiste inscrit notamment dans la Tablette d’émeraude, texte hermétique et alchimique

Discours d’E.Macron devant la pyramide du Louvre (2017)

Temple maçonnique

Monuments des Droits de l’Homme, Champ de Mars, Paris

Damier noir et blanc

Loge maçonnique
Les Kardashians (noter les trois “6” avec les coudes)
Groupe No Doubt

Chut!

Nicole Kidman
Robert Downey Jr
Lady Gaga

Les cornes du diable

Eminem
Dwayne Johnson
Justin Bieber

Le 666 (pouce+doigts)

Johnny Depp
Leonardo Di Caprio

Cérémonies occultes

Le temple sur l’île d’Epstein (Little St James) où les puissants de ce monde se rendaient régulièrement

Cérémonie d’inauguration du tunnel du Gothard

Le noachisme

L’arc en ciel est le symbole du noachisme, cette “religion de l’Humanité” qui viendra remplacer le christianisme. Pour plus d’informations sur le noachisme, lire ici.

Symboles occultes et applications numériques

La nouvelle alliance écologique

La nouvelle arche d’Alliance contenant la “Charte de la Terre” (2001) voulue par Maurice Strong, le mentor de Klaus Schwab (Forum Économique Mondial – WEF)

La bête de l’Apocalypse

Le gardien de la paix et de la sécurité internationales, esplanade du centre des visiteurs de l’ONU, Jacob et Maria Angeles

« La bête que je vis était semblable à un léopard; ses pieds étaient comme ceux d’un ours, et sa gueule comme une gueule de lion. Le dragon lui donna sa puissance, et son trône, et une grande autorité. » Apocalypse 13:2

QR code associé au passe sanitaire

“Et elle fit que tous, petits et grands, riches et pauvres, libres et esclaves, reçussent une marque sur leur main droite ou sur leur front, et que personne ne pût acheter ni vendre, sans avoir la marque, le nom de la bête ou le nombre de son nom.” Apocalypse 13:17

A travers cette présentation succincte, nous voulons inviter le lecteur à prendre conscience qu’il vit dans un monde saturé de symboles et que ces symboles sont ceux d’une oligarchie mondialiste vouant, de façon avouée, un culte à Satan. Cette élite jubile et jouit de sa capacité à utiliser ouvertement ces symboles, de les voir repris par le grand public et plus généralement, de pouvoir révéler sa véritable nature ou ses croyances sans susciter la moindre réaction de la part de populations prisonnières d’un matérialisme empêchant toute prise de conscience vis-à-vis des forces surnaturelles ou occultes qui gouvernent le monde.

Pour détruire les hommes, le Diable a toujours besoin de leur accord et les manifestations publiques de cette allégeance satanique servent à la fois à montrer la puissance de Satan mais aussi à pouvoir dire : « Regardez, tout était là. Nous ne vous avons rien caché, nous vous avons dit exactement qui nous étions et ce que nous allions faire et malgré cela, vous n’avez rien compris, vous vous êtes laissés faire. C’est donc que vous étiez d’accord. »

Dans le cadre de cette guerre spirituelle entre les forces de Dieu et celle du diable, il est donc essentiel que les hommes du XXIe siècle retrouvent cette capacité à déchiffrer les symboles, qu’ils rejettent collectivement « Satan, ses œuvres et ses pompes », et surtout, qu’ils comprennent que face à Lucifer et ses légions, seuls l’Amour et la Grâce du Christ peuvent les sauver.

Christus vincit.

Christus regnat.

Christus imperat.

Pour aller plus loin :

La symbolique des Illuminés

New Testament Warrior (Telegram)

Pierre Hillard, Des origines du mondialisme à la Grande Réinitialisation, (recommandé)

Du triomphe de la Croix

De la religion de l’Homme

Annuaire messes traditionnelles (par département)

I Pet Goat II (court métrage)

Analyse du Monument des Droits de l’Homme (Stéphane Blet)

Du mot “religion”

Article original publié par Nassim Nicholas Taleb sur Medium en 2016 sous le titre « Nous ne savons pas de quoi nous parlons quand nous parlons de religion ». Le texte est tiré du livre « Jouer sa peau » (Les Belles Lettres) – « Skin in the Game » (Random House)

Traduit de l’anglais par Stanislas Berton

Le problème avec tout ce qui est verbal (et journalistique) se trouve exprimé dans un aphorisme de l’Incerto (l’œuvre de Taleb) : les mathématiciens pensent avec des objets clairement identifiés et définis, les philosophes avec des concepts, les juristes avec des constructions, les logiciens avec des opérateurs logiques […] et les imbéciles avec des mots.  Deux personnes peuvent utiliser le même mot alors qu’il signifie pour chacun une chose différente et malgré cela poursuivre leur conservation, ce qui ne pose pas de problème à la pause-café mais qui est plus problématique lorsqu’il s’agit de décisions politiques affectant de nombreuses autres personnes. Par conséquent, il est très facile de déstabiliser les gens, comme le faisait Socrate, simplement en leur demandant ce que signifie précisément ce qu’ils viennent de dire, c’est ainsi que la philosophie vit le jour, comme rigueur dans le discours et clarté des notions, en parfaite opposition avec l’approche rhétorique promue par les sophistes. Depuis Socrate, nous avons eu une longue tradition de science mathématique et de droit des contrats gouvernés par l’importance de la précision des termes. Mais nous avons eu également beaucoup d’affirmations formulées par des imbéciles ayant recours à des étiquettes.

