Du marxisme

« Un communiste, c’est quelqu’un qui a lu Marx ; un anti-communiste, c’est quelqu’un qui l’a compris. »

Svetlana Aleksievtich 

Malgré l’effondrement du bloc soviétique, de la transition de la Chine à un « socialisme de marché » et, comme nous le verrons dans cet essai, des insuffisances de la pensée de Marx elle-même, le marxisme continue d’exercer une véritable fascination sur une large  partie de la classe intellectuelle française.

Ce crédit dont jouit encore la pensée de Marx en France témoigne à la fois de la puissance subversive de cette idéologie mais aussi du manque de rigueur doctrinale qui caractérise à la fois la résistance patriote ainsi qu’un grand nombre de catholiques. En effet, comme nous allons le démontrer, les trois grands piliers de la pensée marxiste que sont le matérialisme, le déterminisme historique et l’internationalisme se trouvent en opposition totale avec la défense de la souveraineté française, le respect des valeurs traditionnelles et les enseignements de l’Église.

1) Matérialisme

Pour Marx, ce sont les rapports économiques qui déterminent les représentations mentales et culturelles : « Le mode de production de la vie matérielle conditionne le processus de vie social, politique et intellectuel en général » (Contribution à la critique de l’économie politique- 1859). Or, comme l’a montré le sociologue allemand Werner Sombart, lui-même disciple de Marx, ce sont au contraire les forces spirituelles qui dominent et gouvernent les forces matérielles. Pour l’expliquer, Sombart a notamment forgé le concept de Geist, l’esprit collectif d’un peuple, qui se distingue de la Seele, correspondant à l’âme individuelle.

Pour Sombart, comme l’écrit Guillaume Travers dans le remarquable  « Qui-suis-je ? » qu’il a consacré au sociologue allemand : « Sombart fera du Geist ce qui lie entre elles les multiples facettes de la vie sociale d’un peuple et d’une époque donnée. Dans les faits culturels, esthétiques, politiques sociaux ou économique, c’est toujours l’esprit d’un peuple qui se manifeste. Ainsi, le capitalisme ne sera plus tant défini comme un mode de production mais comme un esprit. Dans cette perspective, le monde est devenu capitaliste non pas tant le jour où le mode de production a changé mais celui où les hommes ont changé leur regard sur le monde pour n’y voir qu’un fond exploitable en vue de l’accumulation de profit. » En effet, Sombart souligne que l’état d’esprit du bourgeois ou de l’industriel capitaliste du XXe siècle diffère fondamentalement de celui de l’artisan du Moyen-Âge qui produit, non pas des séries mais des pièces uniques, vise la qualité plutôt que la quantité et dont la rémunération sert à « tenir son rang » plutôt qu’à engranger du profit.

Les travaux de Sombart sur le Geist rejoignent ceux du psychologue et anthropologue Geert Hofstede sur l’influence de la culture et des valeurs propres à chaque peuple sur l’organisation du travail et les systèmes économiques et sociaux. Hofstede a notamment identifié six facteurs indépendants à l’origine des différences culturelles : la distance hiérarchique, la tolérance pour l’incertitude, la tendance à la l’individualisme ou au collectivisme, la dimension masculine/féminine, l’orientation court-terme/long-terme et pour finir, le laisser-aller/la capacité à se restreindre.

Dans mon premier livre, « Être Français : lettre à ma sœur » (2018), je me suis inspiré des travaux d’Hofstede pour tenter de décrire de façon plus littéraire le Geist français et montrer qu’il existe, d’un point de vue anthropologique, une véritable exception culturelle française avec notamment cette combinaison unique au monde d’individualisme fort et de distance hiérarchique importante associée à un caractère masculin pour le peuple et féminin pour les élites. Dans le même esprit, j’ai également défini le système politique le plus conforme à l’esprit français dans mon essai « De l’anthropologie politique » (2019).

À bien des égards, les travaux de Sombart et d’Hofstede complètent également ceux du démographe et historien Emmanuel Todd consacrés à l’influence des systèmes familiaux sur les structures économiques et politiques. Sur ce point, il faut noter que la théorie de Todd, contrairement à celle de Marx, se trouve validée par l’expérience. En effet, selon le modèle de Marx, le communisme aurait dû apparaître dans les deux pays de première industrialisation qu’étaient la France et l’Angleterre et non dans des pays encore majoritairement ruraux et agricoles comme la Russie de 1917 ou la Chine de 1949 dans lesquels le prolétariat était peu développé, voire inexistant. Or, selon Todd, la réponse à cette énigme se trouve dans l’analyse des systèmes familiaux. En effet, la Russie et la Chine ont en commun d’être deux grands pays où le modèle familial de type communautaire exogame est dominant, type familial qui, d’après Todd, s’avère parfaitement compatible avec une organisation sociale communiste. La théorie de Todd, applicable à d’autres pays et à d’autres systèmes, apporte la preuve supplémentaire que contrairement à ce qu’affirme Marx, ce ne sont pas les forces matérielles et productives qui gouvernent l’histoire mais bien les systèmes culturels et familiaux.

