Dans une langue, les mots représentent toujours la partie émergée de la pensée.
Pour ce qui concerne l’autorité ou la direction, le français part toujours de la tête (capita) qui nous donne le mot « chef ». Le chef commande, dirige ou encadre. Placé à la tête du corps social, il ordonne et les membres obéissent. Pour la langue et la pensée française, l’autorité est verticale et s’inscrit dans un ordre « naturel » ainsi que dans une logique géométrique qui se retrouve également dans l’architecture classique et les jardins à la française.
L’approche anglaise est toute autre.
En anglais, le chef est un « leader » et « to lead » signifie conduire, guider, mener.
Le leader n’est pas une tête placée « en haut » mais un guide placé « devant ». Posté en première ligne, non seulement le leader s’expose davantage mais pour que les autres le suivent, il doit être capable de les entraîner à sa suite. Pour la langue et la pensée anglaise, l’autorité est horizontale, dynamique mais surtout, elle n’est jamais totalement acquise car elle ne procède pas d’un ordre « naturel ».
Ces différences radicales dans l’approche et la conception du leadership expliquent en grande partie pourquoi les managers français sont, années après années, systématiquement classées parmi les plus mauvais au monde et pourquoi le monde anglophone est parvenu à imposer son modèle et sa domination économique à l’ensemble de la planète.
Tout le paradoxe de la culture française, comme l’a démontré Geert Hofstede, est d’être à la fois individualiste mais en même temps marquée par la distance hiérarchique et le concept d’honneur.
Ces traits étaient parfaitement adaptés à un peuple de paysans, de petits commerçants, d’artisans et surtout de soldats dirigés par un roi, institution prenant en charge de façon quasi-exclusive les questions de leadership. Mais aujourd’hui, dans une république et dans un monde où l’économie et l’entreprise occupent un rôle central, cette absence de véritable culture du leadership en France contribue grandement à son affaiblissement et à sa perte d’influence.
Les Français ne seront jamais des anglais et des américains et c’est une véritable absurdité de croire qu’il soit possible ou même souhaitable de chercher à modifier l’ADN culturel des peuples.
Le leadership est-il donc incompatible avec cette anthropologie française ?
Napoléon Bonaparte apporte sur ce point le plus brillant des contre-exemples.
Ennemi juré des anglais, Napoléon sut appliquer, parfois même bien mieux qu’eux, des principes de leadership qui sont encore enseignés aujourd’hui dans les meilleures écoles de management.
Quelles sont les caractéristiques qui distinguent le leader d’un bon chef ?
En premier lieu, un leader comprend que le leadership est bien plus qu’une formule creuse de séminaire pour cadre dirigeants. C’est une façon de vivre, un filtre avec lequel on regarde le réel.
Comme le dit John Maxwell, les leaders abordent tous les sujets avec un regard de leader.
Que cela signifie t’il concrètement ?
Tout d’abord, les leaders voient ce que les autres ne voient pas.
Pensant toujours à long terme, ils détectent l’opportunité et devinent le véritable potentiel d’une personne ou d’une idée. Brillant officier d’artillerie, Napoléon vit comment utiliser le siège de Toulon puis la campagne d’Italie pour se forger une réputation nationale et surtout comment profiter des troubles nés de la révolution française pour prendre le pouvoir et faire de la France un nouvel empire romain.
Surtout, le véritable trait distinctif du leader se trouve dans son rapport aux autres.
Un vrai leader comprend et applique les règles suivantes :
1-Le potentiel d’un leader est déterminé par les gens dont il s’entoure
Un leader est toujours à l’affut des talents. Dès qu’il en repère un, il cherche à l’intégrer le plus rapidement possible à son organisation. Combien de jeunes et brillants soldats furent sortis du rang par Napoléon pour devenir maréchaux, ducs et même rois dans le cas de Murat ou Bernadotte ? Même si ces derniers représentaient une menace pour lui, Napoléon préférât travailler avec des esprits brillants comme Talleyrand et Fouché car il savait qu’un leader entouré de médiocres devient lui-même médiocre.
2-Un leader assuré n’a pas peur de donner du pouvoir aux autres
Une fois la confiance acquise, le leader n’a pas peur de déléguer et de laisser une large autonomie à ses collaborateurs tout en fixant un cadre clair et des objectifs précis. Napoléon développa une doctrine militaire laissant une grande autonomie à ses corps d’armées et à ses généraux leur permettant ainsi de prendre de vitesse des adversaires beaucoup moins agiles et plus lourds à manœuvrer.
3-Un leader sait qu’il faut un leader pour faire naître un leader
Au début de son parcours, le leader cherche des mentors qui vont l’aider à devenir un leader en lui confiant des responsabilités. Par la suite, il deviendra lui-même un mentor pour une nouvelle génération de leaders. Au début de sa carrière, Napoléon se plaça sous la protection de Barras qui lui confia ses premières responsabilités. Devenu général puis premier consul, il n’aura de cesse d’essayer de faire émerger des leaders, que ce soit parmi ses généraux ou dans sa propre famille.
4-Un leader comprend que pour progresser, il faut être capable de sacrifier.
Un leader doit être capable de se détacher des notions de statut, de carrière et même parfois même faire des sacrifices financiers pour atteindre par la suite une position d’influence et de leadership plus importante. Qu’il soit général ou empereur, Napoléon alla toujours risquer sa vie sur les champs de bataille pour être au plus près de ses troupes. Un autre leader, De Gaulle, général et sous-secrétaire d’Etat à la défense, prit le risque de tout perdre, il fut même condamné à mort par Vichy, pour devenir leader de la résistance. Un grand leader a toujours du « skin in the game ».
5-Un leader n’a réussi que dans la mesure où il a trouvé quelqu’un pour lui succéder.
Véritable mentor, il cultive en permanence un vivier de jeunes leaders afin que l’organisation qu’il a créée ne connaisse jamais une crise de leadership et survive à son départ ou à sa mort. Même s’il échoua sur ce point, Napoléon fit tout ce qui était en son pouvoir pour assurer la pérennité de sa dynastie. Il créa une noblesse d’empire, plaça sa famille et ses maréchaux sur les trônes d’Europe et épousa la fille de l’empereur d’Autriche qui lui donna un fils : le roi de Rome.
Napoléon, comme tous les grands leaders, avait compris une chose essentielle.
« Un chef additionne ses forces en s’entourant de disciples ; un leader multiplie les siennes en s’entourant de leaders. »
Aujourd’hui, l’absence de véritable culture du leadership fait des ravages en France, aggravés par l’incompétence des élites et la vision court-termiste de l’époque.
De nombreuses entreprises pourtant performantes doivent fermer ou sont reprises par des investisseurs étrangers car leurs dirigeants n’ont pas correctement prévu leur succession. Peu valorisés et mal soutenus, les Français les plus brillants partent à l’étranger où une véritable culture du leadership les identifie et leur confie des responsabilités. Sur le plan politique, les anciens partis désormais moribonds vont d’échecs en échecs incapables de faire émerger un nouveau leadership tandis que l’opposition reste prisonnière d’un milieu, d’une famille ou d’un clan. Enfin, au lieu de confier des responsabilités aux leaders de demain, la génération du baby-boom s’accroche à ses postes, à ses prébendes et à ses privilèges.
Un pays sans leaders est un pays sans avenir et la France attend désespérément le vrai leader qui viendra redresser la barre et la sauver du naufrage.
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