Lorsqu’ils utilisent le mot « religion », les gens veulent rarement dire la même chose et ils ne se rendent pas compte que c’est le cas pour tout le monde. Pour les anciens juifs et musulmans, la religion était la loi. Din signifie la loi en hébreu et la religion en arabe. Pour les anciens juifs, la religion était également tribale ; pour les anciens musulmans, elle était universelle. Pour les romains, la religion était des événements sociaux, des rituels et des festivals, le mot religio était l’opposé de superstitio et bien que présent dans la pensée romaine, il n’avait aucun équivalent dans l’Orient gréco-byzantin. La loi était procéduralement et mécaniquement une chose en soi et les premiers chrétiens, grâce à Saint Augustin, s’en occupèrent peu et plus tard, se souvenant de ses origines, eurent une relation inconfortable avec elle. Par exemple, même durant l’Inquisition, une cour laïque était chargée de délivrer les sentences. Le code de Théodose fut « christianisé » par une courte introduction, une sorte de bénédiction, le reste demeura identique et suivit le raisonnement légal du code romain païen tel qu’il était soutenu à Constantinople et en partie à Béryte.

La principale différence est que l’araméen chrétien utilise un mot différent : din pour la religion et nomous (du grec) pour la loi. Jésus, avec son commandement de « rendre à César ce qui est à César », sépara le sacré et le profane. Le christianisme appartenait à une autre dimension, « le Royaume du Ciel » et ce n’est que le jour du jugement dernier que celui-ci viendrait fusionner avec notre monde.  Ni l’islam ni le judaïsme ne possèdent une séparation marquée entre le sacré et le profane. Et bien entendu, le christianisme s’éloigna du plan purement spirituel pour devenir ritualiste et cérémoniel, adoptant un grand nombre de rites païens du Levant et de l’Asie Mineure.

Pour les juifs actuels, la religion est devenue ethnoculturelle, sans la loi, et, pour beaucoup, une nation. Il en fut de même pour les syriaques, les chaldéens, les arméniens, les coptes et les maronites. Pour les chrétiens orthodoxes et catholiques, la religion chrétienne est une esthétique, de la pompe et des rituels avec plus ou moins de croyances, le plus souvent décoratives. Pour la plupart des protestants, la religion est une croyance sans l’esthétique, la pompe ou la loi. Plus à l’Est, pour les bouddhistes, les shintoïstes ou les hindouistes, la religion est une philosophie pratique et spirituelle avec une éthique, et pour certains, incluant une cosmogonie. Par conséquent, quand un Hindou parle de la « religion » hindouiste, cela ne signifie pas la même chose pour un Pakistanais que pour un Hindou et c’est encore autre chose pour un Perse.

Les choses devinrent encore plus compliquées avec l’avènement de l’idée d’état-nation.

Quand un arabe d’aujourd’hui dit « juif », il veut principalement parler d’une croyance ; pour un arabe, un juif converti n’est plus un juif. Mais pour un juif, un juif est quelqu’un dont la mère est juive (cela n’a pas toujours été le cas, les juifs étaient très prosélytes au début de l’empire romain). Mais le judaïsme, grâce à la modernité, a fusionné avec l’état-nation et être juif peut désormais également signifier appartenir à une nation.

En Croatie-Serbie et au Liban, la religion peut avoir un sens en temps de paix et un tout autre sens en temps de guerre.

Quand quelqu’un parle des intérêts de la « minorité chrétienne » au Levant, cela ne signifie pas (comme tendent à le croire les Arabes) qu’il souhaite l’instauration d’une théocratie chrétienne mais tout simplement qu’il défend une conception « laïque » ou demande la séparation marquée de l’Église et de l’État (comme je l’ai dit auparavant, l’Église a toujours eu une relation difficile avec le profane ; on compte très peu de théocraties dans l’histoire chrétienne, à l’exception de Byzance,  de la tentative de Calvin et quelques autres épisodes). Il en va de même pour les gnostiques (Druides, Druzes, Mandéens, Alawis)

Non, au nom de Baal, arrêtez de dire que le salafisme est une « religion »

Le problème avec l’Union Européenne, c’est que les bureaucrates naïfs intellectuels-mais-idiots et les représentants des « élites » (ces imbéciles qui ne pourraient pas trouver leur derrière avec leurs deux mains) se font avoir par l’étiquette verbale. Ils traitent le salafisme comme une religion, avec ses lieux de « prière », alors qu’il s’agit juste d’un système politique intolérant qui encourage (ou tolère) la violence et refuse les institutions de l’Ouest, celles-là même qui lui permettent d’opérer.

Contrairement à l’islam chiite et aux ottomans sunnites, les salafistes refusent d’accepter la notion même de minorité : les infidèles polluent leur environnement. Comme nous l’avons vu avec la règle minoritaire, les intolérants écrasent toujours les tolérants ; le cancer doit être stoppé avant qu’il ne produise des métastases.

Étant naïfs et ne fonctionnant que par étiquette,  les IMI auraient une attitude différente envers les salafistes si leur mouvement se présentait sous un jour politique, similaire au nazisme, avec un code vestimentaire considéré comme l’expression d’une croyance. Interdire les burkinis serait acceptable pour les IMI si cela revenait à la même chose que de bannir les croix gammées : jeune intellectuel-mais-idiot, ces gens que tu défends, s’ils devaient arriver au pouvoir, te priveront de ces droits que tu leur donnes et ils forceront ton épouse à porter un burkini.

Nous verrons dans le prochain chapitre que la « croyance » peut être épistémique ou simplement procédurale (pistéique) ce qui peut conduire à confondre les croyances religieuses et celles qui ne le sont pas, une distinction qu’il est possible de faire via ce qu’elles signalent. Car en plus du problème « religieux », il y a un problème avec la croyance. Certains croyances sont purement décoratives, d’autres sont fonctionnelles (elles aident à survivre), d’autres sont littérales. Et pour revenir à notre problème des métastases salafistes : quand un de ces fondamentalistes parle à un chrétien, il est convaincu que le chrétien est littéral tandis que le chrétien est convaincu que le salafiste possède la même approche métaphorique qui doit être considérée sérieusement et non littéralement et souvent même pas si sérieusement que ça. Les religions comme le christianisme, le judaïsme et l’islam chiite ont évolué (ou ont laissé leurs membres évoluer en développant des sociétés sophistiquées)  précisément en s’éloignant du littéral car, en plus de l’aspect fonctionnel du métaphorique, le littéral ne laisse pas beaucoup de place à l’interprétation.