Carte des systèmes familiaux dans le monde d’après les travaux d’Emmanuel Todd

Il apparaît donc clairement que la vision matérialiste de Marx se trouve largement contredite par les faits et que les théories de Sombart, d’Hofstede ou de Todd permettent de bien mieux expliquer que le marxisme l’apparition ou le développement de certaines phénomènes politiques ou sociaux. Pour finir, hors de toute considération anthropologique ou sociologique, le matérialisme de Marx devrait être par principe vigoureusement combattu par tous ceux qui rejettent le capitalisme comme esprit et encore davantage par les croyants, normalement convaincus qu’à Dieu tout est possible (Matthieu 19:26) et que le monde matériel se trouve soumis aux forces du monde spirituel.  

2) Déterminisme historique

Pour Marx, l’Histoire est gouvernée par des grandes lois. L’une d’entre elles s’appliquerait aux différents stades d’évolution des sociétés, toutes censées passer par la féodalité, puis par le capitalisme pour aboutir enfin au stade ultime, celui du triomphe du socialisme et de la dictature du prolétariat. Cette logique déterministe est censée de surcroît s’appliquer à l’être humain, les rapports entre les individus étant considérés comme entièrement gouvernés par des intérêts et des logiques de classe.

En ce qui concerne l’évolution des sociétés, le modèle de Marx se trouve une fois de plus contredit par les faits. Dans le cas des États-Unis, malgré l’exploitation des travailleurs et le caractère avancé du capitalisme dans ce pays, le socialisme et le syndicalisme, hors certains secteurs bien particuliers, ne sont jamais vraiment parvenus à s’implanter aux États-Unis et le communisme continue, aujourd’hui encore, d’exercer un violent effet repoussoir sur la très grande majorité de la population américaine. De leur côté, après avoir fait l’expérience du socialisme pendant plusieurs décennies, la Chine et la Russie, sont passées, avec des variantes, d’un système communiste à un capitalisme de marché fortement encadré par l’État associé à la défense de la souveraineté nationale et des valeurs traditionnelles. Pour finir, après avoir connu le règne du capitalisme financier et du libéralisme économique et social, l’Occident est aujourd’hui en train d’effectuer un retour à un ordre féodal dirigé par une oligarchie technocratique et corrompue via la privatisation des profits et la collectivisation des pertes, la mise en place d’un système de surveillance et de contrôle généralisé, la suppression de la propriété privée et la création de deux classes : ceux qui possèdent et « ceux qui n’auront rien mais qui seront heureux ».

Si Marx a raison, non seulement l’histoire économique et sociale des peuples devrait suivre l’évolution décrite par son modèle mais des peuples placés dans des conditions matérielles similaires devraient développer les mêmes types d’organisation économique ou de systèmes de valeurs. Or, de toute évidence, ce n’est pas le cas.

À l’échelle individuelle, le déterminisme marxiste nie la liberté de l’Homme puisque que ses actions sont censées être gouvernées par les lois implacables du matérialisme historique et des intérêts de classe. Ainsi, non content de nier la notion d’autonomie individuelle propre à la civilisation occidentale, le marxisme rejette totalement la doctrine chrétienne fondée sur le libre-arbitre, l’existence de la Grâce et de la toute-puissance de Dieu. Avec le déterminisme historique de Marx, il est impossible de comprendre Saint Paul, Sainte Jeanne d’Arc et toutes ces inexplicables fulgurances individuelles ou collectives qui jalonnent l’Histoire de la France et du monde. Pour Marx, ce digne héritier de la pensée des Lumières, tout peut et doit être expliquée de façon rationnelle par les intérêts de classe, la logique et la raison.

