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Du mot “religion”

Article original publié par Nassim Nicholas Taleb sur Medium en 2016 sous le titre « Nous ne savons pas de quoi nous parlons quand nous parlons de religion ». Le texte est tiré du livre « Jouer sa peau » (Les Belles Lettres) – « Skin in the Game » (Random House)

Traduit de l’anglais par Stanislas Berton

Le problème avec tout ce qui est verbal (et journalistique) se trouve exprimé dans un aphorisme de l’Incerto (l’œuvre de Taleb) : les mathématiciens pensent avec des objets clairement identifiés et définis, les philosophes avec des concepts, les juristes avec des constructions, les logiciens avec des opérateurs logiques […] et les imbéciles avec des mots.  Deux personnes peuvent utiliser le même mot alors qu’il signifie pour chacun une chose différente et malgré cela poursuivre leur conservation, ce qui ne pose pas de problème à la pause-café mais qui est plus problématique lorsqu’il s’agit de décisions politiques affectant de nombreuses autres personnes. Par conséquent, il est très facile de déstabiliser les gens, comme le faisait Socrate, simplement en leur demandant ce que signifie précisément ce qu’ils viennent de dire, c’est ainsi que la philosophie vit le jour, comme rigueur dans le discours et clarté des notions, en parfaite opposition avec l’approche rhétorique promue par les sophistes. Depuis Socrate, nous avons eu une longue tradition de science mathématique et de droit des contrats gouvernés par l’importance de la précision des termes. Mais nous avons eu également beaucoup d’affirmations formulées par des imbéciles ayant recours à des étiquettes.

Lorsqu’ils utilisent le mot « religion », les gens veulent rarement dire la même chose et ils ne se rendent pas compte que c’est le cas pour tout le monde. Pour les anciens juifs et musulmans, la religion était la loi. Din signifie la loi en hébreu et la religion en arabe. Pour les anciens juifs, la religion était également tribale ; pour les anciens musulmans, elle était universelle. Pour les romains, la religion était des événements sociaux, des rituels et des festivals, le mot religio était l’opposé de superstitio et bien que présent dans la pensée romaine, il n’avait aucun équivalent dans l’Orient gréco-byzantin. La loi était procéduralement et mécaniquement une chose en soi et les premiers chrétiens, grâce à Saint Augustin, s’en occupèrent peu et plus tard, se souvenant de ses origines, eurent une relation inconfortable avec elle. Par exemple, même durant l’Inquisition, une cour laïque était chargée de délivrer les sentences. Le code de Théodose fut « christianisé » par une courte introduction, une sorte de bénédiction, le reste demeura identique et suivit le raisonnement légal du code romain païen tel qu’il était soutenu à Constantinople et en partie à Béryte.

La principale différence est que l’araméen chrétien utilise un mot différent : din pour la religion et nomous (du grec) pour la loi. Jésus, avec son commandement de « rendre à César ce qui est à César », sépara le sacré et le profane. Le christianisme appartenait à une autre dimension, « le Royaume du Ciel » et ce n’est que le jour du jugement dernier que celui-ci viendrait fusionner avec notre monde.  Ni l’islam ni le judaïsme ne possèdent une séparation marquée entre le sacré et le profane. Et bien entendu, le christianisme s’éloigna du plan purement spirituel pour devenir ritualiste et cérémoniel, adoptant un grand nombre de rites païens du Levant et de l’Asie Mineure.

Pour les juifs actuels, la religion est devenue ethnoculturelle, sans la loi, et, pour beaucoup, une nation. Il en fut de même pour les syriaques, les chaldéens, les arméniens, les coptes et les maronites. Pour les chrétiens orthodoxes et catholiques, la religion chrétienne est une esthétique, de la pompe et des rituels avec plus ou moins de croyances, le plus souvent décoratives. Pour la plupart des protestants, la religion est une croyance sans l’esthétique, la pompe ou la loi. Plus à l’Est, pour les bouddhistes, les shintoïstes ou les hindouistes, la religion est une philosophie pratique et spirituelle avec une éthique, et pour certains, incluant une cosmogonie. Par conséquent, quand un Hindou parle de la « religion » hindouiste, cela ne signifie pas la même chose pour un Pakistanais que pour un Hindou et c’est encore autre chose pour un Perse.