Pour conclure, non seulement le salafisme n’est pas une religion mais ce n’est même pas un système politique viable, ce n’est rien de plus qu’une excuse inventée par quelqu’un pour emprisonner les gens au 7ème siècle dans la péninsule arabique.

Pour aller plus loin:

Religion, Tolérance et Progrès: rien à voir avec la théologie (Taleb)

De l’islam

De la Rationalité

Des conflits religieux

Article original publié par Nassim Nicholas Taleb sur Medium en 2020 sous le titre « Religion, violence, tolérance et progrès : rien à voir avec la théologie »  

Traduit de l’anglais par Stanislas Berton

« Cette cité » [Constantinople » dit-il [Grégoire de Nysse] « est remplie de mécaniciens et d’esclaves qui sont tous de profonds théologiens et qui prêchent dans les boutiques et dans les rues. Si vous désirez qu’un homme vous change une pièce d’argent, il vous informe conséquemment que le Fils est différent du Père, si vous demandez le prix d’une miche de pain, il vous est répondu que le Fils est inférieur au Père et si vous voulez savoir si le bain est prêt, la réponse est que le Fils a été créé à partir de rien » d’après Gibbon, Histoire de la Chute et du Déclin de l’Empire Romain.

Les attitudes historiques collectives des catholiques ne découlent pas nécessairement des théologies du catholicisme ; celles des musulmans sunnites, pas nécessairement de la théologie de l’islam sunnite, il s’avère tout simplement que :

1-soit la religion crée un groupe distinct et polarisé et les gens commencent à s’imiter les uns les autres au sein de ce groupe.

2-soit les groupes trouvent de petites divergences théologiques (la plupart du temps sans véritable substance) pour se séparer des autres (par exemple l’Europe du Nord de l’Europe du Sud avec la Réforme, ou les égyptiens coptes des byzantins parlant le grec avec le monophysisme) pendant que ceux qui analysent l’histoire prennent le problème à l’envers en attribuant la différenciation entre les groupes à des divergences théologiques.

Ma thèse ici est que le récit wébérien reposant sur l’idée que les transformations religieuses (par exemple la Réforme) déterminent l’attitude et la culture ne suit pas la logique historique. Et essayer de changer la théologie et les doctrines n’a absolument aucun sens. Il faut changer les mentalités et les normes culturelles, si cela est possible.

L’alternative robuste selon laquelle les gens imitent les mœurs (contagieuses) des membres de leur groupe, définies de façon traditionnelle par la religion, est beaucoup plus logique. De façon générale, les gens préfèrent s’habiller, agir et même penser selon les critères en vigueur au sein de leur groupe, les gens avec lesquels ils s’identifient, ce que nous appelons « l’identité » au sens large. Nous verrons plus loin que les schismes et les hérésies semblent être de nature théologique mais habituellement, c’est plutôt l’inverse : des groupes inventent des différences théologiques pour se séparer, les hérésies possèdent les attributs de mouvements séparatistes ethniques ou culturels.

Weber introduisit ou popularisa l’idée que les protestants possédaient une certaine éthique de travail grâce aux valeurs transmises par leur religion. Cette idée, comme la majorité de la sociologie, a la solidité d’un marshmallow. Prenez le problème à l’envers : les protestants de l’époque avaient une certaine culture et les autres protestants étaient plus susceptibles d’adopter la culture de leurs pairs car la religion agissait comme un aimant pour ces identités. Grâce à la narration fallacieuse, il est toujours possible de trouver dans une religion des éléments qui confirment une théorie donnée. Weber et les wébériens ratèrent le fait que la Révolution Industrielle débuta de façon précoce dans le Nord de la France et la Belgique (deux régions extrêmement catholiques) tandis que le Sud catholique demeurait une région agricole et socialement conservatrice. Ainsi, chacun peut voir à l’œil nu que le facteur décisif n’a rien à voir avec les théologies. C’est tout simplement que les normes culturelles sont contagieuses au sein des identités et cela dans une très large mesure. Au passage, ces normes culturelles n’ont pas encore atteint la Méditerranée car elle a sauté la Révolution Industrielle. Pour n’importe quel statisticien, « l’éthique protestante » est un marqueur Nord-Sud et non Protestant-Catholique.

Contrairement aux autres réseaux et croyances païennes, les trois religions abrahamiques sont mutuellement exclusives, du fait de la règle minoritaire, même si elles sont rétroactivement compatibles (l’islam accepte théologiquement le christianisme et le judaïsme mais l’inverse n’est pas possible, le christianisme intègre de façon pleine et entière l’Ancien Testament).  Vous pouvez adorer à la fois Jupiter et Baal, tout comme vous pouvez avoir de la cuisine franco-japonaise mais vous devez être soit chrétien, soit musulman. La différenciation et la perte du syncrétisme qui a débuté dans le judaïsme lors de la période rabbinique s’est accélérée à l’époque moderne : au Maroc, les juifs et les musulmans avaient des sanctuaires en commun ; à un moment, ce fut la même chose pour les chiites et les maronites au Liban. L’absence de médias et de télévision permit aux coutumes locales d’ignorer des édits religieux lointains. Au 6ème siècle, à Doura Europos, la même salle faisait office de synagogue, de temple païen et d’église. Et au Liban, pendant longtemps, la différence se trouvait entre Qaysites and Yamanites (habitants du Nord et du Sud), une distinction sans doute héritée des Verts et des Bleus Byzantins et qui coupait au travers des appartenances confessionnelles (les Druzes Qaysites combattirent sans pitié les Yamanites et la plus grande bataille,  Ayn Dara, conduisit à la relocation des Druze Yamanites sur le plateau du Golan).

