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Des sacrifices

C’est en effet, une opinion aussi ancienne que le monde, que le ciel irrité contre la chair et le sang ne pouvait être apaisé que par le sang et aucune nation n’a douté qu’il n’eût dans l’effusion de sang une vertu expiatoire ! Or, ni la raison ni la folie n’ont pu inventer cette idée, encore moins la faire adopter généralement. Elle a sa racine dans les dernières profondeurs de la nature humaine.”

Joseph de Maistre

Joseph de Maistre avait intuitivement compris la valeur universelle et expiatoire du sacrifice sanglant. Il faudra cependant attendre les travaux de l’anthropologue français René Girard pour que soient dévoilées “ces choses cachées depuis le commencement du monde”, à savoir le rôle joué par le sacrifice de la victime expiatoire, le fameux “bouc émissaire” dans la cohésion et la stabilité des groupes humains qui se déchargent ainsi des tensions liées aux processus de rivalité mimétique qui menacent de les détruire.

De tout temps, les hommes ont compris que le sacré était indissociable du sacrifice et que plus la victime sacrifiée était pure et innocente (enfants, vierges, jeunes animaux), plus ce sacrifice était puissant. Pendant des millénaires, l’humanité païenne a donc sacrifié des animaux et des êtres humains, jusqu’à des dizaines de milliers lors de certains festivals mayas, avant que ces pratiques ne soient abandonnées suite à à la conversion au christianisme des peuples qui les pratiquaient.

Si, comme l’a remarquablement démontré Monseigneur Gaume, la christianisation a pour conséquence l’abolition des sacrifices humains, la déchristianisation d’une société conduit inévitablement à leur retour. Croyant en apparence être sorties du sacré religieux et de sa logique sacrificielle, nos sociétés déchristianisées continuent pourtant d’obéir à cette loi universelle du sacrifice sanglant qui prend désormais de toutes autres formes.

La première d’entre elle est indiscutablement l’avortement. En France, ce sont 250 000 enfants à naître par an, plus de 10 millions depuis 1975, qui sont ainsi sacrifiés sur l’autel des “droits”, notamment celui de la femme à disposer de son corps, c’est à-dire de tuer l’enfant qu’elle porte en son sein avec la complicité du corps médical et la bénédiction de la loi.

Dans un autre registre, le “changement climatique” dont serait victime Gaïa notre “mère-la terre” par la faute des activités humaines exigerait également de sacrifier notre mode de vie, notre confort et notre économie pour apaiser son courroux, véritable résurgence de la logique primitive païenne sous couvert d’une “science” abondamment financée par des puissants réseaux mondialistes, promoteurs de l’eugénisme et de la dépopulation. Indirectement, cette pensée religieuse, mais non reconnue comme telle, conduit au retour des sacrifices humains car c’est désormais l’idée même d’avoir des enfants qui se trouve être sacrifiée, si cette offrande expiatoire peut permettre de “sauver la planète”.

Cette logique sacrificielle se retrouve également au cœur du phénomène transgenre qui reprend tous les codes anthropologiques traditionnellement associés à la figure du bouc émissaire: un individu membre de la communauté mais en même temps différent des autres (albinos, jumeaux, androgyne, difformité) qui sera fêté ou porté au pinacle, allant jusqu’à parfois être considéré comme une figure de roi ou d’homme-dieu, pour être ensuite sacrifié par le groupe. Dans ce cas précis, le transgenre sacrifie sa féminité ou sa masculinité ainsi que sa capacité à procréer, le tout accompagné de mutilations rituelles (ablation des seins ou des organes génitaux), processus qui se terminera malheureusement dans de nombreux cas par un sacrifice sanglant définitif, sous la forme du suicide.

En se croyant “moderne” et “progressiste”, notre époque ne fait donc que ressusciter sous une nouvelle forme les croyances primitives et les sacrifices païens et qui les accompagnent, mais sous une forme néanmoins appauvrie. En effet, là où les anciens acceptaient à la fois l’offrande faite à Dieu et la médiation du prêtre, notre époque, marquée par le refus de toute forme de médiation et de toute transcendance, conduit ses victimes à jouer à la fois le rôle du prêtre et de la victime dans un sacrifice d’eux-mêmes, pour eux-mêmes et au nom du droit à être eux-mêmes.

Poussée jusqu’à sa conclusion, cette logique sacrificielle, qui frappe essentiellement l’Occident autrefois chrétien, ne peut que conduire au sacrifice ultime de l’homme blanc et de sa civilisation, désormais accusés d’être coupables tous les péchés du monde. En effet, comme l’avait compris Joseph Bottum, dans ce post-christianisme sans le Christ, il n’y a plus de pardon ni de rédemption possibles. Pour sauver le monde, il faut donc que les blancs disparaissent.

Notre monde doit-il pour autant rejeter la logique sacrificielle et le sacré qui l’accompagne? Non, car le sacrifice est une loi universelle qui peut se révéler aussi bien salvatrice que féconde quand elle est accordée à la loi naturelle ainsi qu’au plan de Dieu.

Ce sacrifice, c’est celui des parents qui vont sacrifier leur confort, leur tranquillité et parfois leurs projets pour accueillir la vie et fonder une famille.

Ce sacrifice, c’est celui de l’homme ou de la femme qui va sacrifier ses relations potentielles avec d’autres personnes pour se consacrer exclusivement à son époux ou à son épouse.

Ce sacrifice, c’est celui de l’homme d’État qui va accepter de sacrifier ses intérêts particuliers, et parfois même sa vie, pour servir l’intérêt général.

Ce sacrifice, c’est celui des prêtres ou des religieux qui vont renoncer à fonder des familles ou à vivre dans le monde pour se consacrer exclusivement à Dieu.

Mais surtout, il y a le plus grand et le plus parfait sacrifice de tous: celui de Dieu lui-même qui, après s’être fait homme dans la personne de Jésus-Christ, accepta de mourir sur la Croix pour sauver le monde du péché. Victime parfaite car pure et sans tâche, le Christ, comme l’a montré René Girard, est celui dont la mort sur la Croix vient à la fois dévoiler la logique cachée derrière le sacrifice du bouc émissaire et rendre, par le sacrifice de Dieu lui-même, tous les autres sacrifices inutiles et caduques. À chaque messe, et plus particulièrement durant la Semaine Sainte, le prêtre catholique et les fidèles réactualisent et revivent ce sacrifice parfait du Christ, satisfaisant ainsi ce besoin de sacré sacrificiel et empêchant le retour des sacrifices sanglants.

Puisse notre époque comprendre, l’amour et la folie de ce sacrifice de Dieu lui-même pour les hommes qu’Il aime, et méditer sur cette phrase de Sylvain Durain : “Moins il y a de sacrifices divins, plus il y a de sacrifices humains.”

Pour aller plus loin:

Du Triomphe de la croix ( Vol II des Essais)

Des boucs émissaires (Vol I des Essais)

Ce sang qui nous lie -Sylvain Durain

Je vois Satan tomber comme l’éclair – René Girard

Mort au cléricalisme, le retour du sacrifice humain– Mgr Gaume