Les choses devinrent encore plus compliquées avec l’avènement de l’idée d’état-nation.

Quand un arabe d’aujourd’hui dit « juif », il veut principalement parler d’une croyance ; pour un arabe, un juif converti n’est plus un juif. Mais pour un juif, un juif est quelqu’un dont la mère est juive (cela n’a pas toujours été le cas, les juifs étaient très prosélytes au début de l’empire romain). Mais le judaïsme, grâce à la modernité, a fusionné avec l’état-nation et être juif peut désormais également signifier appartenir à une nation.

En Croatie-Serbie et au Liban, la religion peut avoir un sens en temps de paix et un tout autre sens en temps de guerre.

Quand quelqu’un parle des intérêts de la « minorité chrétienne » au Levant, cela ne signifie pas (comme tendent à le croire les Arabes) qu’il souhaite l’instauration d’une théocratie chrétienne mais tout simplement qu’il défend une conception « laïque » ou demande la séparation marquée de l’Église et de l’État (comme je l’ai dit auparavant, l’Église a toujours eu une relation difficile avec le profane ; on compte très peu de théocraties dans l’histoire chrétienne, à l’exception de Byzance,  de la tentative de Calvin et quelques autres épisodes). Il en va de même pour les gnostiques (Druides, Druzes, Mandéens, Alawis)

Non, au nom de Baal, arrêtez de dire que le salafisme est une « religion »

Le problème avec l’Union Européenne, c’est que les bureaucrates naïfs intellectuels-mais-idiots et les représentants des « élites » (ces imbéciles qui ne pourraient pas trouver leur derrière avec leurs deux mains) se font avoir par l’étiquette verbale. Ils traitent le salafisme comme une religion, avec ses lieux de « prière », alors qu’il s’agit juste d’un système politique intolérant qui encourage (ou tolère) la violence et refuse les institutions de l’Ouest, celles-là même qui lui permettent d’opérer.

Contrairement à l’islam chiite et aux ottomans sunnites, les salafistes refusent d’accepter la notion même de minorité : les infidèles polluent leur environnement. Comme nous l’avons vu avec la règle minoritaire, les intolérants écrasent toujours les tolérants ; le cancer doit être stoppé avant qu’il ne produise des métastases.

Étant naïfs et ne fonctionnant que par étiquette,  les IMI auraient une attitude différente envers les salafistes si leur mouvement se présentait sous un jour politique, similaire au nazisme, avec un code vestimentaire considéré comme l’expression d’une croyance. Interdire les burkinis serait acceptable pour les IMI si cela revenait à la même chose que de bannir les croix gammées : jeune intellectuel-mais-idiot, ces gens que tu défends, s’ils devaient arriver au pouvoir, te priveront de ces droits que tu leur donnes et ils forceront ton épouse à porter un burkini.

Nous verrons dans le prochain chapitre que la « croyance » peut être épistémique ou simplement procédurale (pistéique) ce qui peut conduire à confondre les croyances religieuses et celles qui ne le sont pas, une distinction qu’il est possible de faire via ce qu’elles signalent. Car en plus du problème « religieux », il y a un problème avec la croyance. Certains croyances sont purement décoratives, d’autres sont fonctionnelles (elles aident à survivre), d’autres sont littérales. Et pour revenir à notre problème des métastases salafistes : quand un de ces fondamentalistes parle à un chrétien, il est convaincu que le chrétien est littéral tandis que le chrétien est convaincu que le salafiste possède la même approche métaphorique qui doit être considérée sérieusement et non littéralement et souvent même pas si sérieusement que ça. Les religions comme le christianisme, le judaïsme et l’islam chiite ont évolué (ou ont laissé leurs membres évoluer en développant des sociétés sophistiquées)  précisément en s’éloignant du littéral car, en plus de l’aspect fonctionnel du métaphorique, le littéral ne laisse pas beaucoup de place à l’interprétation.

Pour conclure, non seulement le salafisme n’est pas une religion mais ce n’est même pas un système politique viable, ce n’est rien de plus qu’une excuse inventée par quelqu’un pour emprisonner les gens au 7ème siècle dans la péninsule arabique.