Amine Maalouf, un autre chrétien libanais, comprit le problème de façon intuitive et vit la contradiction dans les récits historiques. Comment se fait-il que l’islam est actuellement la religion associée à l’intolérance alors que ce fut le rôle traditionnellement joué par l’Église catholique ? Il suffit de regarder les preuves manifestes : on trouve beaucoup plus de minorités chrétiennes en terre d’islam que le contraire. Ce sont des groupes catholiques qui ont mené la croisade contre les albigeois, l’Inquisition, la Saint Barthélemy et tant d’autres. Le catholicisme n’a pas changé, ce qui a changé ce sont  les gens et leur culture. A ce que je sache, les textes sacrés n’ont pas été modifiés : ils étaient les mêmes durant l’Inquisition, avant l’Inquisition et maintenant.

Et bien sûr, l’attitude de l’islam sunnite envers le christianisme a changé avec le temps : une poussée d’intolérance depuis la fin du 18ème siècle comme en témoigne la chute continue du nombre de Chrétiens au Levant.

Comparer les théologies n’a pas plus de sens à moins d’avoir subi un lavage de cerveau par des textes de sociologie et d’être devenu incapable de penser avec un minimum de clarté. Les Puritains (Protestants) qui habitaient la Nouvelle-Angleterre et les Salafis de l’Arabie Saoudite et du Golfe Persique ont des théologies pratiquement identiques, fondées sur un communautarisme partagé (refus d’une autorité centrale), l’iconoclasme (absence de représentation, de saints ou de toute esthétique élaborée), absence d’une « église » organisée et une pratique très rigoriste de la religion. Et n’oubliez pas qu’ils vénèrent exactement le même Dieu.

Cette histoire d’identité-mentalité est responsable de bien d’autres choses. Les attentats suicides à la bombe dans l’est méditerranéen et au Moyen-Orient n’étaient pas à l’origine le fait des musulmans salafistes ; c’est dans la dernière partie du 20ème siècle que la pratique (réintroduite près de deux millénaires après les sicaires) commença à se répandre avec les disciples grecs-orthodoxes pan-levantins d’Antun Saadesh. Rien à voir avec les vierges que l’on retrouve au paradis, le genre d’explication ex-post que l’on entend aujourd’hui.

Par conséquent, en matière de développement économique, le groupe auquel vous vous identifiez a son importance. Vous adoptez leur appétit pour des tâches ennuyeuses et répétitives, vous vous concentrez sur la croissance industrielle et le travail dans des organisations hiérarchiques, l’extraction de l’individu de sa famille, la capacité à faire la queue pendant des heures sans tabasser quelqu’un, des vertus (ou des défauts) qui permirent à l’Occident de faire sa Révolution Industrielle.

Début 1900, les sunnites du Levant s’identifiaient à la classe supérieure de l’empire Ottoman et par conséquent, les ottomans s’occidentalisant, ils s’occidentalisèrent tout autant mais à la façon est-méditerranéenne /Europe de l’est : la classe bourgeoise ottomane chercha davantage, d’un point de vue identitaire, à ressembler aux chrétiens bulgares ou grecs qu’aux allemands ou aux autres européens du Nord. Plus tard, les Sunnites libanais, après que la Turquie soit devenue la Turquie, s’identifièrent avec le Moyen-Orient du fait du mouvement appelé « Arabisme » et changèrent leurs mentalités ainsi que leurs habitudes. Aujourd’hui, les chiites libanais s’identifient de plus en plus avec les iraniens (le peuple, pas le régime) et adoptent un comportement social similaire à celui des iraniens avec un intérêt pour l’étude, l’industrie etc…, qui, ironiquement, malgré le régime théocratique sous lequel ils vivent, est bien plus occidental. Amine Maalouf détecta (comme me l’expliqua le généticien Pierre Zalloua) que les chrétiens du Liban s’identifiaient avec l’Occident et que la différence entre eux et les musulmans ne faisait que s’accroître. Les religions, elles, demeurèrent identiques.

Votre façon de penser change avec votre identité et cela inclut votre approche de la résolution de problème. Même des choses comme le test de QI (qui mesure pour l’essentiel la capacité à obtenir de bons résultats sur ce test en particulier) a conduit à une altération de la hiérarchie des résultats au fur et à mesure que les populations commençaient à s’identifier à des groupes différents de leur groupe d’origine: l’Union Européenne a conduit les résultats des irlandais et des slaves du Sud à converger vers la moyenne.

Dans « Jouer sa peau », j’ai expliqué que les règles diététiques agissent comme des barrières sociales : ceux qui mangent ensemble s’associent. Les strictes règles diététiques juives ont permis de créer des diasporas séparées ce qui en retour rendit possible la survie et évita la dissolution sociale. Maintenant considérez le point suivant : il n’y a rien de particulièrement strict dans le texte sacré de l’islam contre le fait de boire de l’alcool, juste une vague recommandation d’éviter d’être ivre lorsque l’on fait face au Créateur. Mais cela était logique du point de vue des habitudes sociales d’interpréter une telle loi comme un interdit strict afin d’éviter de socialiser avec les Chrétiens et les Zoroastriens quand Bagdad était la capitale du Califat et les que les Arabes étaient en minorité. La mentalité trouva un appui théologique et non le contraire.