3) Internationalisme

Si les conditions matérielles déterminent tous les autres facteurs et si celles-ci obéissent aux lois universelles révélées par Marx, alors le communisme ne peut que triompher et les différences culturelles entre les peuples s’effacer. En revanche, tout ce bel édifice conceptuel s’effondre si, comme Guillaume Travers inspiré par Sombart, on considère que : « Dès lors que l’on pense chaque peuple et chaque époque comme étant baignés d’un esprit, particulier, le trait saillant n’est plus l’unicité du monde et de l’histoire mais leur diversité fondamentale. Chaque peuple est dominé par un esprit particulier, de sorte qu’il serait illusoire de vouloir plaquer sur chacun d’eux des structures sociales uniques. Par conséquent, l’internationalisme se trouve condamné : chaque peuple doit au contraire, rechercher l’ordre social conforme à son « esprit » propre. C’est ainsi que le socialisme ne peut être que national. »

Cet internationalisme achève de révéler ce qu’est vraiment le marxisme : d’une part, un véhicule idéologique utilisé pour détacher les peuples de leurs patries respectives et préparer l’avènement du mondialisme en sapant le principe même de nations diverses, autonomes et souveraines ; d’autre part, un projet religieux universel venant contester les dogmes fondamentaux du christianisme où la lutte des classes vient remplacer l’épitre aux Galates 3:28, le Parti, l’Église et la société sans classe, le Jugement Dernier.

Comme toutes les religions, le marxisme propose un ensemble de croyances collectives structurées, un modèle d’explication du monde, des rituels, un clergé et pour finir, une eschatologie. Adopter cette grille de lecture, c’est d’abord comprendre qu’il est absurde de vouloir réfuter le marxisme par des arguments car celui-ci appartient en réalité au domaine de la croyance et ensuite, prendre conscience que la religion marxiste a très largement remplacé le catholicisme dans l’esprit des Français, le plus souvent à l’insu des croyants eux-mêmes. Ainsi, un grand nombre de dérives actuelles telles que le transhumanisme, le transgenre, la dissolution des nations et la dictature des minorités trouvent leurs racines dans la pensée marxiste et son concept de« sens de l’Histoire », un phénomène renforcé par l’apparition récente du « marxisme culturel » auquel vient s’ajouter celui de « léninisme biologique ».

Comme nous l’avons expliqué à de nombreuses reprises, tous les phénomènes politiques ne sont en vérité que l’expression d’une pensée religieuse qui les gouverne et les façonne. Dans le cas du marxisme, cette croyance fondamentale est la suivante : l’Homme peut trouver le Paradis sur Terre à condition de réformer la société et d’obéir aux lois du matérialisme historique. Cette croyance à prétention universelle se trouve en opposition frontale avec tous les dogmes de la foi chrétienne, à commencer par celui qui fait de l’homme un être déchu dont le salut ne se trouve pas dans ce monde mais dans celui d’après. Par son rejet total du récit de la Genèse, le marxisme se révèle comme une doctrine résolument satanique, qui, inspirée par le « Prince du Mensonge », trompe les hommes, empoisonne leurs esprits et les conduit à détruire leur société en croyant ainsi la sauver.

Dans ce combat pour le redressement matériel et spirituel de la France, il est donc capital de procéder à une véritable démarxisation des esprits, à commencer par celui des intellectuels, des patriotes et des catholiques. Tous les hommes et les femmes de bonne volonté doivent comprendre que le marxisme constitue un véritable poison idéologique, politique et culturel qui rend impossible tout redressement de notre pays, toute défense de sa souveraineté et tout rétablissement de la France comme la grande nation catholique qu’elle n’aurait jamais dû cesser d’être.

Entre la France catholique et souveraine et la République marxiste et soumise, il faut choisir et c’est de la capacité des élites politiques et intellectuelles française à faire ce choix dont dépend, en grande partie, l’avenir de la France.

Il est dit dans l’Évangile :

« Gardez-vous des faux prophètes. Ils viennent à vous en vêtements de brebis, mais au dedans ce sont des loups féroces. Vous les reconnaîtrez à leurs fruits. Cueille-t-on des raisins sur des épines, ou des figues sur des chardons? Tout bon arbre porte de bons fruits, mais le mauvais arbre porte de mauvais fruits. Un bon arbre ne peut porter de mauvais fruits, ni un mauvais arbre porter de bons fruits. Tout arbre qui ne porte pas de bons fruits est coupé et jeté au feu. C’est donc à leurs fruits que vous les reconnaîtrez. » (Matthieu 7 : 15-20)

Marx était un faux prophète et tous ses fruits se sont révélés pourris.

Pour aller plus loin :

Guillaume Travers, “Qui suis-je-Werner Sombart

Geert Hofstede, The 6-D model of national culture

Emmanuel Todd, La diversité du monde

Être Français : lettre à ma sœur

Du léninisme biologique

De l’anthropologie politique

Du maître et son émissaire

De la religion (Taleb)