Pour aller plus loin:

Religion, Tolérance et Progrès: rien à voir avec la théologie (Taleb)

De l’islam

De la Rationalité

De la laïcité

«L’empire est sacré, la religion est civile ; les deux puissances se confondent ; chacune emprunte de l’autre une partie de sa force, et, malgré les querelles qui ont divisé ces deux sœurs, elles ne peuvent vivre séparées. »

Joseph de Maistre

Aux yeux de nombreux Français, la laïcité apparaît comme l’un des joyaux de la couronne républicaine, une avancée qui aurait permis, après des siècles d’oppression et d’obscurantisme, de mettre fin à l’emprise de l’Église sur les consciences et d’ouvrir, pour la France, une nouvelle ère de « progrès » et de liberté religieuse. Or, cette division arbitraire entre « la cité catholique » et la « république laïque » oublie trop souvent de prendre en compte que la seconde ne peut exister que dans le cadre posé par la première.

En effet, le concept même de « laïcité », totalement étranger à la plupart des peuples du monde, n’a pu apparaître et se développer qu’au sein de l’Occident chrétien pour la simple et bonne raison qu’il trouve sa source dans une distinction opérée par le Christ lui même dans les Évangiles. Dans le célèbre passage, des pharisiens tentent de piéger le Christ en lui posant une question sur l’observation de la loi juive :

« Est-il permis, oui ou non, de payer l’impôt à César, l’empereur ? Devons-nous payer, oui ou non ? » Mais lui, sachant leur hypocrisie, leur dit : « Pourquoi voulez-vous me mettre à l’épreuve ? Faites-moi voir une pièce d’argent. » Ils en apportèrent une, et Jésus leur dit : « Cette effigie et cette inscription, de qui sont-elles ? – De César », répondent-ils. Jésus leur dit : « Ce qui est à César, rendez-le à César, et à Dieu ce qui est à Dieu. » (Marc 12:17)

Par cette réponse, le Christ évite le piège tendu par les Pharisiens mais surtout, il vient souligner la nécessité d’une séparation claire entre le pouvoir spirituel et le pouvoir temporel. Cette séparation, qui apparaît évidente à nos esprits modernes, marque, à l’époque où elle est effectuée, une rupture profonde avec une société antique où les deux pouvoirs se trouvaient systématiquement confondus. Si les premiers chrétiens reconnaissent l’autorité civile et acceptent d’accomplir leurs devoirs de citoyens (Romains 13), ils refusent en revanche de rendre un culte à toute autre divinité que le Christ, décision qui va leur valoir de sérieux problèmes dans une société romaine où le pouvoir politique se trouve confondu avec le pouvoir religieux, notamment dans le cadre du culte rendu à l’empereur. Présentée aujourd’hui comme un moyen de protéger la société civile de l’ingérence du pouvoir spirituel, la laïcité est, à l’origine, un concept chrétien qui va venir séparer le spirituel, l’Église, du temporel, l’Empire. À terme, cette distinction évoluera en une séparation entre ceux qui font partie de l’Église, le clergé, et ceux qui y sont extérieurs, les laïcs, du latin laicus qui signifie « du peuple ».

Aujourd’hui, grâce aux travaux du philosophe René Girard sur les boucs émissaires, la violence et le sacré, nous comprenons que cette séparation du sacré et du profane permet également aux sociétés qui adoptent la foi chrétienne de sortir de la logique sacrificielle et des cycles de violence mimétique qui caractérisent toutes les sociétés non chrétiennes. En effet, comme l’ont montré René Girard et Monseigneur Gaume, là où il n’existe pas de laïcité chrétienne, les fonctions politiques et religieuses se trouvent confondues, le plus souvent sous la forme du roi-prêtre ou de l’empereur-dieu. Renforcée par ce que Girard appelle la rivalité mimétique, cette confusion va inévitablement conduire à une crise durant laquelle cette figure du roi-dieu sera sacrifiée comme bouc émissaire afin d’apaiser la colère des dieux et rétablir l’harmonie au sein de la communauté.