Pour finir, nous avons tendance à attribuer les conflits à la religion plutôt qu’à des cultures qui veulent vivre entre elles et séparées les unes des autres. Les « érudits » continuent de débattre des différences théologiques qui séparent les maronites, les nestoriens et les coptes des chalcédoniens orthodoxes gréco-byzantins. Peu comprennent que ces hérésies étaient liées à la haine des gréco-romain des gens de la campagne qui ne partageaient pas l’hellénisme des habitants des villes, ici encore,  pour un statisticien, le marqueur est linguistique : araméen/syriaque ou copte d’un côté, grec de l’autre (ou Rum urbain méditerranéen versus les paysans de l’intérieur ou des montagnes parlant une langue sémitique). Il suffit de trouver un désaccord théologique que peu de non-initiés peuvent comprendre et les foules trouveront un moyen de se séparer selon une ligne de fracture hautement polarisée (considérons l’absurdité de la querelle du filioque ou cette grande séparation entre ὁμοιούσιος et ὁμοούσιος qui divise les identités orientales et occidentales). Même chose avec la fracture irlando-anglaise. Et la séparation entre chiites et sunnites concerne moins la succession du calife que le fait que certains groupes ne voulaient pas faire partie de la Sunna au sens large. Pour mémoire, il y a encore cinquante ans les chiites possédaient la taquiya, une forme de dissimulation gnostique comme les Alévis, les Alawites et les Druzes et l’exotérique doit nécessairement être différent de l’ésotérique afin que personne en vie ne soit en mesure de comprendre quoi que ce soit à la véritable nature du conflit.

Notes

En réponse à cet article, Amin Maalouf m’a écrit pour me dire la chose suivante à partir d’un extrait de son livre Le dérèglement du monde:

« Ma conviction profonde, c’est que l’on accorde trop de poids à l’influence des religions sur les peuples, et pas assez à l’influence des peuples sur les religions. A partir du moment où, au IVe siècle, l’Empire romain s’est christianisé, le christianisme s’est romanisé — abondamment. C’est d’abord cette circonstance historique qui explique l’émergence d’une papauté souveraine. Dans une perspective plus ample, si le christianisme a contribué à faire de l’Europe ce qu’elle est devenue, l’Europe a également contribué à faire du christianisme ce qu’il est devenu. Les deux piliers de la civilisation occidentale que sont le droit romain et la démocratie athénienne sont tous deux antérieurs au christianisme.

On pourrait faire des observations similaires concernant l’islam, et aussi à propos des doctrines non religieuses. Si le communisme a influencé l’histoire de la Russie ou de la Chine, ces deux pays ont également déterminé l’histoire du communisme, dont le destin aurait été fort différent s’il avait triomphé plutôt en Allemagne ou en Angleterre. Les textes fondateurs, qu’ils soient sacrés ou profanes, se prêtent aux lectures les plus contradictoires. On a pu sourire en entendant Deng Xiaoping affirmer que les privatisations étaient dans la droite ligne de la pensée de Marx, et que les succès de sa réforme économique démontraient la supériorité du socialisme sur le capitalisme. Cette interprétation n’est pas plus risible qu’une autre ; elle est même certainement plus conforme aux rêves de l’auteur du Capital que les délires d’un Staline, d’un Kim Il Sung, d’un Pol Pot, ou d’un Mao Zedong.

Nul ne peut nier, en tout cas, au vu de l’expérience chinoise qui se déroule devant nos yeux, que l’un des succès les plus étonnants dans l’histoire mondiale du capitalisme se sera produit sous l’égide d’un parti communiste. N’est-ce pas là une puissante illustration de la malléabilité des doctrines, et de l’infinie capacité des hommes à les interpréter comme bon leur semble ?

Pour en revenir au monde musulman, si l’on cherche à comprendre le comportement politique de ceux qui s’y réclament de la religion, et si l’on souhaite le modifier, ce n’est pas en fouillant dans les textes sacrés qu’on pourra identifier le problème, et ce n’est pas non plus dans ces textes qu’on pourra trouver la solution. »

Pour aller plus loin:

De la Religion

De La Rationalité

De la contre-église

Préface de Vox Day du livre de Jon Del Arroz Churchianity: How Modern American Churches Corrupted Generations of Christians” (La contre-église : comment les églises modernes américaines ont corrompu des générations de Chrétiens).

Traduit de l’anglais par Stanislas Berton

La contre-église: la grande apostasie

L’Église moderne en Occident se trouve à la croisée des chemins, bien que beaucoup de ses fidèles semblent totalement inconscients d’avoir déjà choisi la voie large et facile menant à l’Enfer. Ce qui passe pour le christianisme au vingt-et-unième siècle serait méconnaissable pour les Pères de l’Église, incompréhensible pour les scolastiques médiévaux, et abhorré par les Réformateurs. Nous assistons à rien de moins qu’une tentative de remplacement du christianisme par son double hérétique : la contre-église.

La contre-église est la subordination systématique de la doctrine chrétienne à l’idéologie dominante de la justice sociale. C’est l’élévation des préoccupations mondaines au-dessus des préoccupations spirituelles, le remplacement de l’autorité biblique intemporelle par le récit mainstream dynamique et la transformation de l’Église d’un phare de vérité éternelle à une chambre d’écho pour la politique terrestre. Plus accablant encore, elle représente l’inversion complète de la prémisse fondamentale du christianisme : au lieu d’être dans le monde mais pas de ce monde, la contre-église insiste pour être entièrement de ce monde tout en maintenant un vernis de légitimité théologique de moins en moins convaincant.

La contre-église n’est pas juste un conflit doctrinal de plus dans la longue histoire de l’Église. C’est une apostasie portant un col clérical, une hérésie drapée de vêtements liturgiques, et un blasphème proclamé depuis dix mille chaires chaque dimanche matin. La tragédie n’est pas que des loups soient entrés dans la bergerie — Jésus-Christ lui-même nous avait avertis qu’ils viendraient. La tragédie est que les brebis bêlent maintenant fièrement en chœur alors qu’elles sont égarées par ceux qui cherchent à les détruire.

Au fond, la contre-église représente une incompréhension fondamentale de la nature de Dieu et de l’homme. Alors que le christianisme proclame la nature déchue de l’humanité et la nécessité absolue de la rédemption divine, la contre-église prêche la perfectibilité de l’homme à travers le politiquement correct. Alors que le christianisme promet le Royaume des Cieux, la contre-église privilégie la justice terrestre. Et alors que le christianisme exige la repentance des péchés, la contre-église exige la repentance pour une multitude de péchés inventés par l’homme, y compris le fait de ne pas se prosterner suffisamment devant la classe de victimes actuellement au sommet de la hiérarchie intersectionnelle.

