L’effet Lindy est une théorie selon laquelle l’espérance de vie future d’éléments non-périssables tels qu’une technologie, une idée ou une œuvre est proportionnelle à leur âge actuel ou, pour dire les choses plus simplement : si quelque chose a réussi à survivre pendant de nombreuses années, vous pouvez vous attendre à ce que cette même chose parvienne encore à survivre pendant une durée encore plus importante.
La première mention de l’effet Lindy se trouve dans un article que Robert Goldman rédigea en 1964 pour le journal The New Republic. Dans ce dernier, intitulé « la loi du Lindy », Goldman racontait comment les humoristes de New-York se retrouvaient au restaurant “Le Lindy” où ils se livraient à des analyses leur permettant de prévoir leurs chances de se maintenir à l’antenne ou à l’affiche.
En 1982, le mathématicien Benoit Mandelbrot affina le concept en montrant que, mathématiquement, plus un humoriste apparaissait à l’écran, plus il augmentait ses chances d’y apparaître à nouveau à l’avenir ou, pour dire les choses autrement, comment l’espérance de vie future de certaines choses est proportionnelle à leur passé.
Au cours des années 2000, le philosophe et mathématicien Nassim Nicholas Taleb développa encore davantage cette idée dans deux livres : « Le Cygne Noir » et « Antifragile ». L’apport de Taleb fut, entre autre, de montrer que l’effet Lindy fonctionne à la fois comme un processus de vieillissement inversé, chaque année qui passe sans qu’il y ait extinction du phénomène double son espérance de vie additionnelle, mais aussi d’expliquer que l’effet Lindy permet de mesurer la robustesse d’un phénomène voire son antifragilité (les chocs et les crises le renforcent).
Comme l’explique Taleb : « Si un livre continue d’être imprimé quarante ans après sa sortie, on peut s’attendre à ce qu’il soit encore imprimé quarante ans plus tard. Mais s’il est encore imprimé dix ans après cela, on peut s’attendre à ce qu’il soit encore imprimé dans cinquante ans. Cette simple règle vous permet de comprendre pourquoi les choses qui existent depuis longtemps ne vieillissent pas comme des personnes mais qu’elles bénéficient au contraire du passage du temps. »
Sur les plans philosophiques et politiques, l’effet Lindy nous invite donc à considérer tout ce qui se présente comme un progrès ou une nouveauté avec scepticisme, non pas par pure hostilité mais tout simplement parce que ce qui a survécu au passage du temps et bénéficié de l’effet Lindy est par essence plus robuste, voire antifragile, que tout ce qui est nouveau.
Aujourd’hui, l’un des problèmes majeurs de nos sociétés est que celles-ci méconnaissent et rejettent l’effet Lindy pour embrasser avec ferveur un grand nombre d’idées ou de comportements qui n’ont pas été testées par le temps et dont les externalités, les effets secondaires, ne sont pas connues.
Pour certains phénomènes de fond, la présence ou non de l’effet Lindy doit se compter non pas en années mais en siècles. Par exemple, une religion comme le christianisme ou un système politique comme la monarchie existent depuis plus de 2000 ans, ils peuvent donc être considérés comme Lindy et il existe donc une très forte probabilité que ces derniers existent encore d’ici 2000 ans. A l’inverse, il est encore trop tôt pour se prononcer sur la viabilité à long terme de la République Française, vieille de seulement 250 ans et à plus forte raison encore de l’athéisme dont la généralisation date d’il y a à peine 50 ans.
Dans un monde de « progrès », il est donc très intéressant d’appliquer la grille de l’effet Lindy aux idées, aux technologies et aux systèmes qui nous entourent
Ce qui est Lindy : la sagesse classique (stoïcisme, Homère, Montaigne), la religion (monothéiste/polythéiste), la monarchie, les systèmes familiaux traditionnels, les petites villes et villages, tout ce qui a été construit avant 1945, l’agriculture et l’artisanat, les identités régionales, les livres, l’or.
Ce qui n’est pas Lindy : le relativisme, l’athéisme, l’individualisme, la démocratie parlementaire, les grandes métropoles, tout ce qui a été construit après 1945, l’économie numérique, l’universalisme, l’Union Européenne, les smartphones, la monnaie fiduciaire.
En règle générale, pour construire et préparer l’avenir, mieux vaut s’appuyer sur ce qui est Lindy que sur ce qui ne l’est pas.