À l’inverse, le christianisme, par la mort du Christ sur la Croix et sa réactualisation régulière via l’Eucharistie, permet justement aux hommes d’échapper au cercle sans fin de la violence sacrificielle grâce au sacrifice ultime de Dieu lui-même qui vient rendre inutiles et insignifiants tous les autres sacrifices. Dans le même temps, cette séparation chrétienne entre clercs et laïcs permet également d’éviter le retour de cette confusion entre la figure du prêtre et celle du roi, logique que l’on retrouvera dès l’acte fondateur du royaume de France avec d’un côté le pouvoir temporel de Clovis, roi des Francs et de l’autre, l’autorité spirituelle de l’évêque catholique Saint Rémi. Si le roi de France tient son pouvoir de Dieu et prête serment de défendre l’Église et la foi catholique, son autorité se trouve néanmoins limitée à la sphère civile, l’autorité spirituelle demeurant la prérogative du pape.

Pour le plus grand malheur de la France et des Français, cet équilibre entre le pouvoir spirituel et temporel qui perdurera pendant plus de quinze siècle et fera de la France catholique le pays le plus puissant et respecté du monde se trouvera rompu par la Révolution Française. En faisant à nouveau couler le sang du roi, lieutenant de Dieu sur terre et bouc émissaire offert en sacrifice, les révolutionnaires aboliront le pacte millénaire entre la France et Dieu et réactiveront la logique sacrificielle abolie par le christianisme. Ainsi sera rouvert un cycle de violence mimétique dont le peuple français sera la première victime. Entre la Terreur, le génocide vendéen, les guerres napoléoniennes, les deux guerres mondiales et la généralisation de l’avortement (près de 200 000 avortements par an depuis 1975 soit 10 millions de français qui n’ont pas pu naître), jamais le sang des Français n’aura autant coulé que depuis que la France est entrée dans l’ère de la fraternité, de la raison et du progrès.

Non contents d’avoir persécutés les religieux, saccagé cathédrales, église et couvents et d’avoir largement prouvé par l’exemple le lien entre déchristianisation et retour des sacrifices humains, les révolutionnaires réussiront l’exploit de détruire, au nom de la liberté, la laïcité inventée par le christianisme ! En effet, par le décret du 12 juillet 1790, l’Assemblée Nationale va voter la constitution civile du clergé et instituer l’Église constitutionnelle. Dans ce système, l’Église se retrouve placée sous l’autorité du gouvernement et les religieux doivent jurer fidélité à la nation et non au au pape, soit un retour à la confusion pré-chrétienne du pouvoir temporel et spirituel par des révolutionnaires résolument inspirés par l’antiquité romaine. Au delà de son sens politique, « faire une révolution » signifie également « revenir à son point de départ »…

Quelques années plus tard, Napoléon, l’enfant terrible de la Révolution, persistera sur cette voie en se sacrant lui-même empereur- il prendra la couronne des mains du pape- avant d’enlever Pie VII qu’il tiendra en captivité à Savone puis à Fontainebleau. Ce processus de déchristianisation à marche forcée de la France catholique trouvera son aboutissement un siècle plus tard avec la loi de 1905 sur la séparation des Églises et de l’État. Sur le plan politique, cette loi rompt avec la logique concordataire pour considérer le catholicisme comme un culte parmi d’autres dont le libre exercice reste garanti. Mais surtout, elle confirme la propriété des biens religieux saisis en 1789 par l’État et organise le transfert des biens mobiliers ou immobiliers grevés d’une affectation charitable (comme les hôpitaux et les écoles) à des services ou établissements publics. Loin d’être une loi de liberté, cette loi consacre en réalité la déchristianisation de la France et organise un gigantesque transfert de propriété au détriment de l’Église et au bénéfice de l’État.

Où est le problème, nous dirons les défenseurs de la laïcité ? N’est-ce pas une bonne chose, conforme à la doctrine chrétienne elle-même, de reléguer la religion dans le domaine privé et de laisser l’État s’occuper de tout ce qui concerne l’intérêt général, indépendamment de toute influence religieuse ?

Pour répondre à cette question, il faut commencer par expliquer comment la laïcité républicaine a été « vendue » en deux temps aux Français. Tout d’abord, il a fallu les convaincre, et ce fut l’œuvre de tout le XVIIIe siècle, que l’Église était un instrument d’oppression, qu’elle jouissait de privilèges indus et que toute réduction de son influence sur la société ne pouvait être que positive. Ensuite, il fallu leur faire croire que la plupart des institutions dont elle s’occupait-hôpitaux, écoles, hospices- seraient bien mieux gérées par l’État, et surtout que la neutralité de ce dernier en matière religieuse serait le meilleur garant de la liberté des Français.

