Tag Archives: violence

De la violence

I struggled with some demons
They were middle class and tame
I didn’t know I had permission to murder and to maim

Leonard Cohen

S’il y a bien une chose que notre époque abhorre plus que tout, c’est la violence.

Dès le plus jeune âge, nos parents et nos éducateurs nous ont répété que « la violence ne résout  jamais rien » et toute la société s’est jointe par la suite au chœur des non-violents.

Pour notre époque, le recours à la violence est pire qu’un échec, c’est une aberration.

Tout doit être désormais résolu par le dialogue, l’empathie et la compréhension mutuelle de nos différences.

Il s’agit là d’une immense erreur aussi bien sur le plan psychologique que politique.

Psychologiquement, il est capital d’admettre que la violence fait partie de la condition humaine.

Les rédacteurs de la Bible en avaient eu l’intuition en faisant de l’Humanité les descendants de Caïn, ce fils d’Adam et Eve qui tua par jalousie son frère, Abel, préféré par Dieu. De la même manière, la plupart des contes traditionnels comportent des éléments de grande violence, souvent expurgés dans leurs versions contemporaine, afin de préparer les enfants à la cruauté du monde. Plus proche de nous, le grand psychiatre Carl Jung expliqua qu’une personnalité parfaitement intégrée est celle qui est parvenue à accepter et à assimiler sa part « d’ombre », c’est-à-dire ce qu’il y a d’inférieur, de primitif et d’imparfait en nous. Si, terrifié par sa propre violence, l’être humain choisit de la nier et de la refouler, refusant, comme le chantait le poète, de se donner la  « permission de meurtrir et de mutiler » alors il s’expose non seulement au risque de la névrose mais surtout à un retour aussi  dévastateur qu’imprévisible de  cette violence contenue.

Pour un individu comme pour la société à laquelle il appartient, tout l’enjeu consiste à accepter cette violence et de trouver des moyens de la canaliser, par exemple en la dirigeant contre les ennemis du groupe (guerre, rivalité), de la ritualiser à travers des compétitions sportives, des cérémonies religieuses ou de certains manifestations populaires (carnaval, corrida) ou encore de l’homéopathiser via le jeu ou la culture de la vanne que l’on retrouve particulièrement dans les groupes ou les activités essentiellement masculines.

Rien n’est plus dangereux et destructeur pour la psyché que de refuser cette part d’ombre et nier la puissance de cette vie intérieure qui possède ses exigences propres. C’est pourtant ce que font tous ceux qui cherchent à expurger tout conflit et toute confrontation de la société en se faisant les apôtres inconditionnels de la bienveillance et de la non-violence, comme ces antispécistes qui refusent jusqu’à tuer les moustiques.

Dépassant désormais le seul cas du trouble individuel, ce refus de la violence devient aujourd’hui un phénomène politique concernant l’ensemble de la société.  Au-delà  de l’authentique violence physique, psychologique ou verbale, la  juste sanction, l’autorité et les hiérarchies sont  désormais perçues comme des violences et à ce titre condamnées.

Ce que refusent de voir les apôtres de la non-violence, c’est que le refus de la violence contribue à rendre paradoxalement  la société  encore plus violente et injuste. Si  un agresseur sait qu’il court le risque immédiat d’une riposte, il peut être découragé de passer à l’acte à condition que le menace soit perçue comme crédible. Il s’agit là du principe même de la dissuasion  et c’est d’ailleurs pour cela qu’un grand nombre d’espèces animales ont vu l’évolution sélectionner des caractéristiques physiques et des comportements hautement dissuasifs. A l’inverse, si l’agresseur sait que sa victime a peu de chances de riposter, il peut être tenté de laisser libre cours à son agressivité.  Ce n’est donc pas un hasard si les violences dites “gratuites” frappent aujourd’hui en priorité les membres de la société considérés comme les plus faibles : personnes âgées, SDF, femmes isolées…

Loin d’encourager la pitié ou la compassion, la faiblesse et la vulnérabilité encouragent le plus souvent l’agression.

Dans la plupart des sociétés, c’est habituellement l’État qui possède le monopole de la violence légitime via la justice, les forces armées et la police. Or, aujourd’hui,  dans les sociétés occidentales, ces trois fonctions sont de plus en plus défaillantes, encourageant les citoyens soit à subir passivement la violence, soit à se faire justice eux-mêmes.   

En réalité, en choisissant de nier la violence et en privant l’État de sa capacité à répondre à cette dernière par la violence légitime, notre société a fait le pire choix possible, d’autant plus que son hypocrisie sur le sujet est aussi totale que manifeste.

