De la liberté d’expression

Article initialement publié sur Twitter le 15 mai 2020 à l’occasion de l’examen de la Loi Avia

Je voudrais partager ici quelques réflexions suite au vote de la Loi Avia par le Parlement.

Passons sur le fait qu’en confiant non pas à la justice française mais à des acteurs privés la décision de censurer ou non un contenu, l’Etat abdique son autorité régalienne et se met en marche vers le terrifiant futur décrit par de nombreuses œuvres de science-fiction: un monde où les grandes entreprises ont remplacé les états et où les citoyens sont devenus leurs esclaves.

Mais laissons ce sujet, aussi important soit-il, de côté pour nous pencher sur le sujet central de cette loi : la liberté d’expression. A force de nous concentrer sur le mot, nous finissons parfois  par perdre de vue la fonction première de la chose, ce que la « liberté d’expression » permet et le rôle qu’elle joue dans un système social complexe.

En réalité, ce que permet la liberté d’expression c’est la régulation du système social et la transmission de l’information au sein de ce dernier. Pour parler de façon savante, la liberté d’expression permet, dans une logique cybernétique, l’existence de boucles de rétroaction positives (positive feedback loops). Pour dire les choses autrement : des problèmes s’accumulent dans le système avec des conséquences négatives très concrètes pour les citoyens (pauvreté, insécurité…). Au bout d’un moment, le mécontentement des citoyens atteint un seuil critique ce qui les conduit à exprimer leur colère  d’abord en privé, puis en public, de façon de plus en plus virulente. Ces manifestations alertent les dirigeants sur l’existence du problème et sur sa gravité. Craignant de perdre leurs places et comprenant le risque posé à la stabilité du système, ils entreprennent de résoudre le problème, faisant ainsi retourner celui-ci à un état stable.

La liberté d’expression n’est pas importante en tant que telle mais tout simplement parce qu’elle permet la circulation fluide de l’information au sein d’un système complexe afin de maintenir sa stabilité.

A l’inverse, l’absence de liberté d’expression ou des restrictions trop importantes de cette dernière empêchent l’information de circuler au sein du système et les problèmes d’être résolus.

L’expression du mécontentement des citoyens peut être empêchée mais les problèmes qui lui ont donné naissance ne disparaissent pas pour autant : ils continuent de s’accumuler au sein du système comme autant de risques cachés. En apparence, tout semble aller pour le mieux jusqu’au jour où les problèmes non résolus et les mécontentements accumulés franchissent un seuil critique et  font exploser tout le système, occasionnant à cette occasion des dégâts bien plus importants que si les problèmes avaient été résolus à l’origine.

La chute de l’URSS offre le parfait exemple d’une telle logique à l’œuvre.  

Pendant des décennies, par le biais de la propagande, de la répression et d’indicateurs trafiqués, le système soviétique parvint à maintenir l’illusion de la puissance, de la prospérité et étouffer toute contestation porteuse de réforme. Un jour, le seuil critique fut atteint, le système explosa et l’empire soviétique s’effondra en quelques mois comme un château de cartes.

Or depuis quelques décennies, confrontées à de nouveaux problèmes et à de nouvelles sources de mécontentement, les démocraties libérales se sont peu à peu éloignées des principes qui leur avait pourtant permis de triompher l’Union Soviétique pour adopter le mode de fonctionnement de cette dernière.

Sur le plan économique, la « mondialisation heureuse », « la nouvelle économie» et les « excellentes performances financières  des grands groupes » cachent en réalité une paupérisation croissante, un chômage endémique et un endettement sans équivalent dans l’histoire qui menace la stabilité du système financier dans son ensemble et risque de faire des générations futures les esclaves à vie de la dette.

Sur le plan social, l’immigration de masse, le multiculturalisme et le communautarisme augmentent l’insécurité physique et culturelle, détruisent l’unité de la Nation et vont, dans certains cas, jusqu’à menacer la continuité historique de certains peuples sur leurs propres sols.

Sur le plan politique, les « élites » ont fait sécession et entrepris de mettre en œuvre un projet politique, économique et social dans le mépris le plus complet du peuple et de sa volonté. Dans le même temps, ils se sont assurés de jouir d’une impunité totale et de n’être jamais confrontés de façon directe aux conséquences de leurs décisions.

En toute logique, un mécontentement immense a vu le jour au sein du peuple mais son expression est rendue à chaque jour un peu plus difficile par des restrictions de plus en plus importantes placées sur la liberté d’expression, restrictions dont la loi Avia représente  l’un des derniers avatars.

Ceux qui aujourd’hui cherchent à restreindre la liberté d’expression n’ont de toute évidence pas appris les leçons de l’histoire : limiter la liberté d’expression revient à casser le thermomètre. Cela n’empêche pas pour autant la température de monter.

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