Disons les choses clairement, cette vision n’est rien de moins qu’un mensonge doublé d’une imposture. Dans les faits, la laïcité républicaine n’a en aucun cas permis de chasser la religion du domaine public mais uniquement de remplacer une religion d’État par une autre. Si la France n’est plus catholique, notre pays possède néanmoins une religion officielle qui est la religion républicaine de la Raison, des Droits de l’Homme et du Progrès. Depuis les Lumières, cette religion mène contre le catholicisme une guerre impitoyable dont la Révolution Française fut la première grande victoire et la loi de 1905, le triomphe définitif. À force de persévérance et de ruse, les enfants de Voltaire sont bel et bien parvenus à « écraser l’infâme ».

La plus grande ruse du Diable étant de faire croire qu’il n’existe pas, cette religion a tout fait pour dissimuler aux Français sa véritable nature et présenter ses dogmes, non pas comme des articles de foi, mais comme des évidences, fruits des lumières de la « raison » et du « progrès ». Après avoir été plongés pendant plus de deux siècles dans ce bain spirituel qui place l’Homme et la raison humaine au centre de toute chose, les Français ont fini par oublier que cette conception n’avait rien d’une évidence et que celle-ci a nécessité l’emploi de moyens considérables pour convertir les Français à cette nouvelle croyance.

Semblable à l’ancienne religion qu’elle a remplacée, cette nouvelle religion civile possède son clergé qu’elle a pris soin de placer dans les médias, la haute administration, la politique, la magistrature, l’éducation et même l’armée. Comme sous l’Ancien Régime, l’appartenance à ce mélange de noblesse et de clergé se révèle indispensable à l’exercice des plus hautes fonctions républicaines. Cette religion possède par ailleurs ses rituels, ses martyrs et ses fêtes, à commencer par le 14 juillet, venu remplacer la fête mariale et nationale historique du 15 août. Pour finir, cette religion a ses églises : les médias ; son catéchisme : les valeurs de la République et son séminaire, l’Éducation Nationale. Sur ce point, difficile de dire les choses plus clairement que l’ancien ministre Vincent Peillon dans son livre “La Révolution Française n’est pas terminée” :

La révolution française est l’irruption dans le temps de quelque chose qui n’appartient pas au temps, c’est un commencement absolu, c’est la présence et l’incarnation d’un sens, d’une régénération et d’une expiation du peuple français. 1789, l’année sans pareille, est celle de l’engendrement par un brusque saut de l’histoire d’un homme nouveau. La révolution est un événement métahistorique, c’est-à-dire un événement religieux. La révolution implique l’oubli total de ce qui précède la révolution. Et donc l’école a un rôle fondamental, puisque l’école doit dépouiller l’enfant de toutes ses attaches pré-républicaines pour l’élever jusqu’à devenir citoyen. Et c’est bien une nouvelle naissance, une transsubstantiation qui opère dans l’école et par l’école, cette nouvelle église avec son nouveau clergé, sa nouvelle liturgie, ses nouvelles tables de la loi. 

Pensant s’être libérés de la tutelle des curés, les Français se retrouvent désormais, sans même en avoir conscience, sous celle bien plus stricte et intolérante des grands prêtres de la religion républicaine. Rejetant deux mille ans d’histoire française et catholique, les apôtres de cette nouvelle religion prétendent, comme tous les fanatiques et tous les régimes totalitaires, faire du passé table rase pour créer un homme nouveau. Pire, en mettant l’homme et ses désirs au centre de toute chose, en faisant du bien et du mal des propositions relatives et en affirmant, à travers le dogme du « progrès », la croyance en la capacité de l’Homme à dépasser, voire à corriger la Nature, cette religion a montré son vrai visage qui n’est nul autre que celui de Satan.

Alors que le pouvoir de l’Église catholique était visible, celui de cette nouvelle église républicaine demeure caché. Si les dogmes de l’Église catholique étaient assumés, ceux de cette nouvelle église sont présentés comme des évidences et imposés à la population via la propagande éducative et les médias de masse. Si l’enseignement de l’Église catholique est fondé sur la Vérité, c’est à dire sur le Christ ; celui de cette nouvelle église est fondé sur le mensonge, c’est à dire sur le diable. Au nom de l’amour de la liberté, les Français ont soutenu la haine de l’Église et ont troqué une religion saine, sainte et visible pour une religion menteuse, occulte et cachée.