Alors que la société refuse de punir sévèrement la violence, celle-ci ne cesse d’augmenter et se porte désormais sur les symboles de l’État et de son autorité comme la police et les pompiers. Ne pouvant que constater l’impunité dont ils jouissent, les criminels remontent alors la chaîne alimentaire et cherchent à découvrir jusqu’où ils peuvent imposer leur dominance.

Alors que la société prétend pacifier les rapports sociaux  une violence économique et sociale sans précédent fait rage: licenciements,  précarité, exploitation mais aussi mépris de classe et dédain des élites pour le peuple, ces ploucs qui » fument des clopes et roulent au diesel ». Comme je l’ai expliqué dans un article sur le gaslighting politique, rien n’est plus  violent et destructeur pour le psychisme que la négation d’un antagonisme infligeant une souffrance bien réelle.  

Enfin, alors que notre société traque et condamne toutes les formes de « micro-agression » au point où même  les humoristes et les caricaturistes ne peuvent plus exercer librement leur métier, la violence au quotidien augmente et se manifeste par une exaspération générale, une agressivité latente et une hausse spectaculaire des incivilités.

Autrefois, la violence était gérée de façon à se déverser de façon puissante et contrôlée  dans les institutions et les occasions prévues à cet effet. Aujourd’hui, bloquée dans son écoulement « naturel », elle suinte à travers une multitude de petits ruisseaux qui viennent irriguer l’ensemble de la vie publique. Peu à peu, une logique perverse se met en place dans l’esprit de ceux qui subissent la violence sans pouvoir riposter : ils attendent de tomber sur plus faible qu’eux ou sur une espèce « non protégée » pour pouvoir enfin se libérer de cette violence contenue. C’est ainsi que durant les manifestations de décembre 2018, certains membres des forces de l’ordre et du gouvernement ont infligé aux Gilets Jaunes une violence qu’ils ne peuvent plus faire subir aux criminels et aux délinquants des quartiers. Comme nous l’a enseigné René Girard, la société doit toujours se décharger de sa violence sur un bouc émissaire. Aujourd’hui, le bouc émissaire que l’on sacrifie sur l’autel de la non-violence, c’est le peuple.

Si le peuple constitue la première victime, l’homme en est la deuxième.

En effet, le refus de la violence va souvent de pair avec la dénonciation d’une masculinité qui ne peut plus désormais être que toxique. Si l’homme est souvent celui par qui la violence arrive, il ne faut pas oublier qu’il est aussi souvent celui qui y met un terme. Ceux qui se complaisent dans la dénonciation de la “violence patriarcale” sont souvent les premiers à se précipiter vers un policier, un pompier ou un militaire pour les protéger de ceux qui n’ont, eux,  aucun scrupule à infliger une violence bien réelle. Notons enfin que tous les hommes ne sont pas égaux devant la dénonciation de la violence masculine : autant la violence émanant de l’homme blanc,  désormais responsable de tous les crimes, y compris ceux d’éventuels ancêtres, est vigoureusement condamnée, autant celle venant de l’Étranger est souvent excusée au nom du traumatisme colonial, de la différence culturelle ou de la non-maîtrise des codes culturels.

Dans tous les cas, le refus d’une réalité psychologique et sociale aussi fondamentale que la violence ne peut que conduire notre société et ses citoyens à la névrose et se terminer soit par une forme de suicide collectif, la victime s’abandonnant à la hache du bourreau, soit à un retour aussi spectaculaire que destructeur de cette violence refoulée.

Socialement et politiquement, la voie de la guérison serait que l’État et la société assument à nouveau pleinement leur monopole de la violence légitime et retrouvent un sens de la justice et du châtiment plus proche de Charles Martel et des Croisades que de l’ONU et des Droits de l’Homme mais les hommes du XXIème siècle n’ont pas encore  manifestement assez souffert pour en revenir à de telles évidences et quand bien même le voudraient-ils en auraient-ils encore la force ?

A l’échelle individuelle, le salut passe par l’acceptation de sa part d’ombre, la pratique d’activités permettant d’exprimer et de canaliser cette violence  (sports de combat, compétitions, jeux de rôle) et surtout le fait de ne jamais se laisser enfermer dans le statut de victime en cas d’agression. Mieux vaut être considéré, même à tort, comme une brute ou un fasciste que de finir névrosé et soumis.

