« Il n’y a aucune bonne raison que les sociétés humaines ne soient pas décrites et expliquées avec la même précision et le même succès que le reste de la nature », écrit l’anthropologue Pascal Boyer dans l’introduction de son dernier livre « Minds make societies ».
Depuis une vingtaine d’années, des sciences comme l’éthologie, la sociobiologie ou encore la psychologie évolutionniste ambitionnent de faire de l’Homme et de ses comportements une véritable science naturelle. Largement enseignées dans les plus grandes universités américaines, ces nouvelles approches restent quasiment inconnues en France où elles suscitent un violent rejet de la part du monde universitaire. Récemment, un séminaire organisé sur le sujet à l’ENS prenait bien soin de préciser dans sa présentation qu’il entendait « réfuter les arguments selon lesquels naturaliser les sciences sociales reviendrait à justifier l’ordre social et les inégalités, et mènerait donc au conservatisme politique ».
Tout le nœud du problème est là.
En mettant l’accent sur les déterminants biologiques, l’hérédité et les diverses pressions évolutives ayant conduit à l’émergence des comportements, ces nouvelles sciences battent en brèche l’idée si chère au milieu académique français que tout ne serait que « construction sociale ».
Malheureusement, en ce XXIème siècle de « progrès », la question n’est plus de savoir si une théorie ou un modèle scientifique permettent de décrire fidèlement le fonctionnement du réel afin d’agir efficacement sur lui mais de savoir si ces connaissances ne menacent pas les dogmes en vigueur. Dans les années 30, l’URSS condamnait la génétique comme une science « juive et bourgeoise » pour lui préférer le lyssenkisme ; la France de 2019 préfère la religion de l’égalité et de la « table rase » plutôt qu’une science susceptible de mener au conservatisme politique.
Tout cela pourrait être risible si les conséquences de cette prééminence du dogme sur la science n’étaient pas catastrophiques. En effet, une large part des problèmes auxquels la France doit faire face sur le plan sécuritaire, politique, éducatif et social découlent en dernière analyse d’une ignorance complète des lois fondamentales de l’éthologie et des sciences comportementales. Ceux qui ne comprennent pas pourquoi les pompiers se font attaquer dans les quartiers pudiquement appelés « difficiles » ne comprennent pas que la logique territoriale et tribale prime désormais sur une quelconque appartenance nationale et que l’établissement d’une nouvelle hiérarchie de dominance passe toujours par la destruction des symboles de l’ancienne autorité et l’occupation visible de l’espace public. Les mêmes qui s’étonnent que les policiers se suicident en masse ne comprennent pas que dans une situation d’agression, l’inhibition de la réaction de défense conduit inévitablement le sujet à retourner cette violence contre lui-même via le suicide ou la somatisation.
Enfin, ceux qui prônent le « vivre-ensemble » et le « multiculturalisme » témoignent d’une ignorance profonde des travaux de Robert Putnam sur la destruction du lien social par la diversité ainsi des puissants mécanismes de discrimination sélectionnés par l’évolution qui régissent la constitution des groupes humains, leur conflictualité et les manifestations d’appartenance à ces derniers.
Ignorant les modèles et les concepts développés par ces nouvelles sciences, le logiciel qui oriente la décision politique repose le plus souvent sur des postulats comportementaux totalement incorrects qui ne peuvent que conduire au désastre. En la matière, nos dirigeants ressemblent à des médecins espérant combattre les maladies en pensant que ces dernières sont causées par des « esprits malins » plutôt que par des virus ou des bactéries.
De la même manière qu’étudier l’économie revient à toucher à la question sensible de la production des richesses et de leur répartition, étudier la politique à l’aune des sciences de l’évolution conduit à juger les décisions politiques et les comportements d’un groupe humain à l’aune de leur adaptation à l’environnement et de leur capacité à assurer la survie du groupe.
Malheureusement, autant une erreur dans l’appréciation de la bienveillance d’un lion affamé a des conséquences rapides sur la survie de son auteur, autant l’adoption d’un comportement ou d’une idéologie mettant en danger la survie d’un peuple fait souvent sentir ses effets sur une échelle de temps relativement longue, le délai et la multitude des facteurs à l’œuvre empêchant le plus souvent ses membres d’établir un lien direct entre leur déchéance et leur ignorance des lois naturelles fondamentales qui gouvernent les corps politiques.
Tout comme le lyssenkisme a conduit l’URSS à la famine et a ainsi contribué à terme à son effondrement, l’ignorance et le rejet de l’éthologie, de la biologie et des sciences de l’évolution au profit de superstitions modernes comme celles de l’égalité, du vivre-ensemble ou du multiculturalisme conduisent notre civilisation au désastre. Peu importent les données, les modèles, les démonstrations, ceux qui présentent de tels arguments ne seront jamais considérés comme des scientifiques mais avant tout comme des conservateurs, voire des militants d’extrême-droite.
Au-delà des immenses crimes dont il est responsable, le nazisme aura eu pour terrible conséquence d’empêcher pendant plus d’un demi-siècle l’apparition d’une véritable science humaine et sociale intégrant les concepts fondamentaux de la biologie et de l’évolution ainsi que d’offrir une parade facile à tous les grands prêtres qu’une telle science menace.
En réalité, il n’y a de plus grand crime que celui contre la pensée et la connaissance. Ceux qui cherchent à interdire ou à ignorer une science parce qu’elle menace leurs dogmes feraient bien de méditer sur cette citation du grand physicien Richard Feynman : « La nature se fiche pas mal de la façon dont nous nommons les choses, elle continue juste de faire ce qu’elle a à faire ».