Dans ce cas, nous diront les grands esprits, il suffit de mettre en place une vraie laïcité qui garantirait à la fois la liberté religieuse et reconnaîtrait en même temps l’héritage chrétien de la France. Voilà tous nos problèmes résolus et les Français à nouveau bon amis !

Malheureusement, cette belle idée méconnaît la nature humaine et fait fi des leçons de l’expérience et de l’histoire. En effet, le rapide survol de l’histoire religieuse et politique des sociétés humaines prouve que la laïcité réelle, c’est à dire la neutralité religieuse pour la société et l’État, est en réalité impossible. Par décision de l’empereur Constantin, le christianisme chasse le polythéisme et devient la religion officielle de l’empire romain en 313. Dès que le christianisme s’effondre suite au travail de sape des Lumières et sous les coups de butoir de la Révolution, il est remplacé par la religion républicaine des droits de l’homme, de la raison et du progrès. Et au train où vont les choses, si l’Occident et la France ne redeviennent pas chrétiens, il y a de fortes chances que la religion républicaine finisse elle-même par être prochainement remplacée par l’Islam, religion sacrificielle où le spirituel et le temporel se trouvent confondus et où l’idée même de laïcité se révèle totalement impossible.

En dernière analyse, toute construction politique humaine se trouve toujours fondée sur une doctrine de nature religieuse et la grande erreur de l’homme occidental est d’avoir cru possible de fonder une société uniquement sur la raison humaine. Contrairement à ce qu’affirmait Charles Maurras, tout n’est pas politique mais religieux et le premier terme dépend tout entier du second.

Il faut qu’il y ait une religion de l’État comme une politique de l’État ; ou, plutôt, il faut que les dogmes religieux et politiques mêlés et confondus forment ensemble une raison universelle ou nationale assez forte pour réprimer les aberrations de la raison individuelle qui est, de sa nature, l’ennemie mortelle de toute association quelconque, parce qu’elle ne produit que des opinions divergentes. Tous les peuples connus ont été heureux et puissants à mesure qu’ils ont obéi plus fidèlement à cette raison nationale qui n’est autre chose que l’anéantissement des dogmes individuels et le règne absolu et général des dogmes nationaux, c’est-à-dire des préjugés utiles. (Joseph de Maistre)

Rappelons à ceux à qui cette conception apparaîtrait comme terriblement archaïque que les États-Unis d’Amérique sont a nation under God, que la nouvelle constitution russe fait désormais référence à Dieu, que les dirigeants chinois trouvent leur légitimité dans le « mandat du ciel » et que dans le monde islamique, du Guide Suprême au « commandeur des croyants », tous les dirigeants musulmans affirment tenir leur pouvoir de Dieu. Parmi les nations du monde, seul l’Occident a banni de son univers mental toute référence à un ordre surnaturel et divin et les conséquences de ce choix sonnent davantage comme un terrible avertissement qu’un exemple à suivre.

Le pouvoir vient-il de Dieu (sacre) ou des hommes (élections) ?

La connaissance vient-elle de la seule raison humaine ou peut-elle procéder d’une révélation ?

Existe t’il une vérité absolue ou une simple juxtaposition de perceptions subjectives ?

L’Homme est-il une fin ou un moyen ? La vie est-elle sacrée ou n’est-elle qu’une simple processus biologique et matériel ?

Répondre à ces questions, c’est comprendre que loin d’être religieusement neutres, nos sociétés modernes ont choisi l’Homme contre Dieu pour ensuite prétendre qu’il s’agissait là de la seule option possible. Or,que ce soit par la perte de la morale commune, la remise en cause de toute autorité, les folies du progressisme, la corruption généralisée, la montée en puissance de l’Islam et l’inversion proprement satanique de toutes les valeurs, la volonté de séparer l’Église de l’État, c’est à dire Dieu de la Cité par la laïcité républicaine apparaît comme une expérience ratée doublée d’un colossal échec. Dès lors, la question n’est plus de savoir s’il faut ou non défendre la laïcité mais définir quelle religion doit adopter la France et comment renouer le lien entre Dieu et les Français.