Pour aller plus loin:

On Killing: The Psychological Cost of Learning to Kill in War and Society

On killing (livre)

« Si vous êtes vierge et que vous voulez vous préparer à votre nuit de noces, si vous avez des problèmes sexuels ou que vous êtes tout simplement curieux, vous pouvez trouver des centaines de livres traitant de la sexualité. Mais si vous êtes un jeune soldat ou un membre des forces de l’ordre anticipant votre baptême du feu, le conjoint d’un vétéran perturbé par le fait d’avoir dû tuer ou que vous êtes tout simplement curieux, il n’existe aucun livre sur le fait de donner la mort et les conséquences d’un tel acte. »

Après plusieurs années de pratique en tant que militaire, historien et psychologue, le lieutenant-colonel de l’armée américaine Dave Grossman a entrepris de rédiger un livre, aujourd’hui considéré comme un classique et une lecture obligatoire dans toutes les académies militaires américaines, sur la psychologie qui entoure le fait de donner la mort (killing), une nouvelle discipline qu’il a baptisé du nom de « killology ».

La première idée reçue à laquelle ce travail tord le cou est qu’il est extrêmement facile à l’être humain de tuer l’un de ses semblables.

En réalité, c’est tout le contraire. Après la première guerre mondiale,  le général et historien S.L.A Marshall fut le premier à se rendre compte que, lors d’un engagement, seuls 15 à 20% des soldats d’infanterie cherchaient véritablement à ouvrir le feu sur leurs adversaires, une observation corroborée par la suite par d’autres études ainsi que par la reconstitution des guerres du passé.

Dans la première partie du livre, Grossman revient sur les barrières psychologiques qui empêchent un être humain d’en tuer un autre et rappelle, en s’appuyant sur les travaux du célèbre éthologue Konrad Lorenz, que dans la Nature, la plupart des conflits sont évités par des postures d’intimidation et, une fois déclenchés, se terminent le plus souvent, non par la mise à mort, mais par l’adoption d’une posture de soumission par le vaincu.

Tuer un autre être humain demande en réalité de surmonter des résistances émotionnelles et psychologiques considérables. Plus l’ennemi est proche, par exemple au corps à corps, plus l’acte est difficile et les conséquences psychologiques lourdes. A l’inverse, plus l’ennemi est lointain ou dépersonnifié par la distance ou le matériel, bombardement aérien ou vision nocturne par exemple, plus l’acte de tuer est facile et l’impact psychologique d’avoir donné la mort, faible.

Dans la seconde partie du livre, Grossman présente un modèle dont les différentes variables visent à détailler le processus par lequel un individu peut être plus ou moins facilement amené à tuer :

-l’ordre donné par une autorité : il est d’autant mieux accepté quand l’autorité est légitime et présente à proximité. Les chefs et les officiers exercent donc une influence décisive sur la propension du soldat à tuer ou à se restreindre. Le livre révèle au passage que la supériorité de l’armée romaine reposait en partie sur le fait d’avoir été la première au monde à avoir eu des officiers chargés uniquement de manœuvrer la troupe et de la pousser au combat.

-l’absolution du groupe : nombre, proximité et identification avec le groupe, pression des pairs. Plus nous sommes intégrés dans un groupe et plus celui-ci exerce une surveillance directe, plus il est difficile de ne pas tuer. Alors que les soldats d’infanterie tirent peu, c’est le contraire pour les artilleurs, les snipers travaillant en binôme ou les équipes opérant une mitrailleuse lourde.

-les prédispositions du tueur : conditionnement/entraînement, l’expérience récente (par ex : il est plus facile de tuer si l’ennemi vient de tuer votre camarade sous vos yeux), le tempérament (à noter que le chiffre de 2%  de « tueurs naturels » sans remords cité par Grossman correspond à peu près à celui généralement accepté pour le pourcentage de psychopathes au sein d’une population)

-attractivité de la victime : distance physique et émotionnelle (culture, ethnie, classe sociale).  Il est généralement plus facile de tuer des gens avec lesquels nous semblons n’avoir rien en commun d’où la nécessité pour les soldats de déshumaniser l’ennemi (“sous-hommes”, “boches”, “bridés” etc…) et à l’inverse, celle des vaincus de chercher à susciter de l’empathie pour ne pas être exécutés.

Au-delà de ce travail théorique, l’intérêt de ce livre repose en partie sur les témoignages poignants de soldats qui, encouragés par l’écoute sans jugement du psychologue, se livrent à des confidences sur des états d’âme et des expériences douloureuses parfois gardés enfouis en eux pendant toute une vie. Certains racontent la honte qu’ils ressentent encore bien des années plus tard de ne pas avoir réussi à ouvrir le feu sur un ennemi qui menaçait leur patrouille, d’autres expliquent comment le premier ennemi qu’ils ont tué « les yeux dans les yeux » a passé toute leur vie à les hanter, d’autres plus rares, avouent que le fait de tuer les a plongé dans un état d’extase plus violent et dangereux que la meilleure des drogues.