Le mécanisme de cette perversion théologique est d’une simplicité époustouflante : prenez n’importe quel commandement biblique, dépouillez-le de son contexte sotériologique [l’étude de la doctrine du salut], et réinterprétez-le à travers le prisme de la politique de justice sociale contemporaine. « Aime ton prochain » cesse d’être une question de charité individuelle pour devenir un mandat pour des frontières ouvertes et une immigration massive. « Prends soin des pauvres » transforme la nécessité d’une aumône personnelle en un plaidoyer pour des impôts plus élevés, des guerres étrangères et des États-providence. « Accueille l’étranger » passe de l’hospitalité de base à un commandement divin de faciliter le remplacement démographique de la nation.

Ce vandalisme herméneutique ne fait pas seulement violence à des versets individuels, mais à l’ensemble du récit biblique. Le Dieu qui a détruit Sodome et Gomorrhe, qui a ordonné aux Israélites de maintenir leur singularité parmi les peuples, qui a créé la multitude des langues à Babel pour créer les nations — ce Dieu est réinventé comme un travailleur social cosmique dont la principale préoccupation est d’assurer des résultats égaux à travers toutes les catégories démographiques. Le sauveur qui a dit « Mon royaume n’est pas de ce monde » se trouve reconverti en un organisateur communautaire proto-hippie dont la mort n’était pas destinée à expier les péchés personnels, mais la colonisation du XVIIe siècle.

Aucune Église chrétienne ne s’est montrée complètement immunisée contre cette contagion subversive. L’Église catholique romaine, qui pendant des siècles fut un rempart contre l’hérésie, se trouve maintenant dirigée par des clercs plus préoccupés par le changement climatique que par le salut des âmes. L’actuel occupant du trône de Pierre parle avec plus de passion des émissions de carbone que de l’avortement, avec plus de force de l’inégalité des revenus que de la morale sexuelle, et bien plus fréquemment des migrants que des martyrs. L’Église qui avait autrefois lancé les Croisades pour défendre la chrétienté déclare maintenant que c’est un impératif moral d’accueillir en Occident ceux qui voudraient voir chaque croix détruite et chaque cathédrale réduite en cendres.

La Communion anglicane, déjà affaiblie par des siècles de compromission avec l’autorité séculière, a achevé sa transformation en Parti conservateur en prière — si le Parti conservateur était encore conservateur et si l’on pouvait trouver un Tory qui ne soit pas hindou, musulman ou juif. Les déclarations de Canterbury sont presque indiscernables des éditoriaux du Guardian, avec les habituelles lamentations sur le colonialisme, l’esclavage et le besoin urgent de réparations monétaires pour des crimes commis par des gens morts depuis longtemps envers des gens qui n’ont jamais été lésés.

Les dénominations protestantes principales s’en sortent encore plus mal. Les luthériens qui tonnaient autrefois « Me voici debout » murmurent maintenant « Me voici à genoux » — devant chaque cause à la mode et croisade politiquement correcte. Les méthodistes, presbytériens et épiscopaliens rivalisent pour voir qui peut renier le plus vigoureusement son héritage théologique au profit de la perversion sexuelle, des drapeaux arc-en-ciel et du relativisme moral. Ces églises ont perdu des membres en masse ces dernières décennies, non pas parce que le christianisme est en train de mourir, mais parce que la contre-église n’offre rien qui ne puisse être trouvé dans un parti politique ou une discothèque gay.

Même les églises évangéliques, qui avaient initialement résisté à cette corruption insidieuse, commencent à succomber. Les pasteurs de mégachurches découvrent que les séries de sermons sur la « justice sociale » remplissent plus de sièges que les explications de l’Épître aux Romains. Les pasteurs dédiés à la jeunesse trouvent que soutenir des mouvements comme Black Lives Matter leur procure plus de prestige social que de diriger des études bibliques. Des dénominations entières qui privilégiaient autrefois l’évangélisation privilégient maintenant la « réconciliation raciale », ce qui, en pratique, signifie l’autoflagellation blanche et excuses sans fin pour des péchés inexistants, ni commis ni hérités.

La contre-église: les fruits amers

Jésus-Christ nous a dit que nous les reconnaîtrions à leurs fruits, et les fruits de la contre-église sont en effet bien amers. Les églises qui adoptent cette hérésie suivent invariablement la même progression : d’abord vient le compromis théologique, ensuite le déclin démographique, et enfin la mort institutionnelle. Le schéma est aussi prévisible que pathétique.

Les dirigeants commencent par déclarer que le christianisme doit évoluer pour rester pertinent. Les doctrines traditionnelles sont soit abandonnées discrètement, soit réinterprétées radicalement. La morale sexuelle est généralement la première victime — après tout, rien ne dit mieux « amour » que conforter les déviants sexuels dans leur péché. L’autorité des Écritures est sapée par des appels à la sympathie, aux contextes culturels et au progrès sociétal. L’exclusivité du salut offert par Jésus-Christ est minimisée au profit d’un universalisme tiède destiné à éviter tout risque d’offenser les pécheurs et les non-croyants.

Ensuite vient l’exode des croyants qui reconnaissent l’apostasie lorsqu’ils la voient, même s’ils hésitent à la dénoncer ouvertement. Les familles qui ont fréquenté la même église pendant des générations s’éloignent discrètement. Les jeunes, à qui l’on n’offre rien d’autre que la même justice sociale qu’ils reçoivent à l’école, ne voient aucune raison de se lever tôt le dimanche matin pour une sixième dose de propagande hebdomadaire. Les bancs se vident, les plateaux d’offrande restent vides, et les dirigeants de la contre-église répondent inévitablement en redoublant d’efforts dans leur stratégie vouée à l’échec.