Le paganisme ? Ces croyances dépassées, intégrées et sanctifiées par le catholicisme et dont les principes fondamentaux conduisent inévitablement au retour de l’esclavage ainsi qu’à celui des sacrifices humains? L’Islam ? Cette religion restée prisonnière de la logique sacrificielle ainsi que du monisme primitif et combattue par nos ancêtres durant des siècles? Le bouddhisme ? Cette sagesse du néant dont le nihilisme et la résignation échappent souvent à ceux qui font désormais trôner des placides bouddhas sur leurs pelouses ou leurs tables basses? Le protestantisme, ce « dissolvant universel » qui en rejetant l’autorité du pape et en soumettant les textes sacrées au libre-examen des fidèles a ouvert la brèche dans laquelle se sont engouffrées toutes les erreurs de la modernité? Le judaïsme? Cette religion de l’ancienne Alliance qui refuse de reconnaître le Christ comme Messie malgré la présence de tous les signes annoncés par les prophètes? L’anglicanisme ? Cette religion qui « soit est fausse, soit prouve que Dieu s’est incarné pour les Anglais » (De Maistre)? L’Orthodoxie, ce christianisme schismatique qui rejette l’autorité de Rome et refuse de croire que l’Esprit-Saint procède du Père comme du Fils ? Le culte de la Terre-Mère? Ce retour à l’archaïsme du matriarcat sacrificiel primitif, sans parler de toutes les doctrines New-Age qui ne sont qu’un simple voile derrière lequel se cache Satan?

Après plus de trois siècles de propagande anti-catholique, les Français sont prêts à considérer toutes les options sauf celle qui les conduit à retrouver et pratiquer la foi de leurs pères. Dans un texte fondamental, traduit dans le Volume II de nos essais, Nassim Nicholas Taleb explique comment la religion constitue la manifestation de l’identité profonde des peuples et pourquoi les différences théologiques ne sont que des prétextes venant justifier a posteriori des fractures identitaires. Ainsi, sous sa forme traditionnelle, le catholicisme est la religion du peuple français. D’une part parce que cette religion est vraie et sainte ; d’autre part, parce qu’elle constitue l’expression de la nature spirituelle profonde de notre peuple, de son génie et de sa sainteté. Comme il est dans l’ordre des choses qu’un Russe soit orthodoxe, qu’un saoudien soit musulman et qu’un thaïlandais soit bouddhiste, un Français est catholique, même s’il l’a oublié.

Parmi tous les grands peuples du monde, seuls les Français se sont détournés de la foi de leurs pères et ont rejeté la mission qui leur avait été confiée par Dieu. Malgré les avertissements répétés des prophètes, ils persistent depuis plus de deux siècles dans leur erreur et voient ainsi leur pays disparaître sous leurs yeux en refusant de croire qu’il s’agit là du châtiment de tout peuple refusant d’accomplir la volonté du Créateur. Si « aucun Royaume divisé contre lui-même ne peut tenir », les Français, à commencer par leurs élites, doivent comprendre que le salut de la France passe par son unité et que cette unité spirituelle et politique ne peut se faire qu’autour du catholicisme et du rétablissement de l’alliance divine désormais rompue.

Pour sauver leur pays et leur âme, les Français doivent déchirer le voile du mensonge des Lumières et comprendre que la laïcité n’a été qu’une gigantesque escroquerie intellectuelle conçue pour détruire l’Église catholique, couper les Français de Dieu et permettre le règne de Satan sur notre pays. Une France retrouvée peut tolérer des Français qui ne croient pas mais elle n’aura aucune chance de survivre si elle ne remet pas Dieu au centre de tout et ne se retrouve pas clairement et fermement refondée sur des bases chrétiennes. Si cette opération échoue ou si la prise de conscience est trop tardive, la France se désagrégera et les Français disparaîtront.

La République peut être « laïque » ou islamique, la France est catholique.

Pour aller plus loin :

De la religion de l’Homme

De la Rationalité

Du paganisme

Des conflits religieux (Taleb)

Du christianisme (Taleb)

Joseph de Maistre sur le religieux et le politique

René Girard, La violence et le sacré

Monseigneur Gaume, Mort au cléricalisme ou le retour du sacrifice humain

Sylvain Durain, Ce sang qui nous lie/ La fin du sacré