Le grand mérite de ce livre est ainsi de rappeler que loin de l’image facile et glamour véhiculé par le cinéma, les jeux vidéo ou la littérature, tuer est un acte d’une intimité et d’une puissance émotionnelle intense ressemblant à bien des égards à l’acte sexuel, une comparaison revenant à de nombreuses reprises sous la plume de l’auteur qui, lecteur de Freud, fait du soldat un être soumis plus que les autres aux forces conjointes d’ Éros et de Thanatos, la pulsion de vie et la pulsion de mort.

Dans la dernière partie du livre, Grossman s’attache au désastre que fut, sur le plan psychologique, la guerre du Vietnam et revient longuement sur les millions de cas de stress post-traumatique suite à la mauvaise gestion par l’armée et la société américaines de l’acte de tuer et de ses conséquences . En effet, suite à la découverte du faible taux d’ouverture de feu par l’infanterie, les méthodes de conditionnement et d’entraînement du soldat furent complètement repensées, notamment via le passage de cibles rondes à des silhouettes à formes humaines.

Suite à ces modifications, les taux passèrent à 55% en Corée et à près de 95% au Vietnam. En utilisant des variations sur les techniques de conditionnement développées par Pavlov et Skinner, l’armée américaine parvint à parfaitement conditionner ses soldats pour tuer. Malheureusement, dans le même temps, elle échoua complètement à développer l’organisation et les outils permettant aux soldats de gérer psychologiquement le fait d’avoir tué.

Alors que les soldats de la seconde guerre mondiale partaient au front au sein d’une unité, bénéficiaient à leur retour d’un sas de décompression et étaient traités comme des héros lors de leur retour au pays, les vétérans du Vietnam partirent individuellement, passèrent sans transition de la jungle du Vietnam à la petite maison de banlieue et surtout se trouvèrent confrontés à une hostilité sans nom de la part de la société et notamment du mouvement anti-guerre.

Grâce à sa formation de psychologue, Grossman décrit parfaitement  à quel point il est destructeur pour la psyché d’un soldat d’avoir dû, pour sa patrie, par devoir et sous la pression du groupe, donner la mort et, de retour au pays, au lieu de recevoir l’absolution tant attendue de la communauté au sens large, se voir rejeté et traité d’assassin par celle-ci.

Lorsqu’un pays agit de la sorte, il détruit non seulement le mental de ses soldats mais c’est le pacte implicite entre ces derniers et la Nation qui se trouve rompu.

Ce livre étant centré sur les méthodes et l’expérience de l’armée américaine, il serait intéressant d’apprendre comment les autres armées et particulièrement l’armée française, ont appris à gérer dans leurs rangs la nécessité de donner la mort et ses conséquences psychologiques.

Pour terminer, la lecture de ce livre jette un éclairage des plus inquiétants sur l’épidémie de violences dites gratuites ou d’attaques au couteau motivées par le fanatisme islamique qui ensanglantent aujourd’hui la France.

En effet, les auteurs de telles violences évoluent le plus souvent dans un véritable no man’s land culturel et identitaire : ils ne se considèrent pas comme français sans pour autant évoluer à l’intérieur du cadre anthropologiquement cohérent de leurs sociétés d’origine; ils peuvent trouver la justification de leurs actes dans l’islam et la nécessité de porter la guerre aux mécréants avec, dans certains cas, un conditionnement psychologique renforcé de façon concrète par la pratique rituelle de l’égorgement du mouton ; ils bénéficient du soutien de nombreux membres de leur communauté et de la bénédiction des certains chefs spirituels ou politiques et enfin, ils évoluent dans un contexte de haine et de déshumanisation des Français de souche (les kouffars ou les babtous) encouragé par une partie des médias et de certains faiseurs d’opinion, sans parler des problèmes liés à l’éducation ou aux déficiences cognitives mises en avant par le pédopsychiatre, Maurice Berger.

Tous les éléments du modèle de Grossman sont là pour expliquer pourquoi les agressions dites « gratuites » sont de plus en plus violentes et fréquentes et pourquoi au lieu de chercher la simple soumission, elles laissent désormais libre cours à une véritable sauvagerie  qui laisse le plus souvent les victimes mortes ou gravement blessées.

Par naïveté, lâcheté et faiblesse, les sociétés occidentales ont laissé se développer et accueilli en leur sein des armées de véritables tueurs évoluant au sein d’un système culturel et identitaire dans lequel les résistances naturelles au fait de donner la mort aux occidentaux se trouvent détruites ou affaiblies. Les sociétés occidentales ont cru qu’en renonçant à la violence légitime,  à la discrimination et l’usage de la force, elles allaient donner naissance à des sociétés totalement pacifiques et apaisées, elles vont devoir au contraire réapprendre à se battre, à donner la mort et à en gérer les conséquences.

Voir également: “Sous le feu : la mort comme hypothèse de travail” de Michel Goya

NB: Cet article ne fait pas partie du recueil L’Homme et la Cité