Enfin vient le râle de l’agonie. Le magnifique bâtiment historique est vendu à des promoteurs qui le transforment en restaurants, en mosquées, voire en boîtes de nuit. La congrégation, désormais réduite à quelques dizaines de fidèles âgés, fusionne avec une autre église mourante pour retarder l’inévitable de quelques années. Et la bureaucratie de la dénomination continue, publiant des déclarations de plus en plus insignifiantes sur le racisme et les réfugiés à un public composé principalement d’autres bureaucrates.

Ce n’est ni de la spéculation ni de l’hyperbole. C’est l’histoire documentée de presque tous les corps ecclésiaux qui ont adopté la contre-église. L’Église épiscopale en Amérique a perdu plus de la moitié de ses membres depuis qu’elle a embrassé la théologie de la justice sociale. L’Église unie du Christ a décliné des deux tiers. L’Église presbytérienne continue sa spirale mortelle, fermant des églises à un rythme qui constituerait une crise si quelqu’un s’en souciait encore assez pour le remarquer. Même la Convention baptiste du Sud, autrefois inébranlable, est en déclin, ayant perdu 21 % de ses membres depuis 2001.

La contre-église n’est pas seulement une forme affaiblie ou subvertie du christianisme. Elle est activement anti-chrétienne. Elle ne se contente pas d’échouer à proclamer l’Évangile ; elle proclame l’anti-Évangile d’un christianisme inversé. Là où le christianisme offre le salut du péché, la contre-église offre l’affirmation du péché. Là où le christianisme exige la transformation, la contre-église exige la tolérance. Là où le christianisme proclame une vérité objective, la contre-église prêche une expérience subjective.

Cette essence anti-chrétienne se révèle le plus clairement dans la relation de la contre-église avec les chrétiens réellement attachés à la Bible. Les croyants orthodoxes qui maintiennent des positions traditionnelles sur le mariage, la sexualité et l’exclusivité du Christ ne sont pas confrontés au désaccord et au débat, ils sont diabolisés. On les traite de bigots, de haineux et de racistes. Ils sont exclus de la communion, chassés des dénominations et soumis à des procès ecclésiastiques qui feraient rougir l’Inquisition espagnole. Le seul péché impardonnable dans la contre-église est de croire ce que les chrétiens ont toujours cru.

En même temps, ceux qui s’opposent activement au christianisme sont accueillis à bras ouverts. Des prières islamiques sont offertes dans des églises prétendument chrétiennes. Des activistes athées sont invités à donner des conférences aux congrégations sur leurs manquements moraux. Des pratiques païennes sont intégrées aux services religieux au nom de l’« inclusivité ». L’Église qui avait autrefois conquis l’Empire romain par le martyre se conquiert maintenant elle-même par le suicide.

La contre-église représente la plus grande menace pour le christianisme depuis l’émergence de l’islam. Elle est bien plus dangereuse pour l’Église que la persécution externe, car elle corrompt de l’intérieur. Elle est plus mortelle qu’une attaque intellectuelle directe, car elle opère par une rhétorique insidieuse et une manipulation émotionnelle. Et elle est plus efficace que la plupart des hérésies précédentes, car elle parle le langage de l’Église tout en inversant et subvertissant les véritables enseignements du Christ.

Mais la vérité reste la vérité, peu importe combien la nient. L’Évangile reste l’Évangile, peu importe combien le pervertissent. Jésus-Christ reste le Seigneur et Sauveur de l’humanité, peu importe combien le trahissent. Et les portes de l’Enfer, qu’elles prennent la forme de la persécution romaine, de l’invasion islamique ou de la subversion de la contre-église, ne prévaudront jamais.

La question pour chaque lecteur de ce livre est simple : Où vous situez-vous ? Êtes-vous du côté des apôtres et des martyrs, des réformateurs et des revitalisants, et du reste des fidèle qui, à travers l’histoire, ont toujours refusé de plier le genou devant de faux dieux ? Ou adorerez-vous un faux Jésus de la justice sociale dans une fausse église avec ceux qui ont vendu leur âme pour la gloire, la fortune et l’approbation mondaine ?

“Frères, concernant la venue de notre Seigneur Jésus-Christ et notre rassemblement auprès de Lui, nous vous prions de ne pas vous laisser facilement ébranler dans votre esprit ou troubler, ni par un esprit, ni par une parole, ni par une lettre soi-disant de nous, comme si le jour du Christ était arrivé. Que personne ne vous séduise d’aucune manière ; car ce jour ne viendra pas sans qu’il y ait d’abord une apostasie…” — 2 Thessaloniciens 2:1-3

Pour aller plus loin:

Des conflits religieux (Taleb)

Des sacrifices

C’est en effet, une opinion aussi ancienne que le monde, que le ciel irrité contre la chair et le sang ne pouvait être apaisé que par le sang et aucune nation n’a douté qu’il n’eût dans l’effusion de sang une vertu expiatoire ! Or, ni la raison ni la folie n’ont pu inventer cette idée, encore moins la faire adopter généralement. Elle a sa racine dans les dernières profondeurs de la nature humaine.”

Joseph de Maistre

Joseph de Maistre avait intuitivement compris la valeur universelle et expiatoire du sacrifice sanglant. Il faudra cependant attendre les travaux de l’anthropologue français René Girard pour que soient dévoilées “ces choses cachées depuis le commencement du monde”, à savoir le rôle joué par le sacrifice de la victime expiatoire, le fameux “bouc émissaire” dans la cohésion et la stabilité des groupes humains qui se déchargent ainsi des tensions liées aux processus de rivalité mimétique qui menacent de les détruire.

De tout temps, les hommes ont compris que le sacré était indissociable du sacrifice et que plus la victime sacrifiée était pure et innocente (enfants, vierges, jeunes animaux), plus ce sacrifice était puissant. Pendant des millénaires, l’humanité païenne a donc sacrifié des animaux et des êtres humains, jusqu’à des dizaines de milliers lors de certains festivals mayas, avant que ces pratiques ne soient abandonnées suite à à la conversion au christianisme des peuples qui les pratiquaient.

Si, comme l’a remarquablement démontré Monseigneur Gaume, la christianisation a pour conséquence l’abolition des sacrifices humains, la déchristianisation d’une société conduit inévitablement à leur retour. Croyant en apparence être sorties du sacré religieux et de sa logique sacrificielle, nos sociétés déchristianisées continuent pourtant d’obéir à cette loi universelle du sacrifice sanglant qui prend désormais de toutes autres formes.

La première d’entre elle est indiscutablement l’avortement. En France, ce sont 250 000 enfants à naître par an, plus de 10 millions depuis 1975, qui sont ainsi sacrifiés sur l’autel des “droits”, notamment celui de la femme à disposer de son corps, c’est à-dire de tuer l’enfant qu’elle porte en son sein avec la complicité du corps médical et la bénédiction de la loi.

Dans un autre registre, le “changement climatique” dont serait victime Gaïa notre “mère-la terre” par la faute des activités humaines exigerait également de sacrifier notre mode de vie, notre confort et notre économie pour apaiser son courroux, véritable résurgence de la logique primitive païenne sous couvert d’une “science” abondamment financée par des puissants réseaux mondialistes, promoteurs de l’eugénisme et de la dépopulation. Indirectement, cette pensée religieuse, mais non reconnue comme telle, conduit au retour des sacrifices humains car c’est désormais l’idée même d’avoir des enfants qui se trouve être sacrifiée, si cette offrande expiatoire peut permettre de “sauver la planète”.

Cette logique sacrificielle se retrouve également au cœur du phénomène transgenre qui reprend tous les codes anthropologiques traditionnellement associés à la figure du bouc émissaire: un individu membre de la communauté mais en même temps différent des autres (albinos, jumeaux, androgyne, difformité) qui sera fêté ou porté au pinacle, allant jusqu’à parfois être considéré comme une figure de roi ou d’homme-dieu, pour être ensuite sacrifié par le groupe. Dans ce cas précis, le transgenre sacrifie sa féminité ou sa masculinité ainsi que sa capacité à procréer, le tout accompagné de mutilations rituelles (ablation des seins ou des organes génitaux), processus qui se terminera malheureusement dans de nombreux cas par un sacrifice sanglant définitif, sous la forme du suicide.

En se croyant “moderne” et “progressiste”, notre époque ne fait donc que ressusciter sous une nouvelle forme les croyances primitives et les sacrifices païens et qui les accompagnent, mais sous une forme néanmoins appauvrie. En effet, là où les anciens acceptaient à la fois l’offrande faite à Dieu et la médiation du prêtre, notre époque, marquée par le refus de toute forme de médiation et de toute transcendance, conduit ses victimes à jouer à la fois le rôle du prêtre et de la victime dans un sacrifice d’eux-mêmes, pour eux-mêmes et au nom du droit à être eux-mêmes.

Poussée jusqu’à sa conclusion, cette logique sacrificielle, qui frappe essentiellement l’Occident autrefois chrétien, ne peut que conduire au sacrifice ultime de l’homme blanc et de sa civilisation, désormais accusés d’être coupables tous les péchés du monde. En effet, comme l’avait compris Joseph Bottum, dans ce post-christianisme sans le Christ, il n’y a plus de pardon ni de rédemption possibles. Pour sauver le monde, il faut donc que les blancs disparaissent.

Notre monde doit-il pour autant rejeter la logique sacrificielle et le sacré qui l’accompagne? Non, car le sacrifice est une loi universelle qui peut se révéler aussi bien salvatrice que féconde quand elle est accordée à la loi naturelle ainsi qu’au plan de Dieu.

Ce sacrifice, c’est celui des parents qui vont sacrifier leur confort, leur tranquillité et parfois leurs projets pour accueillir la vie et fonder une famille.

Ce sacrifice, c’est celui de l’homme ou de la femme qui va sacrifier ses relations potentielles avec d’autres personnes pour se consacrer exclusivement à son époux ou à son épouse.

Ce sacrifice, c’est celui de l’homme d’État qui va accepter de sacrifier ses intérêts particuliers, et parfois même sa vie, pour servir l’intérêt général.

Ce sacrifice, c’est celui des prêtres ou des religieux qui vont renoncer à fonder des familles ou à vivre dans le monde pour se consacrer exclusivement à Dieu.

Mais surtout, il y a le plus grand et le plus parfait sacrifice de tous: celui de Dieu lui-même qui, après s’être fait homme dans la personne de Jésus-Christ, accepta de mourir sur la Croix pour sauver le monde du péché. Victime parfaite car pure et sans tâche, le Christ, comme l’a montré René Girard, est celui dont la mort sur la Croix vient à la fois dévoiler la logique cachée derrière le sacrifice du bouc émissaire et rendre, par le sacrifice de Dieu lui-même, tous les autres sacrifices inutiles et caduques. À chaque messe, et plus particulièrement durant la Semaine Sainte, le prêtre catholique et les fidèles réactualisent et revivent ce sacrifice parfait du Christ, satisfaisant ainsi ce besoin de sacré sacrificiel et empêchant le retour des sacrifices sanglants.

Puisse notre époque comprendre, l’amour et la folie de ce sacrifice de Dieu lui-même pour les hommes qu’Il aime, et méditer sur cette phrase de Sylvain Durain : “Moins il y a de sacrifices divins, plus il y a de sacrifices humains.”

Pour aller plus loin:

Du Triomphe de la croix ( Vol II des Essais)

Des boucs émissaires (Vol I des Essais)

Ce sang qui nous lie -Sylvain Durain

Je vois Satan tomber comme l’éclair – René Girard

Mort au cléricalisme, le retour du sacrifice humain– Mgr Gaume